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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 avril 2011 |
Nombre de lectures | 57 |
EAN13 | 9782296801851 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-54254-9
EAN : 9782296542549
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Le Condottiere du Rialto
Du même auteur
Histoire contemporaine
Le putsch d’Alger , Editions France-Empire, Paris, 1976
L’affaire Salengro, Editions Pierre Belfond, Paris, 1982
Théâtre
Mascarillo, Mascarilla, comédie en trois actes, Editions de la Récluzière, Annonay, 2006
Je ferai cocu le percepteur ! , comédie en quatre actes (adaptation du roman éponyme de Cami), Editions de la Récluzière, Annonay, 2008
Les mangeurs et les mangés, comédie en trois actes (sur une idée originale de Gérard Gallo), Editions de la Récluzière, Annonay, 2010
Anthologie
Dix siècles d’humour dans la littérature française , Editions Plon, Paris, 2005
Biographie
Redécouvrir Cami, l’humoriste « Loufock » , écrit en collaboration avec Christian Moncelet (préface de Roger Grenier), Editions Marrimpouey, Pau, 2008
Roman
Nous n’irons plus à Maïtagarria , Editions Atlantica, Biarritz, 2008
Jacques Rouvière
Le Condottiere du Rialto
Roman
L’Harmattan
Chapitre I
V ittorio Bagutti aurait dû être bûcheron. Comme son père et son grand-père. Ce dernier, originaire de Rovio, petite commune suisse du canton du Tessin, avait été contraint, dans les années 1650, de quitter son terroir natal par suite d’un gigantesque incendie de forêt ayant tari la ressource. Il s’était installé en Vénétie dans le petit village de Campolongo proche de la ville de Bassano di Grappa, où un marchand de bois en mal de main d’œuvre qualifiée l’avait embauché sur recommandation d’un lointain cousin. Vaillant comme pas un, le grand-père Bagutti avait rapidement pris du galon, puis fait entrer chez son employeur son fils Abbondio, taillé sur le même moule. Lequel fut assez vite chargé de développer une activité scierie qui manquait au marchand de bois. Ce dernier, à jamais meurtri de n’avoir eu que deux filles et autant de gendres bien trop chétifs et fainéants pour prendre sa laborieuse succession, avait fini, l’âge venu, par céder son entreprise relativement prospère aux Bagutti père et fils.
Las ! Le grand-père mourut peu après, accidentellement écrasé par la chute d’un arbre mal entaillé, en sorte qu’Abbondio Bagutti, 33 ans à peine, se retrouva seul à la tête d’une scierie-négoce de bois comptant une demi-douzaine d’employés. Il s’installa dans la maison de maître surplombant les ateliers et entrepôts, avec son épouse Giulia et leurs quatre enfants : deux garçons, Vittorio et Bartoloméo, et deux filles, Angiolina et Rénata, qui grandirent dans les odeurs de sciure et de copeaux de bois.
La voie de Vittorio, le fils aîné, ainsi que celle de son frère, étaient toutes tracées, même si Frère Battisto, supérieur du Collège religieux, ne cessait de dire à Abbondio que ses deux garçons, excellents élèves, pourraient espérer accomplir de belles études. Abbondio laissait dire. Ses garçons étaient comme lui des forces de la nature et ils feraient d’excellents bûcherons, appelés à lui succéder plus tard.
Le destin en décida autrement. Un sombre dimanche de l’hiver 1757, Giulia Bagutti, alors âgée de 37 ans seulement, fut emportée en moins d’une semaine par une embolie pulmonaire aussi foudroyante qu’imprévisible. Abbondio, terriblement affecté et désemparé par ce terrible coup du sort, fut assez heureux de pouvoir confier les clés du ménage à une lointaine cousine, venue tout exprès de Bosco Chiesanuova, un autre village vénétien. Outre Vittorio, alors âgé de dix-sept ans, ce deuil brutal laissait en effet trois autres enfants en bas âge puisqu’Angiolina avait quatorze ans, Bartoloméo douze ans et Rénata huit ans et demi seulement.
Ladite cousine, Térésa Cassola, était une vieille fille de 35 ans, pas trop laide mais pas très épanouie non plus. Elle ne s’était en effet jamais tout à fait remise de la rupture de ses propres fiançailles, intervenue quelques douze années plus tôt, quand les carabiniers avaient dû arrêter son fiancé en état d’ébriété, dans une maison close de Vérone où il avait tenté d’étrangler une prostituée trop avare de ses charmes à son goût. Elle en avait gardé une irrémédiable défiance vis-à-vis des hommes et n’avait, depuis lors, jamais pu envisager de refaire sa vie de jeune fille. Elle s’était consolée en remettant son âme à Dieu et, confite en dévotions, n’attendait plus qu’une occasion pour faire de sa vie une œuvre de charité. Restée relativement proche de ses cousins Bagutti de Campolongo, elle avait tout naturellement proposé ses dévoués services à Abbondio, qui lui en fut infiniment reconnaissant.
Restait, malgré tout, à reconstruire une famille passablement bouleversée par le décès si brutal de Giulia.
Les premiers mois se passèrent au mieux, chacun ayant le souci de sauver ce qui pouvait l’être, à savoir la bonne harmonie familiale. Seuls les deux enfants les plus jeunes, Bartoloméo et Rénata, marquèrent durablement le coup en se réfugiant dans une prostration qui faisait peine à voir. Mais les efforts conjugués d’Abbondio, le papa, de Térésa, la tante maternelle, et plus encore ceux des frères et sœur aînés, finirent par ramener, à la longue, quelque sérénité dans le cercle familial ainsi recomposé. En quelques mois les quatre enfants retrouvèrent chacun leur tour leur ardeur scolaire, une fois maîtrisées les turbulences liées au choc affectif qu’ils venaient de subir sans y avoir été le moins du monde préparés.
Les choses commencèrent cependant à se gâter quand Térésa institua progressivement la fâcheuse habitude d’inviter de plus en plus souvent à déjeuner les dimanches à midi son confesseur et confident attitré, l’abbé Di Stampa, curé du village. En effet, elle consultait à l’envi cet homme affable et très pieux pour asseoir les principes éducatifs des enfants qu’Abbondio laissait totalement à sa charge. L’abbé ne plaignait pas son concours ni son temps, mais avec un penchant de plus en plus prononcé pour le prosélytisme. Persuadé que sa vocation, pourtant tardive, pouvait être contagieuse, il se mit à parler de plus en plus souvent de son petit neveu Alfredo, qu’il avait réussi à distraire définitivement de ses mauvaises fréquentations en le faisant entrer au petit séminaire de Vérone. Le trop bon apôtre prêchait ainsi pour sa paroisse, tout auréolé, de surcroît, du rôle d’exorciste qu’on lui reconnaissait dans tout le diocèse, depuis de nombreuses années. Il racontait volontiers, d’ailleurs, ses exploits en la matière, avec des histoires de filles « habitées du diable » ou de vieillards apostats qu’il avait, non sans difficultés, ramené « dans le chemin de la foi ». Vittorio, très intrigué par ces histoires aussi mystérieuses qu’impressionnantes, avait fini par obtenir du curé l’autorisation de l’accompagner lors d’une prochaine séance d’exorcisme. Il ferait office d’assistant, ce qui ne pourrait surprendre de la part d’un enfant de chœur attitré depuis longtemps. Le curé avait attendu le cas relativement bénin d’une vieille grand-mère a moitié folle, qui attirait bien des ennuis à sa famille en envoyant des sorts à tout le voisinage, à grand renfort de poupées percées d’aiguilles au niveau du cœur, avec des messages plus sataniques les uns que les autres. Le jour venu, Vittorio, portant pour la circonstance la blouse rouge et le surplus blanc de l’enfant de chœur, assista médusé au rituel du curé di Stampa, alternant impositions des mains, onctions d’huiles sur le front de l’impie, prières collectives et récitations par ses soins de couplets cabalistiques en latin. Pour la première fois de sa vie Vittorio touchait du doigt l’utilité de cette langue morte qu’il étudiait depuis des années. Il avait en effet l’impression de tout comprendre ou presque quand il entendait le curé Di Stampa ânonner quasi-mécaniquement des phrases comme celle-ci :
« Exorc