Jeanne et Joseph
194 pages
Français

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Jeanne et Joseph , livre ebook

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Description

Autour de 1350, après que son fils ait repris la couronne impériale, Jeanne de Savoie quitte Constantinople. Son confident Joseph, juif espagnol, relate leur amitié passionnelle. Le culte de la Mère de Dieu leur permet de transcender la diversité des religions et des préférences sexuelles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 novembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332900449
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-90042-5

© Edilivre, 2016
Où jadis chanta l’espérance
D’un monde d’une seule voix,
Au carrefour des voies,
Une princesse de Savoie
N’eut bientôt plus que doléances.
L’impératrice de Byzance
Dont maint Sires s’étaient épris,
Devenue Grecque, avec aisance,
Et n’aimant plus qu’en libre Esprit,
Ne fuyant fêtes et bombance
Que pour s’enivrer de silence,
Ne couchant dans le lit d’un roi
Que pour enfanter d’autres rois,
Pleurait de joie en poésie.
Dans sa cellule ensoleillée
L’entendit geindre un troubadour,
Qui devint, à peine éveillé,
Esclave du Seigneur Amour,
Contemplatif sans religion,
Ivre d’universalité,
Avide de passer le pont
Pour enseigner des vérités
Qu’il ne connaissait pas encore
À ses frères errants au nord
Ou prendre la mer vers le jour
Naissant d’un empire sans nom
Lui donnant une vraie raison
De vouloir vivre pour toujours.
1
Le soleil, déployant magistralement sa chasuble de nuages roses et dorés, allait se coucher sur le Bras Saint-Georges. Tous ces feux, culminant au dessus des Dardanelles, semblaient vouloir crier quelque chose. Tu imaginais chaque fois l’épée, le bras levé de l’archange Michel menaçant les sectaires des quatre vents de l’Empire. Le chef de la milice des anges projetait son rayon protecteur sur le havre de paix qu’allait peut-être devenir pour nous, là-bas, très loin, en Thessalonique, le monastère du Mont Athos.
Moi, je préférais voir dans ces signes célestes le geste rassurant de la main gauche du saint archange Gabriel, bénissant avec une infinie bonté le destin des sages universalistes qui, contre toute hérésie et toute orthodoxie, croyaient toujours que l’Empire romain, qu’on le byzantinise ou le germanise à sa guise, n’avait jamais disparu et, ce qui en est le corollaire immédiat, que l’Église ne pourrait survivre que si elle était une, et qu’elle ne saurait être une que si elle se faisait impériale.
Combien de fois nous fûmes bousculés, nos apaisements brusquement interrompus, où que nous fussions, toujours en partance, dans la chapelle ou sur la terrasse, que retentît le cri d’un garde qui nous enjoignait de déguerpir en vitesse sans rien emporter ou qu’arrivât à bout de souffle un eunuque affolé venu nous avertir qu’un nouvel attentat nous menaçait, le front turc ou la ligue antiturque nous barrant tour à tour les issues, chaque fois glacés jusqu’aux os par ces intrusions troublantes et ces cris alarmants, nous dûmes improviser un trajet nouveau et faire preuve de beaucoup d’ingéniosité dans nos tactiques de fuite.
Tu connaissais une petite chapelle en retrait où tu avais l’habitude de te rendre, à l’insu de la cour, pour t’adonner à la prière du corps, celle que je t’avais enseignée, moi qui ne suis pourtant pas Grec, cette prière presque dansante qui, substituant l’adoration en mouvement à la contemplation passive de la philocalie dont s’était entiché le tout Constantinople, pousse à l’extrême les principes sur lesquels se fondait la prière du cœur des hésychastes. Plutôt que préparer le corps, avec une rigueur presque morbide, à recevoir la lumière de Jésus, la prière du corps l’entraîne à célébrer dans la joie de la beauté de sa Mère. La pratique en devenait dangereuse au palais où régnait en despote la suspicion. Tu devais donc te retirer dans ce petit nid ensoleillé de Sainte-Marie-du-Paradis où, croyais-tu, rien ne pouvait t’atteindre, pour avoir le libre loisir de t’étendre sur les dalles, vêtue simplement d’une tunique de laine blanche, et t’adonner à ces exercices de respiration si apaisants que nous avait enseignés Valaque.
Cette chapelle était tienne. On t’y avait rebaptisée Anne afin de pouvoir autoriser ton mariage avec Andronic dans le rite orthodoxe, mais aussi pour éviter que les historiens te confondent avec celle qu’on appelle Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, fille aînée de Marie de Champagne et de l’empereur Beaudouin premier, un siècle avant que tu épouses l’héritier grec de la même couronne. Quoi qu’il en soit, tu étais là chez toi, vite enchaînée à l’odeur enivrante de la cire et de l’encens. T’assoupissant presque dans une rêverie qui te reconduisait toujours au bord d’un lac étal dans le miroir duquel se reflétaient de hautes montagnes enneigées, tu redevenais Jeanne. Tous les détails de ton existence grecque, tous les soucis, qui tendaient à devenir des tourments, se dissipaient au contact du marbre et des tuiles fraîches de l’obscurité oublieuse du lieu.
Il n’y avait aucun autre moyen d’avoir la paix. Quand tu t’y retirais, je savais que, dès que tu serais partie, je pourrais te fausser compagnie pour aller rejoindre parmi les cyprès de la colline les eunuques armés, cachés là pour surveiller les alentours pendant que tu prierais. Je buvais avec eux au clair de lune. Quand il n’y avait pas de lune, nous faisions du feu et je leur tirais de la gorge quelques vieilles chansons grivoises qui m’enchantaient.
Mais depuis peu, dans l’extrême fébrilité d’une guerre civile entre ton mari et son grand-père ou dans l’urgence d’un transfert de palais, je ne m’éloignais pas de toi. J’étais à tes semelles et je suivais tes pas comme si j’eusse été ton ange gardien. Ensemble devant l’icône de Marie au voile vert, celle dont l’œil droit de la sainte est placé exactement au centre du carré peint, la voix cassée par la peur et les yeux plein de larmes, nous avons chanté : Rose mystique, épouse inépousée, garde-moi du péché !
Chaque fois que les rues de la ville, à feu et à sang, étaient une fois de plus le théâtre de luttes fratricides et de crimes xénophobes, nous ne pouvions pas prendre le risque de nous y rendre. Tu étais, malgré toi, une maudite papiste et moi, encore plus condamnable, un apatride sans culture ni religion. Personne n’aurait eu envie de nous épargner. La soif de vengeance de nos ennemis était palpable dans tous les quartiers où ils entretenaient encore de trop nombreux parasites. Malgré le mariage de ton fils Jean avec la fille de ton ancien allié devenu ton rival – il avait fait le même coup à ton mari –, nous aurions risqué, à chaque pas, d’être harponnés sur la route de Mese, et poursuivis par les alliés des Cantacuzène, Alexis Apokaukos en tête, comme nous l’avons été si souvent tout au long de ces fuites insensées. Certains de ces Grecs y étaient même allés jusqu’à porter des habits turcs pour mieux nous tromper. Désormais dans le lit même de ton fils, une Cantacuzène de Didymotique faisait la loi : Hélène la tigresse, aussi opportuniste que son père, avec beaucoup moins de raffinement.
Seul Calliste avait échappé à cette épidémie, pire à tes yeux que la peste noire. Ayant été privé de son titre de patriarche pour avoir refusé de couronner Mathieu, le neveu de Jean Cantacuzène, ton vieil ami, l’hésychaste le plus équilibré que j’aie connu, s’était retiré au Mont Athos où il voulait consacrer à la prière de Jésus les jours qu’il lui restait à vivre. Ayant défendu jusqu’au bout le droit inaltérable de ton fils au trône de l’Empire, du seul empire qui méritât ce nom – car l’empire serbe des Uros, l’empire bulgare des Asen et l’empire des Comnènes à Trébizonde, étant tous fondés sur un principe de sauvegarde plutôt que sur l’avant-garde philosophique, n’allaient pas survivre –, Calliste avait renoncé à tous les titres et tous les biens qu’on lui avait proposés, parce qu’il condamnait toutes les alliances mercantiles. Selon lui, le bon chrétien devait tourner le dos à toute spéculation, matérielle ou intellectuelle, pour se consacrer à la prière. Mais à force d’être confronté à l’arrogance des Romains, d’une part, et d’autre part, à l’opiniâtreté des Grecs, il avait fini par comprendre que l’idéal transcendant de l’Un ne pouvait se réaliser qu’en pensée.
Nous avions tant de fois changé de domicile, soit qu’il fallût échapper aux troupes du grand-père de ton mari, soit qu’on dût esquiver les manœuvres de Jean Cantacuzène et de ses alliés. Et le temps pressait. Nous n’avons jamais pu déménager en paix. Notre séjour en Orient aura fait de la suite courtoise d’une impératrice une troupe de saltimbanques parcourant en roulottes les routes du monde. Quand nous ne semblions pas savoir où aller, un garde de mes amis ou l’un des eunuques, plus débrouillard que la plupart, nous conduisait vers un lieu sûr. Telles des biches affolées, parmi lesquelles bêlaient de peur quelques agneaux désarmés, dont ton humble serviteur, nous suivions notre guide de fortune vers un palais chaque fois moins luxueux, loin des griffes de familles grecques à prétentions impériales, loin du grappin des marchands de reliques, loin des couteaux sans merci d’envahisseurs sans histoire, nous courrions vers une autre prison domestique, toujours moins dorée que la précédente.
Combien de fois avions-nous réussi nos fuites, toi et moi, avec chaque fois de moins en moins d’eunuques et de femmes de compagnie ? Quand nous avions fui Andrinople pour Didymotique, ou quand nous nous étions échappés de l’emprise des Cantacuzène à Didymotique pour rentrer à Constantinople, quand nous sommes allés du grand palais, par le quartier génois, puis le quartier vénitien, jusqu’au palais des Blachernes, gardant toujours vive la flamme de notre amitié, jamais nous avions douté de nos succès. Mais cette dernière fois, après une deuxième guerre civile qui avait laissé Byzance exsangue, tout a basculé. Voulant laisser régner seul ton fils victorieux, nous avons pris la mer. Et au large de Lemnos, notre aventure commune a pris fin abruptement. Je n’ai même jamais su si tu avais pu te rendre auprès de Calliste au mont Athos. J’écris ceci pour que notre amitié ne subisse

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