La lecture à portée de main
680
pages
Français
Ebooks
Écrit par
Michel Zévaco
Publié par
La Gibecière à Mots
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Michel Zévaco (1860-1918)
"Une matinée de printemps claire, caressée de brises folles parfumées par les arbres en fleur des jardins du Louvre proches...
C’était l’heure où les ménagères vont aux provisions. Dans la rue Saint-Honoré grouillait une foule bariolée et affairée. Les marchands ambulants, portant leur marchandise sur des éventaires, les moines quêteurs et les aveugles des Quinze-Vingts, la besace sur l’épaule, allaient et venaient, assourdissant les passants de leurs « cris » lancés d’une voix glapissante, agitant leurs sonnettes ou leurs crécelles.
À l’entrée de la rue de Grenelle (rue J.-J. Rousseau) moins animée, stationnait une litière très simple, sans armoiries, dont les mantelets de cuir étaient hermétiquement fermés. Derrière la litière, à quelques pas, une escorte d’une dizaine de gaillards armés jusqu’aux dents : figures effrayantes de coupe-jarrets d’aspect formidable, malgré la richesse des costumes de teinte sombre. Tous montés sur de vigoureux rouans, tous silencieux, raides sur les selles luxueusement caparaçonnées, pareils à des statues équestres, les yeux fixés sur un cavalier – autre statue équestre formidable – lequel se tenait à droite de la litière, contre le mantelet. Celui-là était un colosse énorme, un géant comme on en voit fort peu, avec de larges épaules capables de supporter sans faiblir des charges effroyables, et qui devait être doué d’une force extraordinaire. Celui-là, assurément, était un gentilhomme, car il avait grand air, sous le costume de velours violet, d’une opulente simplicité, qu’il portait avec une élégance imposante. De même que les dix formidables coupe-jarrets – dont il était sans nul doute le chef redouté – tenaient les yeux fixés sur lui, prêts à obéir au moindre geste ; lui, indifférent à tout ce qui se passait autour de lui, tenait son regard constamment rivé sur le mantelet près duquel il se tenait."
Loïse, la petite-fille de Pardaillan, a été enlevée... Odet, le cousin de Jehan, est amoureux de Muguette et se met le couple Concini à dos... Mais s'il n'y avait que les Concini...
Les Pardaillan
Cycle V
La fin de Pardaillan
Livre I
Michel Zévaco
Août 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-945-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 943
I
Rue Saint-Honoré
Une matinée de printemps claire, caressée de brises folles parfumées par les arbres en fleur des jardins du Louvre proches...
C’était l’heure où les ménagères vont aux provisions. Dans la rue Saint-Honoré grouillait une foule bariolée et affairée. Les marchands ambulants, portant leur marchandise sur des éventaires, les moines quêteurs et les aveugles des Quinze-Vingts, la besace sur l’épaule, allaient et venaient, assourdissant les passants de leurs « cris » lancés d’une voix glapissante, agitant leurs sonnettes ou leurs crécelles.
À l’entrée de la rue de Grenelle (rue J.-J. Rousseau) moins animée, stationnait une litière très simple, sans armoiries, dont les mantelets de cuir étaient hermétiquement fermés. Derrière la litière, à quelques pas, une escorte d’une dizaine de gaillards armés jusqu’aux dents : figures effrayantes de coupe-jarrets d’aspect formidable, malgré la richesse des costumes de teinte sombre. Tous montés sur de vigoureux rouans , tous silencieux, raides sur les selles luxueusement caparaçonnées, pareils à des statues équestres, les yeux fixés sur un cavalier – autre statue équestre formidable – lequel se tenait à droite de la litière, contre le mantelet. Celui-là était un colosse énorme, un géant comme on en voit fort peu, avec de larges épaules capables de supporter sans faiblir des charges effroyables, et qui devait être doué d’une force extraordinaire. Celui-là, assurément, était un gentilhomme, car il avait grand air, sous le costume de velours violet, d’une opulente simplicité, qu’il portait avec une élégance imposante. De même que les dix formidables coupe-jarrets – dont il était sans nul doute le chef redouté – tenaient les yeux fixés sur lui, prêts à obéir au moindre geste ; lui, indifférent à tout ce qui se passait autour de lui, tenait son regard constamment rivé sur le mantelet près duquel il se tenait. Lui aussi, de toute évidence, se tenait prêt à obéir à un ordre qui, à tout instant, pouvait être lancé de l’intérieur, de cette litière si mystérieusement calfeutrée.
Enfin, à gauche de la litière, à pied, se tenait une femme : costume pauvre d’une femme du peuple, d’une irréprochable propreté, teint blafard, sourire visqueux, âge imprécis : peut-être quarante ans, peut-être soixante. Celle-là ne s’occupait pas de la litière contre laquelle elle se tenait collée. Son œil à demi fermé, singulièrement papillotant, louchait constamment du côté de la rue Saint-Honoré, surveillait attentivement le va-et-vient incessant de la cohue.
Tout à coup elle plaqua ses lèvres contre le mantelet et, à voix basse elle lança cet avertissement :
– La voici, madame, c’est Muguette, ou Brin de Muguet, comme on l’appelle.
Un coin du lourd mantelet se souleva imperceptiblement. Deux yeux larges et profonds, d’une angoissante douceur, parurent entre les plis et regardèrent avec une ardente attention celle que la vieille venait de désigner sous ce nom poétique de Brin de Muguet.
C’était une jeune fille de dix-sept ans à peine, une adorable apparition de jeunesse radieuse, de charme et de beauté. Fine, souple, elle était gentille à ravir dans sa coquette et presque luxueuse robe de nuance éclatante, laissant à découvert des chevilles d’une finesse aristocratique, un mignon petit pied élégamment chaussé. Sous la collerette, rabattue, garnie de dentelle, d’où émergeait un cou d’une admirable pureté de ligne, un large ruban de soie maintenait devant elle un petit éventaire d’osier sur lequel des bottes de fleurs étaient étalées en un désordre qui attestait un goût très sûr. L’œil espiègle, le sourire relevé d’une pointe de malice, le teint d’une blancheur éblouissante, capable de faire pâlir les beaux lis qu’elle portait devant elle, la démarche assurée, vive, légère, infiniment gracieuse, elle évoluait parmi la cohue avec une aisance remarquable. Et d’une voix harmonieuse, singulièrement prenante, elle lançait son « cri » :
– Fleurissez-vous !... Voici Brin de Muguet avec des lis et des roses !... Fleurissez-vous, gentilles dames et gentils seigneurs !
Et la foule accueillait celle qui se donnait à elle-même ce nom de fleur, frais et pimpant : Brin de Muguet, avec des sourires attendris, une sympathie manifeste. Et à voir l’empressement avec lequel les « gentilles dames et les gentils seigneurs » – qui n’étaient souvent que de braves bourgeois ou de simples gens du peuple – achetaient ses fleurs sans marchander, il était non moins manifeste que cette petite bouquetière des rues était comme l’enfant gâtée de la foule, une manière de petit personnage jouissant au plus haut point de cette chose inconstante et fragile qu’on appelle la popularité. Il est certain que ce joli nom : Brin de Muguet – qui semblait être fait exprès pour elle tant il lui allait à ravir – ce nom que d’aucuns abrégeaient en disant simplement Muguette, voltigeait sur toutes les lèvres avec une sorte d’affection émue. Il est certain aussi qu’elle devait faire d’excellentes affaires, car son éventaire se vidait avec rapidité, cependant que s’enflait le petit sac de cuir pendu à sa ceinture, dans lequel elle enfermait sa recette à mesure.
Derrière Brin de Muguet, à distance respectueuse, sans qu’elle parût le remarquer, un jeune homme suivait toutes ses évolutions avec une patience de chasseur à l’affût, ou d’amoureux. C’était un tout jeune homme – vingt ans à peine – mince, souple comme une lame d’acier vivante, fier, très élégant dans son costume de velours gris un peu fatigué et faisant sonner haut les énormes éperons de ses longues bottes de daim souple, moulant une jambe fine et nerveuse jusqu’à mi-cuisse. Une de ces étincelantes physionomies où se voyait un mélange piquant de mâle hardiesse et de puérile timidité. Il tenait à la main un beau lis éclatant et, de temps en temps, il le portait à ses lèvres avec une sorte de ferveur religieuse, sous prétexte d’en respirer l’odeur. Il est certain qu’il avait acheté cette fleur à la petite bouquetière des rues. À voir les regards chargés de passion qu’il fixait sur elle, de loin, on ne pouvait se tromper : c’était un amoureux. Un amoureux timide qui, en toute certitude, n’avait pas encore osé se déclarer.
La mystérieuse dame invisible, qui se tenait attentive derrière les mantelets légèrement soulevés de sa litière, ne remarqua pas ce jeune homme. Ses grands yeux noirs d’une angoissante douceur – tout ce que nous voyons d’elle pour l’instant – se tenaient obstinément fixés sur la gracieuse jeune fille et l’étudiaient avec une sûreté qui, avec des yeux comme ceux-là, devait être remarquable. Après un assez long examen, elle laissa tomber à travers le mantelet, d’une voix de douceur étrangement pénétrante :
– Cette jeune fille a l’air d’être très connue et très aimée du populaire.
– Si elle est connue ! s’exclama la vieille, je crois bien, seigneur ! Quand je suis revenue à Paris, il y a une quinzaine, je n’entendais parler partout que de Muguette ou de Brin de Muguet. J’étais loin de me douter que c’était elle. Quand je l’ai rencontrée par hasard, quelques jours plus tard, j’ai été tellement saisie que je n’ai pas su l’aborder. Et, quand j’ai voulu le faire, elle avait disparu.
– Et tu es sûre que c’est bien la même qui te fut remise, enfant nouveau-né, par Landry Coquenard ?
– Lequel Landry Coquenard était alors l’homme de confiance, l’âme damnée de signor Concino Concini, lequel n’était pas alors... suffit... Oui, madame, c’est bien elle !... c’est la fille de Concini !...
Ceci était prononcé avec la force d’une conviction que rien ne pouvait ébranler. Il y eut un silence bref, au bout duquel la dame invisible posa cette autre questi