La nuit des éventails
94 pages
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La nuit des éventails , livre ebook

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Description

Au début du XXe siècle, le tout jeune Émilien, fils bâtard d’une paysanne, fuit la ferme de son beau-père et s’engage dans un périple qui le verra tour à tour chaudronnier, garçon de cirque, puis saltimbanque... Presque cent ans plus tard, Clarisse, la cinquantaine tourmentée, romancière et auteure de pièces de théâtre, recherche un comédien pour la création de sa première pièce ; Adrien, un acteur trentenaire, énigmatique et à la sensibilité à fleur de peau, s’imposera dans le rôle principal. Ils n’ont a priori rien de commun. Mais les dés du hasard vont rouler. À moins que ce ne soit le destin, facétieux marionnettiste, qui s’amuse à tirer les ficelles...



Enseignante puis écrivaine publique, Cathy Borie se consacre depuis une dizaine d’années à l’écriture. Elle est l’auteure de plusieurs romans et recueils, et anime occasionnellement des ateliers d’écriture.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 juillet 2015
Nombre de lectures 7
EAN13 9791093552293
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Quand à travers les dédalesdu quotidien, un homme choisit de conduire un attelage dont l’un des chevaux tirevers la réalité et l’autre vers le rêve, sa route ne peut être facile, mais elles’enrichit des étoiles qui jaillissent au contact des deux mondes.
Charles Bukowski
 
 
Ici s’exécute le balletdes solitudes
dans un fracas qui étourdit.
Alexis Mattéi
1 Ce que l’on raconte
La vie des personnages de roman m’a toujours paru plus passionnanteque la vie réelle, la mienne en particulier. Sans doute avais-je cette sensationparce que les livres m’avaient accompagnée dès mon plus jeune âge, et que je vivaisau rythme de leurs rebondissements, projetant sur mon écran mental les images qu’ilsme suggéraient, celles-ci parasitant les paysages ou les visages que je captaisen direct.
Plus tard, au cours de mon adolescence, et au début de l’âgeadulte, je n’éprouvais les choses comme vraies que lorsqu’elles étaient écritessur le papier, notées sur une des pages des petits carnets qui m’accompagnaientpartout, et dont j’ai conservé plusieurs dizaines dans des cartons qui m’ont suivietout au long de mes déménagements. Simples observations ou développements introspectifs,ces gribouillis allaient de toute façon bien au-delà de ce que l’on trouvait habituellementdans un banal agenda. Leur lecture, des années plus tard, ne manquait pas de memettre légèrement mal à l’aise, tant me replonger dans ces états bourbeux d’adolescenteégocentrique et mal dans sa peau était efficace, ceci par la seule magie du déchiffragede ces mots écrits, à la hâte, sur des feuilles forcément trop petites pour recevoirla totalité des itinéraires mentaux qui en étaient à l’origine.
Pour autant, quand l’écriture devint plus qu’un passe-temps etse mit à donner lieu à des histoires romancées, et que je finis par trouver un éditeurpour la publication de ces productions, afin de les transformer en livres (ces objetsqui avaient toujours été pour moi aussi importants que des êtres de chair), je neparvins pas avant longtemps à créer de toutes pièces des univers entièrement imaginaires.J’avais beau estimer que c’était là un énorme handicap pour un auteur, il n’en restepas moins que mes romans, mes nouvelles, mes pièces de théâtre, ne furent jamaisque des mondes inspirés de ma propre vie. Je ne savais pas inventer. Paradoxalement,cette vie, ma vie, qui me semblait si terne, et bien moins intéressante que tousles parcours de mes héros de papier, m’inspirait mes plus belles pages, mes discoursles plus habiles, mes émotions poétiques les plus subtiles, mes mots les plus justes.En fait, je ressentais le besoin d’être au cœur des choses au moins à travers mesécrits, puisque je ne réussissais pas à y entrer dans le réel.
Il me fallut atteindre un âge respectable – en tout cas me permettantde me respecter moi-même – pour oser me lancer dans une entreprise que je considéraiscomme colossale, celle de ne pas me mettre au centre d’un récit, ne pas y décortiquerles sentiments que j’avais éprouvés, ne pas y semer les cailloux que j’avais heurtéssur mon chemin, ne pas y faire se croiser des fantômes de mon passé, ne pas y camperdes rôles d’individus rencontrés six mois ou dix ans auparavant. Il me fallait oubliertout ce que je connaissais pour m’aventurer dans un territoire totalement vierge,ou bien, à tout le moins, réagencer tout ce que je connaissais d’une manière nouvelle,comme on fabrique un patchwork original avec de vieux morceaux de tissus collectésà droite et à gauche. Je savais bien que, en cherchant bien, ou même sans tellementchercher, en étant juste attentif ou un tant soit peu observateur, on allait retrouverdes lieux, des dialogues, des personnages, issus de mon propre vécu, mais cela devraitconstituer néanmoins un parcours complètement neuf, une histoire inédite, fausse,imaginée. Rien n’aurait existé, je serais libre de créer le déroulement de A à Z,je serais Dieu. C’est sans doute ce pouvoir-là qui me faisait si peur.
2 Tout commence dans un verger
Émilien naquit en 1899   : la dernière année du siècle pourrait s’interpréter comme un symbole, sauf queles circonstances ne s’y prêtaient guère, situant cette naissance dans un contextebien plus trivial que celui d’une lecture prémonitoire de la vie qui attendait cenouveau-né non désiré. Sa mère servait comme bonne à tout faire dans une familleaisée de la bourgeoisie de province. Une province par ailleurs plus provincialeque d’autres, engoncée dans ses certitudes et sa ruralité, confite dans des croyancesoù le catholicisme bien-pensant le disputait aux histoires de sorcières, et où l’argentet la propriété donnaient à ceux qui en disposaient des pouvoirs quasi illimités,du moins était-ce l’impression de ceux – et ils étaient les plus nombreux – quien étaient dépourvus.
La mère d’Émilien, pauvre et ne possédant rien, sinon les vêtementsqu’elle avait sur le dos, ne s’était pas crue autorisée à faire plus que repousser,énergiquement, mais en vain, le fils de ses patrons qui l’avait culbutée, un soirde printemps, sur le pré où elle étendait la lessive, dans l’air frisquet, maisplein de senteurs qui montaient des églantiers bordant le verger. Elle n’avait mêmepas crié, s’était seulement débattue en ravalant les larmes qui débordaient de sesyeux, trop fière pour donner à son jeune patron la satisfaction de la voir pleurer,trop faible pour pouvoir échapper à son emprise, trop humiliée pour prononcer unseul mot après qu’il l’eut lâchée. Le linge était répandu sur l’herbe verte, etsur un des draps froissés qui avait servi de couche improvisée à leurs ébats, unetrace de sang témoignait de sa virginité maintenant enfuie. Elle se dépêcha de toutremettre dans le grand panier d’osier, mais il avait lui aussi remarqué la tacherouge, et son sourire moqueur s’imprima dans l’esprit de Berthe, comme une blessure,plus douloureuse encore que le souvenir des gestes brutaux de son maître, de saviolence contenue, de la brûlure, du déchirement. Ce sourire la hanta longtemps.
Elle y songeait encore le jour de la naissance d’Émilien. Elleavait dix-huit ans depuis quelques semaines, et elle savait déjà que sa vie ne commenceraitjamais, qu’elle se terminait là dans cette chambre glaciale, avec la mise au mondede cet enfant vigoureux et robuste qui lui crucifiait les entrailles et criait dansl’air froid, fermement emporté par les mains de sa grand-mère   : fille-mère, voilàce qui l’attendait, voilà ce qu’il avait fait d’elle avec cette tache de sang surle blanc du drap. Le printemps qui avait éveillé chez cet homme un désir de bêteavait aussi tué en elle toute possibilité d’une vie humaine digne de ce nom. Ilpouvait bien sourire, c’était plus que sa virginité qu’il avait volée et souillée,c’était son avenir, sa liberté, son être de femme.
Émilien cependant ne savait encore rien de la façon dont s’annonçaitsa vie, et des auspices peu favorables sous lesquels elle démarrait. Il fut un bébévorace et obstiné, à l’humeur plutôt égale et au sommeil profond. Peut-être cherchait-ilà faire oublier qu’il gênait, qu’il était un poids, et que, même pour sa mère, saprésence ne représentait pas une source de joie, mais une cause de complicationstoujours renouvelées.
À commencer par son emploi qu’elle avait dû quitter dès que sonventre était devenu bien visible   : les relations et amis de ses maîtres ne pouvaient évidemment tolérer d’être accueillisni servis par une pécheresse qui s’adonnait au sexe en dehors des liens du mariage.Eussent-ils su qui était à l’origine de son état intéressant que cela n’eût strictementrien changé à leur décision, ils renvoyèrent la mère d’Émilien dès le mois d’août,quand les plis de son tablier ne suffirent plus à dissimuler sa grossesse. Ellene travailla donc pas jusqu’à l’accouchement, si l’on admet que n’entrent pas dansla catégorie du travail les diverses corvées qu’elle effectuait sous le toit deses parents   :nourrir les volailles, désherber le potager, cuisiner, laver la vaisselle et lelinge, balayer, garder la vache, plumer les poulets, éplucher les pommes de terre,entretenir le feu, faire la soupe, et cela malgré la gêne que son ventre énormelui causa dans les dernières semaines, qui la faisait se dandiner du poulaillerau jardin, les mains sur les reins. La délivrance mérita largement son nom, ce jourde janvier où elle perdit les eaux alors qu’elle portait une marmite pleine pourl’accrocher dans la cheminée avant d’y mettre à cuire les légumes pour la soupe.Elle crut tout d’abord qu’elle avait renversé un peu du liquide hors du récipient,mais fut vite détrompée par la tiédeur gluante qui dégoulinait le long de ses jambes,sous sa jupe, et elle se mit à crier, un cri bref et effrayé de bête traquée, quifit accourir sa mère.
Il n’y eut ni médecin ni sage-femme pour présider à son accouchement,qui eut lieu dans le lit de ses parents, éclairé chichement par un soleil pâle defin de matinée. Elle était solide et peu douillette, mais Émilien, gros bébé pleinde vie, la mit en sueur et lui arracha les cris que son père n’avait pas réussià obtenir. Elle le mit au sein dès qu’il fut nettoyé et langé, et ne put s’empêcherde s’émerveiller devant l’appétit de son fils, qui tétait énergiquement, les yeuxfermés et les poings serrés, bien décidé à se lancer dans l’aventure de la vie,malgré le peu d’enthousiasme qui émanait de sa famille silencieuse et de cette tristejournée d’hiver.
Berthe ne resta pas longtemps fille-mère. Non que les prétendantsse bousculèrent pour épouser celle qui fut dès lors considérée dans le village commeune fille perdue, une moins que rien, et même, pour certains, une putain ; il n’y en eut en réalitéqu’un seul pour s’intéresser à cette jeune femme de bonne constitution, à la bouilleronde et au regard têtu, dont les joues roses et les bras potelés témoignaient d’uneévidente bonne santé, condition sine qua non pour donner envie à un fermier de lamettre à la fois dans son lit et sous son toit. Ce que fit le premier qui passapar là, avec l’assentiment de ses parents, craignant de ne pas voir une tel

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