La tondue
180 pages
Français

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Description

1945, la France est libérée. Yvette Martin rentre au pays qu'elle a fui quinze ans plus tôt pour " monter " faire sa vie à Paris. Un foulard cache mal ses cheveux courts, beaucoup trop courts, portant encore " les marques des ciseaux de la honte ". Dans son village natal où elle vient se réfugier, Yvette espère se faire oublier, retrouver la paix.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 93
EAN13 9782812916458
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La notoriété deMarie de Palets’est développée à l’heure de la retraite, lorsqu’elle a abandonné son stylo rouge d’institutrice pour sa plume d’écrivain. Lozérienne de racines et de cœur, elle met en scène sa province d’origine dans ses livres, dans lesquels elle dévoile sa connaissance intime du monde paysan d’autrefois. Un succès mérité jamais démenti.
LATONDUE
Mademoiselle Fine Le Sentier aride Tistou L’Enfant oublié Retour à la terre La Demoiselle La Tondue Les Terres bleues
Les Moissons amères
Du même auteur Aux éditions De Borée
Autres éditeurs
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © , 2012
MARIE DEPALET
LATONDUE
Àmes enfants et petits-enfants
Toute ressemblance avec des faits s’étant réellement déroulés ou avec des personnes ayant existé ne serait que pure coïncidence.
I
Le train du retour
ANS LE GRAND JOUR, maintenant, le train filait. La locomotive gémissa it et D Yvette se demandait si ce voyage finirait un jour... Le ronronnement qui emplissait le wagon finissait p ar l’endormir et, entre deux vagues de sommeil, elle ne pouvait s’empêcher de pe nser qu’elle n’arriverait jamais dans ce pays perdu. Depuis le départ de Paris, les paysages se succédai ent infiniment monotones dans leur variété... La fatigue l’engourdissait, le s arrêts la réveillaient et les champs défilaient en une mosaïque colorée que rompa it, de temps en temps, un village étagé sur la voie ou un bouquet d’arbres ra bougris luisant sous un soleil de plomb. Des gens montaient, restaient un moment puis descen daient au hasard des multiples gares qui jalonnaient le parcours. Les chefs de gare au drapeau rouge s’égosillaient s ur les quais. Ils s’agitaient et demeuraient ensuite plantés droits comme des sta tues regardant passer le train. Elle fourragea dans son sac, plutôt pour se donner une contenance que pour chercher quelque chose... Ses yeux, vaguement inqui ets, se posèrent craintivement sur un grand diable à gabardine beige qui montait les marches d’un air faussement désinvolte. Elle continua à fouiller, surveillant du coin de l’ œil l’inconnu qui s’installait posément sans regarder personne. Il haussa les pieds pour hisser une valise éculée d ans le filet qui surplombait la banquette et elle sentit un frisson la parcourir : la cherchait-on encore ? Mais non, ce n’était pas possible, tout n’était-il pas o ublié ? Elle s’efforça de cacher le tremblement de ses mains et ferma les yeux, espéran t en vain le sommeil. Au bout d’un moment, elle se leva, partit vers le coul oir et s’accouda à la vitre. Le paysage dévalait, les arbres se poursuivaient en si fflant. Dans le reflet des champs et des bois, elle observait l’homme qui, l’a ir indifférent, lisait un livre dont elle surprenait l’envol des pages au rythme de la l ocomotive. Le jaune brillant d’un champ de genêts ramena devan t son visage l’image d’une petite fille à la jupe trop longue et aux sab ots usés qui courait d’une fleur à l’autre, humant leur lourd parfum... C’est si loin ! soupira-t-elle, presque à haute voix. Elle se retourna, personne n’avait bougé ! « Mais qu’est-ce que je fais ici ? » pensa-telle, « en route avec des inconnus, vers un pays que je ne connais pas... Que je ne con nais plus... serait plus exact !... Dix ans, dix ans que je ne suis plus allée là-bas !... » Elle se rappela la voix cassée de sa grand-mère : « Ne va pas à Paris, Yvette, c’est une ville de dam nation !... Tu deviendras une fille perdue !... » Elle n’avait plus envie, aujourd’hui, d’égrener le rire clair qui, à l’époque, était monté à ses lèvres. « Une ville de damnation », ah, grand-mère, si tu avais su à quel point !... La grand-mère disait encore :
« Si, au moins, nous y connaissions quelqu’un ! – Je ne suis pas la première à monter à Paris. » El le était donc « montée » à Paris ! Et aujourd’hui, elle revenait vers ce pays qui l’av ait vu naître et qu’elle avait oublié ! La grand-mère n’y était plus, mais il restait toujo urs les parents... Comment allaient-ils l’accueillir ?... Elle leur avait écri t, bien sûr, mais si rarement !... Au premier de l’an, comme le voulait l’usage, et un e ou deux autres fois, elle ne se rappelait plus en quelle circonstance... C’était toujours le père qui répondait de sa belle écriture appliquée où l’on distinguait les pleins et les déliés. Elle avait l’ impression, en recevant ces lettres, qu’elles étaient adressées à un personnage importan t... Après tout, elle était bien devenue quelqu’un à Paris, puisqu’elle avait plusie urs fois, partagé la table des maîtres de l’heure...
À ce souvenir, elle ne put s’empêcher de frémir et jeta un coup d’œil machinal à l’homme à la gabardine. Rien... Elle se faisait s ans doute des idées, mais plus elle réfléchissait, plus cet individu lui paraissai t louche. Elle avait toujours cru qu’un sixième sens l’avertissait du danger et, main tenant, la peur lui nouait le ventre. Elle se dirigea vers les toilettes en remontant le foulard qui glissait de sa tête. De folles bouclettes courtes venaient crever sous l e tissu de soie mais le reste de la chevelure, malgré une savante indéfrisable, p ortait encore les marques des ciseaux de la honte... Peut-être que là-bas, pensa-t-elle, on ne devinerai t pas ce qui s’était passé. Elle retourna vers le lent déroulement de ses souve nirs... Mais que savait-elle de ces gens, sa seule famille ? Ils étaient devenus pour elle, depuis dix ans, de véritables étrangers. De toute façon, ils vivaient dans une région sauvage où il ne se passait jamais rien et où seul le travail com ptait. Pourtant, ils avaient vécu la guerre et ses restric tions : le père l’avait assez dit dans ses lettres !... Mais, elle les connaissait, i ls aimaient se plaindre et elle ne pouvait imaginer que leur vie ait été aussi terribl e qu’à Paris. Ils avaient regardé défiler les soldats, mais elle était sûre qu’ils ne s’étaient pas départis d’une hautaine neutralité, elle les co nnaissait trop bien ! La mère, ou plutôt l’épouse de son père qui l’avait élevée car sa mère était morte à sa naissance, toujours aux aguets derrière sa fenêtre, savait tout mais ne prenait jamais de décisions, laissant au père ce tte illusion. Elle racontait, scandalisée, les secrets qu’elle av ait pu surprendre, formulant, des hypothèses si elle manquait de preuves. Elle trouvait les solutions à proposer, mais ne les exposait jamais : son mari se chargeait de cette tâche. Elle le persuadait si bie n qu’il croyait dur comme fer que toutes les idées de sa femme, c’était lui qui l es avait eues le premier ! Elle, ses maigres cheveux striés de gris tirés en u n chignon court et anémié, son petit visage chafouin où ne passait aucune expr ession, lui donnaient un air de souris maladive. Elle levait un instant des yeux d’une couleur indéfinie, tirant sur le jaune, les posait sur son interlocuteur, pui s les baissait subitement, regardant le sol tant que durait l’entretien. Clémence, c’était son nom, louvoyait sans cesse, ne prenant jamais partie entre son mari et sa belle-mère qui avait mis des a nnées à comprendre son
manège... Trop tard, hélas !... Quand elle avait en fin ouvert les yeux, la pauvre vieille s’était retrouvée isolée, étrangère dans sa propre maison, exclue de toutes les commandes de la ferme ; son fils, lui-mê me, lui avait expliqué, un peu gêné tout de même, qu’on ne la tolérait que parce q ue sa femme, une sainte, insistait pour qu’il en fût ainsi. « Et pourtant », soupirait tristement la pauvre fem me, une larme sèche au fond de ses yeux enflammés, « la maison, elle est à moi. .. Et lui, il était si gentil avant ! » Son fils ne se posait pas de questions : le travail commandait, il travaillait. Il travaillait à en être abruti... Le soir, en mangeant la soupe d’orge, il écoutait l es doléances de sa femme et partait aussitôt en guerre contre le voisin qui ava it coupé l’eau du champ ; contre l’ami qui n’avait pas voté pour lui aux dernières é lections ; contre sa mère qui favorisait ses autres enfants ; contre le curé ; co ntre le maire ; contre tous enfin... Il partait en violences verbales qui dégénéraient e n conflits le lendemain matin. Il était le maître, à lui de régler toutes les hist oires qui pouvaient survenir au long des jours ! Il savait quelle attitude prendre ; sa femme le lui avait si bien expliqué !... Toute sa vie, Yvette avait assisté à ces scènes con tinuelles qui avaient brouillé sa famille avec plus de la moitié du villa ge. Elle revoyait son père fanfaronnant, n’écoutant personne et la mère, les b ras au ciel, essayant vainement de le calmer tout en cachant mal une jubi lation féroce. De toute la famille, elle n’aimait que sa grand-mèr e tendre et naïve qui la soutenait contre les insinuations de sa terrible be lle-mère. Son frère Jacques, le préféré, pouvait faire tout ce qu’il voulait. Perso nne ne lui reprochait jamais rien, mais elle, elle devait « filer droit », comme disai t son père, sinon les coups pleuvaient. Une chance qu’elle travaillât bien à l’école, cela lui avait permis, à quinze ans, sitôt son certificat d’études passé, de quitter la maison où elle se sentait de plus en plus étrangère... Elle remonta le foulard sur sa tête et revint prend re sa place dans le compartiment. L’homme à la gabardine lisait toujour s, et pourtant son livre paraissait être à la même page !... Elle l’observa attentivement et eut l’impression qu’il était lui aussi aux abois. Et si elle s’était trompée, si cet air qui se voulait désinvolte mais qu’elle avait appris à r econnaître durant toutes les années de guerre, cachait une peur égale à la sienn e... Son attitude, qui se voulait décontractée lorsqu’il était monté dans le train, le trahissait plus sûrement encore. Elle se rassura un peu et se tassa dans un coin, le s yeux mi-clos, surveillant l’inconnu. Au bout d’un moment, elle surprit son regard traqué qui examinait les autres voyageurs : la plupart, de braves paysannes endiman chées qui revenaient de la ville la plus proche. « Tiens, tiens », se dit-elle, « serait-il dans la même situation que moi ? » Le train chantait toujours de sa voix monocorde. La fin du voyage se rapprochait et un air de déjà vu venant des montagn es entr’aperçues depuis la banquette du train, lui rappelait le pays qu’elle a llait retrouver. Des vaches somnolentes levaient un œil éteint au br uit bringuebalant des wagons, puis se remettaient à brouter paisiblement. Un vent plus frais lui
caressa la nuque et elle se sentit des fourmis dans les jambes !... Le long voyage se terminait. La petite gare de la Bastide a pparut à l’horizon tel un jouet d’enfant. « Que c’est petit !... » pensa-t-elle. Elle saisit sa valise et se prépara à descendre.
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