Le pain des tranchées
75 pages
Français

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Le pain des tranchées , livre ebook

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Description

Auguste et Mina se sont mariés le 1er juin 1914. Deux mois plus tard, le 1er Aout 1914, sonne le tocsin : l’appel à la mobilisation générale. C’est la consternation, Auguste a 20 ans. Il quitte sa jeune épouse, son travail, pour revêtir l’uniforme, chausser les godillots et partir à la guerre qui comme tout le monde, il espérait rapide, mais qui s’éternise. Mina, restée seule au village fait de louables efforts sans toutefois recevoir l’approbation des villageois. Les lettres d’Auguste ne suffisent pas à combler sa solitude. C’est alors que Mina entreprend une démarche qui sera lourde de conséquences.

Informations

Publié par
Date de parution 02 avril 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312009414
Langue Français

Extrait

Le pain des tranchées

Margaux Charleux
Le pain des tranchées















LES ÉDITIONS DU NET
22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
« Sous sa gaine de pansements, des pieds aux épaules, mon corps était recouvert d'un mélange de crasse et de sang séché, et sous les gazes couraient encore les poux blanchâtres, qui éclatent sous l'ongle comme un bouton mou, avec une éclaboussure ignoble. »
Gabriel Chevallier. (La Peur)
























© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-00941-4
Chapitre 1
Mina décacheta la lettre d’un doigt fébrile.

Ma chère femme,
Ce soir j’ai le cœur bien gros, car aujourd’hui si j’avais été à la maison, j’aurais été de repos, ce qui ne veut pas dire que je n’aurais rien fait. Mais être auprès de toi et de ceux qui me sont chers, boire mon café et sans doute scier du bois . La réserve doit s’épuiser !
Comme tu le sais, je restais rarement à ne rien faire, mais je me dis aussi que j’aurais pu en faire davantage. J’essaie d’être philosophe, peut-être le bon temps reviendra-t-il, ce bon temps où j’étais parmi vous dans notre tout jeune bonheur. En attendant je suis de garde avec un copain. Nous sommes un petit poste de quatre hommes. Il y avait deux autres soldats à cent mètres de nous. Nous avons passé deux heures ensemble et bu deux litres de vin jusqu’à sept heures du soir, car c’est l’heure de la fermeture des cafés. Ensuite retour à la maison, je dis à la maison car à PT petite commune de 370 habitants, c’est là que nous logeons. Je t’assure que nous sommes bien serrés ! Côte à côte et bout à bout. Il n’y a pas de place perdue, aujourd’hui on n’y fait plus attention. Coucher à la dur n ’est plus un problème, on dormirait même sur des pierres ! Pour l’instant ce ne sont pas nous les plus malheureux, nous passons notre temps à nous chauffer et à lire le journal, tant que ça ira comme ça, ce sera bon. S’il n’y a rien de changé nous retournerons dimanche au fort de C. On prendra la relève des autres soldats. Je crois qu’on va avoir un peu de gelée, il commence à ne plus faire très chaud.
J’essaie de bien me garantir car je suis de garde. J’ai mes souliers sabots, mes gants et ma charmantine. Ce qui m’ennuie le plus, c’est de ne pas trouver de lait. Le vin me fait mal à l’estomac et puis toujours du bœuf, ça dégoutte un peu. Hier, nous avons eu du miel comme dessert, un kg par escouade !
Dans quelques jours nous repartirons faire des tranchées à l’avant. On ne se bat pas toujours à la même place et de ce côté on ne peut guère aller plus loin pour le moment. On serait sous les forts de Metz. Tous les soirs nous voyons les puissants réflecteurs fouiller dans la nuit pour voir s’ils ne découvrent pas quelque chose.
Après notre départ, il n’y eut qu’un jour de combat. Ceux qui nous remplacèrent, ne se couchaient qu’un jour sur deux dans la tranchée et leur plus grand travail fut d’enterrer les morts, c’est une bien triste besogne.
Ma chère femme, il me faut te quitter pour aujourd’hui, car il ne me reste plus assez d’encre pour t’écrire. Je t’embrasse très fort ainsi que la famille.
Tu trouveras ce modeste cadeau que j’ai eu le temps de préparer quelques semaines auparavant. Je l’ai taillée dans des fusées d’obus et gravé à nos initiales. Comme tu le vois, les Boches nous fournissent la matière première. Je t’embrasse très fort ma Mina.

Auguste.


Mon cher mari,
Merci, merci du fond du cœur pour ta jolie bague, j’en ai encore les larmes aux yeux.
Ta lettre est arrivée ce matin, je l’ai lue et relue en faisant les cents pas dans notre chambre, en la dévorant, avec notre photo de mariage sous les yeux, laquelle subit mes baisers chaque soir avant de m’endormir. Déjà neuf mois que tu es parti et le temps me semble si long, loin de toi. Chaque matin quand j’ouvre mon armoire, je vois tout le trousseau marqué à nos initiales M.A. Tout ce linge que j’ai patiemment brodé pendant de si longues heures dans l’attente de mon bien-aimé. Et ce fut toi, qui enflamma s mon cœur. Je ne sais plus qui a dit que « L’amour est un trésor de souvenirs », les nôtres n’ont que trois mois d’existence, mais pourtant il n’y a pas un seul jour où je ne me remémore, chaque minute, chaque instant passé ensemble.
Sous mes paupières baissées, je nous revois sous le soleil si bleu, sous notre campagne si belle et je me laisse couler dans le souvenir de notre vie commune.
Tant de projets caressés, notre nid d’amour à construire et surtout un bébé qui aurait eu tes magnifiques yeux pervenche et mon fichu caractère, comme tu me le disais parfois sans méchanceté.
Ici tout devient plus difficile le soir quand la maison s’endort dans le silence de la nuit. Je me couche seule dans notre lit où je n’ai plus tes grands bras rassurants qui m’entourent, tes mains qui se posent sur moi, tes mots doux soufflés à l’oreille qui me grisent mieux que pourrait le faire un très bon vin de notre région champenoise.
Je sais qu’il me faudra être patiente et que cette patience réside dans l’humilité, la force et la mesure, c’est ce que me disent les femmes au village. On voit déjà sur leur visage une telle résignation. Moi, je ne veux pas, j’ai peur que nous n’ayons pas le temps.
Je dois te paraître bien égoïste avec mes états d’âme, toi qui te bats pour rester en vie dans le froid et l’obscurité. J’essaie de m’imaginer, mais je n’y arrive pas ou plutôt je manque de courage. J’ai peur pour toi, pour nous, cela me semble tellement irréel.
Le colis est prêt avec tout ce que tu m’as demandé. J’y ai ajouté une paire de gants, deux paires de chaussettes en laine et une charmantine supplémentaire pour te protéger du froid.
Je voudrais que tu saches combien tu comptes pour moi. Je n’ai pas su te montrer ou pas eu le temps de te dire l’admiration que j’avais pour ta gentillesse, ton intelligence et ta séduction naturelle qui te porte au-devant des gens, toi le facteur qui jouissait d’une aura indiscutable dans tes tournées.
Je viens de jeter un coup d’œil par la fenêtre, la neige a cessé de tomber et un soleil timide se risque à travers les stratus. Il a fait un temps épouvantable toute cette semaine et la hauteur de neige dépassait les soixante centimètres, si bien que je ne suis pas sortie de la maison. Donc, je vais en profiter pour parcourir nos coins préférés. Je reviens vers toi, très vite.

Je suis de retour et me suis empressée d’activer la cuisinière à bois, tant j’ai l’onglée. Tu te souviens de la fierté d’Hortense lorsqu’on lui a livré cette cuisinière. Comment elle s’extasiait devant les deux grandes plaques chauffantes et le robinet muni de son petit réservoir d’eau chaude ? Toutes les voisines étaient venues voir l’objet car elle était la seule à posséder une telle machine au village. Pauvre Mamou, elle me manque terriblement, le seul membre de ma famille qui me restait. Heureusement, il y a Eugénie, elle est à notre service depuis si longtemps qu’elle est intarissable quand il s’agit d’évoquer Mamou Hortense.
Je me suis engagée dans notre forêt. Celle où tu m’avais fait ta demande en mariage, mais celle aussi où ce dimanche du 1 er août 1914, nous venions d’apprendre la terrible nouvelle.
Un dimanche qui s’annonçait si bien ! J’étrennais, te rappelles-tu, ma robe de mousseline vert d’eau assorti à cet immense chapeau orné de plumes de geai dont tu te moquais si souvent.
Nous nous faisions une telle joie de cette réunion de famille chez le cousin Ferdinand. Je nous revois encore sous le grand tilleul, écoutant chanter les anciens et applaudissant à leurs blagues égrillardes.
Quand je pense qu’il n’y a maintenant pas loin de neuf mois que tu es parti. On nous avait pourtant assuré que cette guerre ne durerait que quelques semaines!
Au village chacun s’entraide au mieux. Je ne suis pas à plaindre comparé à la plupart des femmes qui doivent se débrouiller pour nourrir leurs enfants. Un paysage sans hommes, on s’habitue difficilement. Il n’y a que les vieillards qui se retrouvent entre eux à vider un verre chez Olympe pour parler de

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