Le Prince Travesti
164 pages
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Le Prince Travesti , livre ebook

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Description

Gérard Pouillot conte l'étonnante histoire d'un tableau unissant un couple par-delà la mort. Deux amants insouciants sont rattrapés par les drames qui agitent le tourmenté XXème siècle. Séparés dès le début de la Seconde Guerre mondiale, ils échangent une intense correspondance, dans l'attente fébrile des retrouvailles. Mais la douce jeune femme meurt tragiquement avec leur fille dans un bombardement. Passionné par le dessin depuis l'enfance, son mari décide alors d'exploiter ses talents en mémoire de celle dont la disparition le laisse inconsolable. Pour « combler son absence par sa recréation », il réalise le portrait de l'amour de sa vie. Quelle n'est pas sa surprise, lorsqu'il découvre à postériori que son « idéal féminin » correspond trait pour trait au style d'un illustre peintre. En toute modestie, il garde l'anonymat et confie son tableau, qui est pris pour un original, au Musée d'Art moderne de Paris.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 janvier 2017
Nombre de lectures 1
EAN13 9782334247368
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-24734-4

© Edilivre, 2017
I Illusions
Papa était l’être le plus agréable qui soit. Pourtant, avec ses moustaches démodées, taillées en guidon de vélo, son visage revêtait une expression si comique que je n’ai pu m’empêcher de le dessiner derrière son dos. Les ondulations crantées de ma sœur Mathilde, au contraire très dans l’air du temps, n’ont pas non plus échappé à mon inspiration. Car durant toute mon enfance, j’ai bien aimé manier le crayon. D’instinct, j’ai toujours ressenti le besoin de reproduire ce que je voyais et une volupté certaine à y parvenir. Pourtant, un incident au début de l’école primaire a failli mettre en péril ma vocation naissante. En effet, j’avais eu le malheur de dessiner monsieur Rouquette coiffé d’un bonnet d’âne surmontant une tête ébouriffée de sauvage. De mon point de vue, il le méritait car il avait injustement accusé mon camarade Vincent de bavardage alors que « c’était même pas lui ». Mon père avait tenu à justifier le maître et défendre son autorité, qualifiant son attitude du fameux « sévère mais juste » alors que de mon côté, j’ai pendant un temps assimilé méchant avec règlement.
Par chance, deux ans plus tard, monsieur Paoli m’a permis de réconcilier dessin et discipline. Cet instituteur très bienveillant avait vite remarqué mes dons de portraitiste. Il m’a encouragé dans cette voie tout me conseillant de diversifier mes sujets, de me mettre à la peinture et pourquoi pas, songer à en faire mon métier. Du coup, je lui ai offert un dessin le représentant en saint Louis rendant une paisible justice parmi les élèves de notre classe. Il a reçu mon don en me félicitant avec un sérieux appuyé. Pourtant, je n’ai jamais osé parler à mes parents de mon goût pour cet art ni de cette suggestion ; ils auraient haussé les épaules en me conseillant de remettre les pieds sur terre. Leur crainte aurait été trop vive de me voir embrasser une profession qui ne nourrisse pas son homme. Gagner sa croûte était suffisamment dur et important pour que l’on évite de mélanger les genres et plaisanter à ce sujet. Si j’avais absolument insisté pour adopter un métier lié à la couleur, ils auraient sans nul doute préféré pour moi un statut de peintre en bâtiment.
À Meudon, le petit jardin entourant la maison m’a offert de nombreux sujets d’exercice, tant ses modestes parterres de fleurs que les plantations du potager. Je me suis essayé aussi avec notre chienne Biscotte que j’ai eu beaucoup de mal à faire tenir en place. C’était un pur bâtard avec deux oreilles asymétriques et un air finaud très amusant à fixer sur le papier. Pourtant, ce sont les visages humains que j’ai toujours préféré représenter. Dans la maison, j’éprouvais une certaine jouissance à ébaucher la silhouette de mes frères et sœurs, souvent sans qu’ils ne s’en aperçoivent. J’essayais de les surprendre dans leur attitude familière, parfois rêveuse, batailleuse ou lointaine. C’était au départ des croquis au crayon mais lorsque le sujet me plaisait ou que l’esquisse était réussie, je reprenais l’œuvre loin de leur regard en la transposant sur une vraie toile de lin, avec de la peinture à l’huile. La plus grande part de mes maigres économies était consacrée à l’achat de fournitures. Œuvre peut paraître pompeux, d’autant qu’en général je ne suis guère porté à la vanité, mais étrangement je supporte mal que l’on me chatouille sur ce chapitre. J’estime être un amateur éclairé qui travaille avec rigueur et minutie ; ferveur parfois lorsque le sujet m’inspire. À la frontière entre artiste et artisan en somme.
Une seule fois, je me suis risqué à reproduire un tableau ancien. Dans notre salle à manger, au-dessus du buffet trônait l’Angélus de Millet. Mon père, quelque peu anticlérical aurait souhaité le placer moins en évidence en l’accrochant dans la cuisine, mais plus pieuse, maman l’avait gentiment repris et convaincu de le laisser en place. C’était une réplique de modeste qualité, mais je trouvais le sujet harmonieux et émouvant. Elle éveillait en moi le travail de la terre, le calme et une certaine patience lente qui m’auraient convenus. Avant de la peindre, j’ai attendu d’être seul à la maison pour m’en imprégner en silence. Cette atmosphère paisible, la pénombre recouvrant la terre et les silhouettes des deux époux en prière m’inspiraient. Il m’a fallu huit séances pour terminer l’exercice plus qu’honorablement. Pourtant, bien que j’aie ressenti du plaisir à cette reconstitution, je n’ai pas été vraiment convaincu d’être parvenu à restituer l’esprit de l’orignal. C’est pourquoi je n’en ai soufflé mot à personne dans la famille. Plus tard, durant mes études d’ingénieur, mon habileté manuelle m’a rendu service pour le dessin industriel et même les travaux en atelier.
Eugène, mon frère aîné, m’a toujours manifesté une amitié particulière, presque de la tendresse même, enfouie sous un ton bourru et derrière sa moustache ébouriffée. Certains dans ma famille m’avaient bien aperçu en train de voler leur image mais ils n’en avaient conçu qu’une indifférence amusée. Lui fut le seul à s’être intéressé au résultat final et à m’en féliciter avec des accents de sincérité. En 1928, il a visité le Salon des Indépendants d’où il a ramené une belle reproduction, très soignée, à l’échelle du tableau d’origine. Quelques années plus tard, il me l’a offerte « avec toute l’affection d’un aîné pour son benjamin », m’a-t-il déclaré. A son air mystérieux, j’ai d’abord supposé qu’il avait entrevu ma copie de l’Angélus en entrant à l’improviste dans ma chambre. Pourtant, à ses propos, j’ai estimé qu’il n’en était rien : « Toi frérot, tu aurais dû devenir artiste, t’exercer à copier des tableaux de grands peintres. Maintenant, c’est un peu tard. Tu étais doué, dommage. » En tout cas, il avait visé juste dans son choix de cadeau, assuré de me faire plaisir.
Pourtant à l’époque, mis à part le fameux Angélus, j’étais résolument resté aux antipodes du monde officiel de l’art. Longtemps j’ai ignoré les extraordinaires courants qui l’avaient animé depuis la fin du siècle dernier. Non pas réticent, mais absent à un degré affligeant. Dans ma jeunesse, mes parents m’avaient bien fait visiter le musée du Louvre, mais au pas de course, afin qu’en parcourant un maximum de salles, ils n’aient pas l’impression de gaspiller le prix du billet. Tous les autres lieux publics d’art parisiens me sont restés inconnus, quant aux galeries privées, j’ignorais jusqu’à leur existence. Ainsi, demeuré éloigné des nouveautés artistiques, j’aurais à l’évidence été incapable de citer le nom de l’auteur de l’œuvre, ni le mouvement ou l’école dans laquelle on rangeait le cadeau d’Eugène.
Sans que je puisse en analyser la cause, le style du tableau m’a plu d’emblée. C’était le portrait grandeur nature d’un visage de femme, longiligne, brune, à la moue un peu boudeuse. Un beau visage calme et serein, aux yeux mi-clos, les cheveux presque acajou, sagement ramenés en arrière. Pourtant, comme s’il s’était agi d’un personnage réel, quelque chose m’irritait en elle, son dédain peut-être, son indifférence sûrement. Son regard qui n’en était pas un m’attirait, il regardait sans voir, il savait sans avoir appris. Son cou surtout m’a paru surnaturel. Fin, lisse, immatériel. Le cou féminin m’a toujours ému, il me donne l’impression d’émettre un parfum, fragile, satiné comme des pétales de fleurs. Ce tableau me captivait à un point tel que pendant plusieurs mois, à l’insu de tous, j’ai été pris d’une frénésie de reproduire ce visage. J’en ai fait de multiples copies tout en constatant avec une satisfaction troublée que je parvenais à emprunter le style du peintre sans réel effort, comme si c’était moi qui avais inventé l’original. Quelle différence avec la peine et les efforts pour reproduire l’Angélus ! J’ai même réalisé des variations de ce visage en modifiant les traits et variant les tonalités, mais en conservant ce style dominant. Plusieurs années durant, j’ai accroché les plus réussis dans ma chambre devant une rangée de livres. Puis, par manque de place j’ai dû me résigner à reléguer ces jolis portraits à la cave, empilés l’un sur l’autre. Quant à la reproduction offerte par Eugène, elle demeura pieusement emmitouflée dans un morceau de velours blanc.
Quelques années après, peut-être ai-je aimé Élina pour son cou, le même que celui du tableau. Ce que le visage du tableau ne montrait pas, c’était sa silhouette svelte et musclée, à mes yeux parfaite. Lors de notre première rencontre, sa longue robe blanche la soulignait à ravir. Elle avait été réalisée par sa petite couturière de quartier dans l’esprit d’un modèle de chez Lanvin. Au bal où j’ai fait sa connaissance, c’est aussi sa timidité fragile qui m’a attiré, des yeux bleus doux et patients encadrés par une crinière bouclée. Et sa manière de parler d’une voix douce, légèrement rauque, presque craintive me captivait. Mon enthousiasme m’a conduit à lui demander sa main presque aussitôt. Comme si j’avais craint qu’un plus hardi que moi ne me chipe une aussi jolie jeune fille. Papa était décédé deux ans avant et je soupirais de n’avoir pu la lui présenter. Sûrement aurait-il aimé son caractère tout en demeurant pensif face à son élégance appuyée. Je savais pourtant très peu d’elle, si bien que l’annonce de mon choix à maman resta maigre de renseignements sur des éléments concrets et particulièrement son poids financier. À défaut de mieux, j’ai cependant insisté sur son lieu de naissance, Honfleur, dont Élina m’a loué la douce lumière, les jours où il ne pleuvait pas. Faute d’autres précisions avérées, j’ai lourdement mis en avant ses charmes physiques et sa délicatesse enjouée. Maman

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