LE SOUPIR DES VAINCUS
224 pages
Français

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LE SOUPIR DES VAINCUS , livre ebook

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Description

Au milieu du XIXème siècle, époque très sombre de l’histoire de Tunisie, le gouvernement beylical amène le pays à la banqueroute. La famine et la misère sévissent et favoriseront l’installation du protectorat français en 1881. Alia Mabrouk nous fait découvrir cette période tragique à travers le roman d’un monde rural, toujours méconnu, et du peuple des souks, souvent soumis. Derrière Ali Ben Ghdehem, une coalition de toutes les tribus du pays se forme. Oubliant leurs inimitiés ancestrales, les chefs parlent d’une seule voix et élèvent Ali Ben Gdhehem au statut de Bey el Omma, le bey du peuple. L’insurrection est durement matée, certes, mais du plus profond de la révolte, naît une notion nouvelle, un concept d’État jusque là inconnu qui sont les prémices de la lutte pour l’indépendance de la Tunisie et également de ce qui s’est passé le 14 janvier 2011.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9789973706324
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

le soupir des vaincus
Édition de poche : ISBN 978 9973 706 32 4 © Déméter 2021
Alia MABROUK
LE SOUPIR DES VAINCUS
Chronique d’une insurrection, Tunisie 1864
ROMAN HISTORIQUE
Déméter
L’auteur remercie particulièrement SiMahmoud Bouali, qui lui a fourni des documents* relatifs à cette époque.
* Les passages en caractères italiques sont des citations.
(…) Les quatre-vingt-seize mille trois cents expulsés n’étaient pas des Maures mais des autochtones, des Européens comme ceux qui les ont massacrés ou chassés. Mais ils avaient le tort d’être musulmans. L’histoire de la Reconquête racontée dans les livres d’histoire aujourd’hui, c’est l’histoire de la Seconde Guerre mondiale écrite par Hitler s’il avait gagné la guerre. Que diraient les livres scolaires sur les camps de concentration et d’extermination, sur le génocide des gitans, des Juifs et de tous les « sous-hommes », si Hitler avait eu le pouvoir d’écrire l’histoire ? Pas grand-chose assurément, Isabelle la Catholique et Ferdinand ont gagné la guerre, ils ont écrit l’histoire que les enfants apprennent aujourd’hui à l’école de Yegen. L’histoire ofîcielle est par déînition l’histoire des vainqueurs (…) Contrairement aux catholiques, les musulmans, qu’ils soient berbères ou arabes, une fois arrivés en Espagne, ne se sont pas empressés d’éliminer les populations existantes. Ils les ont dominées, converties, assimilées. L’Espagne n’a pas été pour les conquérants musulmans un pays de peuplement et ceux qui ont été massacrés ou expulsés des Alpujarras par les chrétiens n’étaient donc pas en majorité des Moros mais les indigènes des Alpujarras…. *
* Journal d’un berger nomade. Pascal Wick. Page 17,18.
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J’assiste à la déchéance d’un peuple vaincu. Sa grande histoire, sa lointaine ascendance, sa culture n’ont pas suf à maîtriser ses bourreaux, à juguler l’effondrement où l’entraîne une poignée d’hommes sans scrupule. Peuple d’Afrique, pourquoi te délabres-tu de la sorte ? Je veux le savoir.
Jellal hoche la tête avec application, consciemment, jette un coup d’œil à la chambre : le lit défait, le cendrier débordant de déchets de tabac brûlé, le fauteuil éventré devant une fenêtre donnant sur la rue, il a remplacé un des carreaux brisé du battant droit par une planche de bois de caisse qui, en prenant la pluie, gondole, il va la changer mais il a toujours mieux à faire. La vérité il doit la dire car elle est dans ces livres, là sur les rayons de sa bibliothèque, tous ses livres soigneusement classés avec amour, avec respect aussi pour tous ces penseurs qui ont su mettre sur une feuille blanche leur émotion, leur révolte ou leur conception de la vie. Peu lui importe le désordre de la pièce, l’ordre est dans les pages écrites mémorisées
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dans sa tête, cela lui suft. L’histoire de son pays est si dense, si foisonnante qu’il en a le tournis. Hommes de culture, commerçants, nanciers, penseurs, philosophes, théologiens, agronomes, cultivateurs, nomades, navigateurs. Quel domaine leur a été inconnu quand ils remplissaient leurs carnets de voyage, établissaient des comptoirs sur les côtes des mers, négociaient des traités ou assuraient des livraisons de produits manufacturés dans leur pays, quand ils philosophaient, quand ils scrutaient le ciel à la recherche d’autres mondes, quand ils soignaient le corps humain et que les terres donnaient des moissons luxuriantes grâce à leur génie agronome ? Leur ascension a-t-elle atteint cette apogée qui précède la dépression? Non, il ne veut pas y croire. Il donne un coup de pied à la porte de l’armoire qui grince de douleur, se ferme, bute contre des affaires pêle-mêle et reprend la même position béante. Il hausse les épaules, relève le col de sa veste, resserre sur ses hanches saillantes, une ceinture au cuir râpé, retrousse les manches de la veste. Un miroir lui renvoie l’image d’un homme perdu dans un costume européen offert par un collègue de Paris. Dire la vérité ! Éclairer l’obscur, dévoiler le caché. L’actualité de ce jour. Donner la parole aux oubliés, aux miséreux, aux ventres creux, à tous ceux que le monde intelligent conne dans la léthargie du travail harassant, vide et sans espoir d’amélioration. Donner la parole à ce bloc humain qu’est le peuple, masse prolétaire à user car là est sa destinée. Dieu dans sa grandeur l’a voulu ainsi. Dieu aime les patients, ceux qui sur terre n’ont et n’auront jamais rien, comme tous ceux qu’il côtoie dans la rue.
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Jellal tire de sa poche un gousset en vieux cuir, délace les cordons, sort une bouffarde au fourneau calciné. Il l’introduit entre ses lèvres nes, crispe ses dents sur l’embout blanchi par sa salive nicotinée, bourre sa pipe, tasse le tabac de son index jauni. Sa respiration sife, se précipite, anticipant le moment de jouissance quand ses poumons seront envahis de fumée. Il plisse les paupières de plaisir inassouvi. Sa main tremble. Ce n’est que lorsque la amme du briquet lèche le tabac et que d’une profonde contraction des joues, il aspire une longue bouffée, qu’un état fébrile s’empare de lui. Il sort la clé de sa poche, ouvre la porte, la claque et descend en courant l’escalier pour se fondre dans la foule laborieuse de la rue. Il reconnaît ce peuple de Tunis dans le brouhaha des voix, peuple bayadère comme les stries de la trame d’un tissu, avec les gestes, le parler, la particularité de chacun. L’étranger et son vêtement exotique qui traverse la place pour rejoindre, sur l’avenue de la mer, un bar ou le bureau de quelque négociant ou encore la salle d’imprimerie d’un journal pour y glaner quelques informations ou en transmettre. Le commerçant avec ce tic des lèvres comme s’il comptait inlassablement son stock de produits et le comparaît à ses bourses de piastres et l’homme de la campagne et son long regard er qui lui interdit toute activité mercantile qui n’est pas compatible avec cette image qu’il s’est forgée, image de seigneur au burnous étoilé de trous. Chercher la vérité, rien que la vérité, la vérité vraie, même si les ennuis viennent avec elle. Mais il ne veut pas penser à cette étape, vivre la minute présente avec la vérité comme soleil éclairant cette existence déla-brée. Il ricane. Délabrée comme cet environnement fait
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de maisons au bois des portes mangés par la vermine, aux volets des fenêtres éclatés, aux peintures écaillées enn à tout ce qui l’entoure et qui achève de lui enfon-cer ce clou au cœur avec plaisir, oui avec plaisir car tout est illuminé par ce soleil automnal qui se rit des immondices jonchant la ruelle, des aques puantes à faire vomir mais qui ne fait pas vomir les habitants du quartier. Pourquoi donc en a-t-il des nausées, lui? Qui est-il ? Soi-disant journaliste, qu’un bureau de Paris a alléché lui promettant la gloire s’il rapportait quelques histoires sur les gens en vue, la famille du Bardo ! C’est peut-être cela qui lui soulève le cœur. Épier, gla-ner et vendre. Tromper la conance. Tout lui soulève le cœur ! La richesse des ministres, la pauvreté des gens. La bêtise des hommes n’a d’égal que l’indiffé-rence de ce soleil jouissant dans la puanteur. Mais bon sang le soleil n’a-t-il pas d’odorat ? Ou de bon sens ou d’éthique ? On ne peut pas rire dans la fange ! Alors, que fait-il là à se vautrer dans cette ruelle, à longer des murs percés, à mettre des ombres pour mieux faire apparaître la lumière, à chauffer à blanc les toits de tuiles. Que fait-il dans la misère le soleil ? Il ne devrait illuminer que les campagnes euries et vertes, au prin-temps, oui seulement au printemps même pas en hiver. Il glisse sur un rat mort, noyé dans une aque. Furieux, il essaye d’essuyer sa chaussure sur une pierre, et reprend sa route. Un petit marchand lui propose un gobelet d’eau, une frimousse drôle sous une chéchia râpée, une nuque rasée d’une oreille à l’autre et une grande mèche de cheveux sales, échappée de la chéchia et lui barrant le front. La petite main brune insiste, tend la boisson, se rétracte, et revient encore sans se lasser, ignorant le refus. Le geste répétitif
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