Les Prisonniers du président
254 pages
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Description

L’Afrique des colonels vendus à l’étranger vue par les yeux de Musa, Kinda, Malela, Fonseka et tant d’autres étudiants de l’Université de Kinshasa, alors baptisée Lovanium. Dans les années 1960 qui suivent les indépendances, l’écart se creuse entre ceux qui s’adonnent aux nouveaux plaisirs de la modernité occidentale et les jeunes engagés dans un mouvement qui revendique avec force et rage l’indépendance économique des pays décolonisés autant que la participation des étudiants à la gestion de leur université. Mais c’est la prison et le deuil des libertés perdues qui sont au rendez-vous dans cette quête militante. Comment le Congo a-t-il pu être entraîné dans des affrontements fratricides qui l’ont blessé autant qu’ils ont fédéré naguère les énergies de sa jeunesse?? à cette question, Lumuna Sando apporte un début de réponse qui surprend le lecteur par sa fougue et son engagement. L’Histoire militante et sociopolitique du Congo est soutenue par une grande et belle histoire d’amour entre deux victimes de leurs sentiments et du régime qui dirige leurs vies.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 février 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748376708
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Prisonniers du président
C.K. Lumuna Sando
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Les Prisonniers du président
 
 
 
 
 
 
 
 
C’était l’heure des nouvelles du soir. Nous étions tous collés à nos radios. Nous attendions les conclusions du Bureau politique et du gouvernement qui s’étaient réunis toute la journée sur le bateau présidentiel. Nous savions qu’on allait parler de la manifestation des étudiants qui venait de secouer la capitale. Le porte-parole du gouvernement s’est mis à lire son compte rendu d’une voix détachée, neutre. Tout d’un coup, en un seul jet, un tollé est monté du campus, de toutes les chambres : le Président a décidé que les étudiants seraient enrôlés dans l’armée pour une durée de deux ans ! Afin de leur apprendre à être disciplinés.
 
L’Université est fermée ! Martèlements sur les tables, interpellations en tous sens, sifflements et huées s’entrecroisent à travers les fenêtres, les corridors, dans une ambiance de folle kermesse. Très vite, tout le monde s’est retrouvé dehors, dans les allées et les jardins d’un campus enfiévré. Par petits groupes, les futurs soldats commentaient bruyamment la nouvelle. Nous étions tous pris au dépourvu, personne ne s’attendait à une telle décision. Personne n’osait croire à cet enrôlement, et comme pour se convaincre du contraire, les étudiants se sont mis à railler et à mimer les exercices militaires.
 
Assis sur un banc de jardin, à côté de mon ami Christophe Musa, je suivais distraitement ces éclats de voix qui montaient de partout. Quelques questions revenaient, lancinantes, et semblaient invoquer un dernier recours : Que vont faire les « Cancres au Maquis »  ?
 
Comment une réaction pourra-t-elle être organisée s’ ils viennent nous prendre dès demain matin ? Mais cette décision n’est-elle pas un simple coup de tête de notre irascible Président ?
« Il faut refuser d’y aller, mon cher ! Il faut refuser ! » a tranché Christophe en se redressant brusquement.
J’ai levé les yeux sur mon ami, qui me paraissait plus élancé que d’habitude. Christophe était mince et fort. Ce n’était ni le courage ni l’esprit de décision qui lui manquait. Mais n’avions-nous pas perdu tout contrôle ? Nos tracts pourraient mobiliser. Mais nous ne disposions d’aucun moyen rapide pour agir. Les événements nous prenaient de court !
 
Après avoir temporisé habilement, le pouvoir a frappé de façon imprévisible, efficace. Je me suis levé à mon tour en me mettant à la hauteur de tête de mon ami qui était aussi grand que moi :
— Je ne comprends pas pourquoi les autres n’ont pas bougé, en ville ! Il faut d’abord retrouver Fonseka, Malela et les autres camarades !
Je l’ai dit sans trop y croire. Malela, dit Mao, était le leader de l’Union, notre organisation. Fonseka en était le chargé des relations extérieures.
— Le campus est certainement isolé par des barrages de militaires a répliqué Musa, toujours pratique. Nous devons agir seuls !
Dépourvu d’idée, je tiraillais lamentablement mes lèvres, ma barbiche. Christophe a suggéré de faire le tour des « homes ». J’ai consulté ma montre, le visage renfrogné, sans le moindre souci de dissimuler le déchirement provoqué par l’exigence de retrouver nos camarades. Il était dix-neuf heures vingt. J’avais rendez-vous à trente, avec mon amie Patricia Bahlia.
— Écoute mon vieux, j’ai rendez-vous avec " elle ". Comme les événements se précipitent, il faut que je la voie au moins un quart d’heure… C’est peut-être la dernière fois, ai-je insisté pour arracher l’indulgence de mon ami.
 
Il m’a compris et il a promis de m’attendre en essayant de recueillir le plus possible de nouvelles dans les groupes qui s’animaient un peu partout. Je suis sorti du home, qui était hélas interdit aux filles après la fermeture des restaurants. J’ai disparu dans la nuit épaisse des tropiques en soulevant avec force mes pieds qui s’enfonçaient dans le terrain sablonneux. Un petit vent frais témoignait de la saison sèche et annonçait la chute des températures caniculaires. Je me suis dirigé vers les manguiers, entre la faculté de médecine et les cliniques universitaires. Elle m’attendait au pied des marches en moellons. De là, nous nous sommes dirigés vers les buissons, à l’arrière des bâtiments, à hauteur de la morgue…
 
Quand, près d’une heure plus tard, j’ai retrouvé mon ami, il était encore occupé à commenter la nouvelle tombée à dix-neuf heures. Nous avons entrepris notre tournée. Le home 10, puis le 20, enfin le 30. Partout les mêmes groupes animés, les mêmes va-et-vient, le même remue-ménage, martèlements et cris qui évoquaient le climat de fin d’année universitaire.
 
Malela, qui habitait le home 30, était introuvable. Fonseka, au home 20, demeurait absent du site. « Ses valises ne sont plus là ! » nous a indiqué son voisin, nous laissant deviner la
fuite du camarade. Pourtant, ces deux camarades de l’Union étaient les seuls qui, grâce aux contacts établis en ville, pouvaient nous renseigner sur la situation politique qui prévalait dans la capitale.
 
Il ne nous restait plus qu’à retrouver Joseph Kinati au home 30.
« Il doit être au Club, nous a déclaré un de ses condisciples, croisé en chemin. Il paraît qu’on se sert là-bas ! »
Joseph, le plus jeune d’entre nous était le type même de l’activiste fonceur. C’est lui qui se chargeait du stockage et de la diffusion de nos tracts sur le campus. Nous avons remonté la pente vers le Club situé à mi-chemin entre le 150, home des filles, et le Vatican II, home des prêtres étudiants.
 
C’était du délire ! Des étudiants se servaient et se soûlaient à loisir. Tandis que nous nous approchons du petit bâtiment perché sur un banc de sable et prolongé par une grande terrasse convertie en piste de danse, Christophe m’arrête soudain : Patricia passe devant nous. Robe blanche qui tranche sur la demi-obscurité de la nuit. Robe courte qui allonge davantage ses belles jambes d’échassier.
Elle est flanquée de l’ombre assidue de cet omniprésent cousin qui ne m’a jamais inspiré confiance ! Je lance un « Hello ! » en étouffant péniblement ma jalousie. Patricia balance en l’air un bras pour agiter familièrement les doigts que je sais longs et fins. Précipitant mon pas, je l’ai accostée sur la route où elle m’a attendu pendant que son cousin s’éloignait à petits pas.
« Vous pillez à présent ? » se moque-t-elle, caustique ! Christophe qui venait de me rejoindre a failli s’étouffer d’indignation. Il a ravalé le « bonsoir » et le large sourire qu’il s’apprêtait à servir à Patricia. Puis, en bafouillant, il s’est perdu dans des protestations énergiques contre une accusation aussi dégradante pour de vrais militants de la Cause !
— Que fais-tu là ? ai-je demandé à Patricia en portant mon regard vers l’ombre de son cousin… Patricia a détaché de mon ami ses yeux sombres et les a posés sur moi avec une insistance désarmante. Quelques heures plus tôt, ébranlée par les dernières nouvelles, elle m’a fait une scène à cause de ma participation aux manifestations des étudiants. Quelques heures plus tôt, c’est elle qui m’a demandé en pleurant : « Qu’as-tu fait ? ».
 
Désarmé par sa tendresse désespérée, j’ai tenté de fuir le reproche par la plaisanterie. « Allons, je t’offre un bac de bières ? » lui ai-je demandé en suivant des yeux les pilleurs qui s’acharnaient sur le club. Elle s’est contentée de rire nerveusement.
 
Les joyeux pilleurs allaient et venaient, brandissant qui une bouteille, qui un bac entier de douze bouteilles. Ils célébraient la mort de l’Université en claquant des talons et en s’interpellant au titre de « caporal » ou de « sergent ». Décidément, avait l’air de dire Patricia, personne ne prenait au sérieux cet enrôlement annoncé pour le lendemain déjà.
— Vous serez les premiers à partir, dit-elle, comme si elle parlait pour elle-même. On va commencer par les facultés de médecine et de sciences commerciales.
— Bah, s’est contenté de crâner mon ami Christophe Musa, si c’est sérieux, nous nous transformerons tous en guérilleros ! Qu’ils nous donnent les armes et ils verront ! Je ne peux pas m’imaginer deux ans dans cette armée d’abrutis !
Le regard de mon ami a croisé le mien, en quête d’approbation. À mon tour, je me suis référé à Patricia qui, d’une voix atone, a murmuré pour moi ou pour elle-même : « Il faut aller dormir… ». Elle a posé ses lèvres sur les miennes. Elle a tendu la main à Christophe. Puis elle nous a tourné le dos avec coquetterie pour rejoindre son cousin, sûre cependant que je la suivais du regard. Elle a levé ses doigts au-dessus de la tête. Elle a tambouriné… J’ai aussi levé ma main, le cœur serré.
 
Christophe a fini de promener un regard impuissant sur la foule grouillante des étudiants. Dressant une dernière fois sa tête au-dessus de la mêlée, il a conclu que ce serait difficile de retrouver Joseph. Mais je me sentais envahi par une sourde amertume.
« De toutes les façons, je ne vois pas ce que nous pouvons encore dire ou faire même si nous le retrouvons. Je pense qu’il faut laisser venir les choses. Ceux de la ville ont certainement fait défection ! ».
 
Mon ami n’a répondu ni à mon aveu d’impuissance, ni à mon accusation précipitée. La mauvaise humeur m’enfermait contre tout. Dans mon for intérieur, je poursuivais encore la tache blanche de Patricia qui s’éloignait aux côtés de son énigmatique cousin. Ils n’étaient congolais ni l’un ni l’autre. Ils ne seraient pas enrôlés. En suivant des yeux sa silhouette lascive, j’avais eu la désagréable impression

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