Les Saints des derniers jours
206 pages
Français

Les Saints des derniers jours , livre ebook

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206 pages
Français

Description

Paris, 1939-1945. Trois jeunes journalistes vivent la guerre et l'Occupation. Deux s'engagent, dans des bords opposés. Le troisième ne s'engage pas. Pacifiste féru de Bernanos et de Giono, il va puiser dans ses racines aveyronnaises, paysannes et catholiques, les éléments d'un regard critique qui feront de lui un spectateur sans crainte et sans illusion. Une même fidélité à l'idéal et à la morale guide ces trois personnages aux idées différentes à travers ces périodes instables.

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Date de parution 15 juin 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782140093401
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

Michel POUX
Les Saints des derniers jours Roman
Les Saints des derniers jours
Roman
Michel POUX
Les Saints des derniers jours Roman
Du même auteur
La branloire pérenne,Editions Elytis, 2002 Week-end à Schizoland,Elytis, 2005 Histoires peu ordinaires au Cap-Ferret,Elytis, 2006 Histoires peu ordinaires à Toulouse,Elytis, 2007 Aveyron Croatie, la nuit,L’Harmattan,2011Passeport pour le Pays de Cocagne,Elytis,2012 (avec AM Rantet-Poux) Mona Lisa ou la clé des champs,L’Harmattan,2014Le répountchou, qu’es aquò?,VentTerral,2017 (avec AM Rantet-Poux)
© L’HARMATTAN, 2018 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Parishttp://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-14956-1 EAN : 9782343149561
a fierté des humains est chose fluctuante, L qu’une brise détruit et qu’un rien rebâtit ; elle va et elle vient, lorsque les hommes de bonne volonté font plier l’orgueil des ténèbres, ou quand le cœur répare la raison... « La terre, elle, ne ment pas. Elle est notre recours ». Les mots flottaient dans sa tête. Ses épaules se redressèrent, en même temps que le patron du café éteignait le poste de radio. C’était bien la fierté qui l’étreignait à nouveau, au fur et à mesure que ses pensées s’éclairaient. Le jeune homme rangea le crayon dans la poche de son veston et relut les notes qu’il avait prises sur son carnet pendant le discours.  « Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas. Elle est votre recours. Elle est la patrie même. Un champ qui tombe en friche, c’est comme une portion de France qui meurt. Une jachère à nouveau emblavée, c’est une portion de France qui renait. »  Ce n’était plus le même ton que la semaine dernière, quand le Maréchal déposait les armes, au nom d’une France exsangue et si logiquement humiliée. Aujourd’hui, le sort du pays n’apparaissait certes pas plus reluisant : plus de la moitié en était maintenant annexée ou occupée, et l’Armistice se payait cher. Mais le discours du vieil homme redevenait offensif, face aux
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combats qu’il faudrait désormais mener. Un nouveau Verdun, mais en plus compliqué...  Et puis, surtout, il y avait ces mots : « La terre, elle, ne ment pas. Elle est notre recours. »  )l avalait son troisième café, les yeux mi-clos dans la chaleur moite du troquet. Etait-ce la tête débonnaire de la vache rouge peinte sur l’affiche qui vantait les produits aveyronnais que servait celui-ci ? La vérité de la terre lui semblait soudain comme une évidence, au milieu de la confusion. Et le terre était sienne, puisqu’il en était fils. La terre de Pétain, c’était ces chênes et ces châtaigniers du Rouergue où il avait vu le jour voilà vingt et un ans. Le Rouergue qui n’avait jamais failli dans l’(istoire, grâce à son courage, sa vaillance, son abnégation, son bon sens. Ces qualités qui faisaient tant défaut au pays depuis trop longtemps. Cela vaudrait-il pour la France envahie de ce ʹͷ juin ͳͻͶͲ, comme l’entendait le père de la Nation ? Cela n’était pas sûr, mais pour une fois en ces temps si complexes une idée lui apparaissait claire et rassurante. Comme un phare, écrirait sans doute quelque confrère besogneux. Lui pensait plutôt à Verlaine, à l’espoir qui luit comme un brin de paille dans l’étable.  Le jeune homme était discret, de taille moyenne, mince mais musculeux. Des cheveux bruns sans apprêt encadraient un visage sec et rétracté, qui lui donnait un air introverti, presque ténébreux. Ses lunettes rondes cerclées d’écaille étaient celles d’un intellectuel ; mais
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derrière celles-ci les petits yeux étaient ceux d’un enfant souriant et gentil, à qui il avait fallu grandir. Depuis bientôt deux ans qu’il arpentait le pavé de la capitale et la vie parisienne, il ne s’était jamais senti aussi fier de son identité provinciale. Ni peut-être aussi Français. Ce jour serait un grand jour, au moins pour lui.  )l régla ses cafés au comptoir, en saluant le patron.  – Bonne journée, Monsieur Clément ! remercia celui-ci d’un ton automatique. Dehors, le Paris vidé depuis peu de plus de la moitié de sa population donnait l’impression d’attendre en somnolant. Le ciel alternait de gros nuages noirs et un soleil radieux. )l décida de repasser par le journal où s’activait sa plume avant de rejoindre ses amis. Paris-Soirsiégeait au ͵͹ rue du Louvre.
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Leur avant-guerre fut le temps d’une jeunesse, ni plus ni moins. Et évoquer l’avant-guerre veut dire bien souvent que l’on écrit depuis un après-guerre, c’est-à-dire de l’autre côté de ce qui a cristallisé la vie des survivants. Lui écrivait depuis ce que certains nommaient aube et d’autres crépuscule. Une jeunesse conquérante les avait conduit à Paris ; désir de gloire, d’indépendance, désir de désir. La terre qui collait à leurs semelles de provinciaux ou de banlieusards ne les empêcherait pas de forcer les portes, à moins qu’elles ne s’ouvrent d’elles-mêmes devant leur talent ; peut-être essuieraient-ils leurs croquenots sur les tapis du beau monde... Pourtant Balzac ne les aurait pas reconnus pour le moindre Rastignac. Car cette même jeunesse trainait avec elle le fardeau de toutes les jeunesses, fait de doute, d’avenir incertain malgré leur élan, et d’attachement, si cruel à défaire, à leurs origines et à leur histoire. Bien indifférente à leurs turpitudes, la vie venait à eux, et avec elle le monde et l’avenir ; les grands fracas qui secouaient l’Europe annonçaient on ne savait trop quoi, même lorsqu’on claironnait des certitudes : à s’entendre pontifier autour de quelques fausses évidences ou trompetter quelques slogans, on se prenait à se rassurer. )l y avait dans ce monde ce dont on ne voulait plus, et on voyait venir ce dont on ne voulait pas. Chacun essayait de se raccrocher aux branches de l’(istoire, faisant mine de faire sien ce qu’il ne pouvait empêcher. Mais l’âge à lui seul offrait le
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privilège de se sentir capable de voler par delà les bourbiers, comme si la flamboyance de chacun effaçait la médiocrité collective. )ls étaient trois amis, et ils avaient vingt ans : comment ne pas croire en soi, comment ne pas croire en cette équipe, quand vous savez ne pas être seul, dans ce Paris vers lequel tous trois étaient montés comme un enfant monte à l’assaut d’une bulle, avant de sentir l’anonyme froideur que laisse la bulle éclatée... Les humeurs allaient et venaient, sombres ou solaires, au gré du temps qu’il fait ou de celui que font les hommes. Bien sûr la guerre viendrait puisque personne n’en voulait, disait-on, et que tout pourtant courait vers elle. Les marchands d’idéaux ne manquaient pas, comme il sied dans un monde qui vacille, quand il devient si aisé aux hommes de se proclamer providentiels ou aux théories de se démontrer irréfutables. Leur confiance avait fui ceux qui gouvernaient, par le glaive, le livre ou la traite, mais leurs morts les nourrissaient, en repères intemporels ; ceux de la dernière guerre, surtout, dont les noms râlaient encore sur les monuments de leur ville ou de leur village. Eux-mêmes seraient condamnés à combattre à leur tour, un jour ou l’autre. L’idée d’être de la race de ceux qui mourraient les premiers n’était pas sans romantisme... Sauraient-ils enfin en finir avec cette malédiction de tous les temps ? Au fond, et comme les générations précédentes, ils n’en doutaient pas.
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