Stravaganza
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Description

1726. Antonio Vivaldi est célèbre. Venise, Vienne, Amsterdam, Londres, Paris, Dresde... la plupart des capitales le considèrent comme le plus grand violoniste de son temps. Maître de musique au Pio Ospedale Della Pietà, le plus prestigieux des hospices financés par la Sérénissime, et réservé aux jeunes filles sans famille, il a pour mission de former ses élèves aux études musicales. Il s’éprend de l’une d’entre elles, une chanteuse : Anna Giro. D’origine française, elle a seize ans et elle est fort belle. Pour elle, il compose un ou deux opéras chaque année en lui réservant le rôle principal. Il tire de ces spectacles de belles recettes qui lui valent des jalousies féroces. Venise est une ville dangereuse, d’autant plus qu’Antonio est prêtre et vulnérable. Ses rivaux le dénoncent à l’Inquisition. On veut l’expulser du théâtre Sant’Angelo dont il est devenu le directeur. Ses opéras sont interdits dans certaines villes d’Italie sous prétexte que ses mœurs libertines sont incompatibles avec son état ecclésiastique. Par bonheur, Antonio Vivaldi a de puissants protecteurs : l’empereur d’Allemagne, le roi du Danemark, l’ambassadeur de France. Il oublie les ombres qui le menacent grâce à une frénésie de création : 460 concertos, 63 opéras, plusieurs oratorios. Le succès, l’amour, le plaisir... la jeune Anna illustre à sa manière, légère, la vie tumultueuse de son maître et celle de Venise.

Informations

Publié par
Date de parution 22 février 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9791029004209
Langue Français

Extrait

Stravaganza
Claude Merle
Stravaganza

















Les Éditions Chapitre.com 123, boulevrad Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2016 ISBN : 979-10-290-0420-9
La musique est la peinture des passions
Stendhal.
1
L’heure est blafarde, brume et écume sur la lagune curieusement houleuse. Sur les pontons inondés, les pêcheurs détachent leurs barques dans un envol d’oiseaux blancs. On entend le raclement des coques sur les bittes de bois. Les deux jeunes filles se glissent sous les tentes, dressées au bout de la Piazzetta en l’honneur des dignitaires impériaux. Abrutis par quatorze heures de festivités, les Autrichiens ont trouvé refuge dans leur palais des Schiavoni . Venise est déserte, à l’exception de rares ombres ivres de danse et de vin.
– Tu crois qu’il va venir ? chuchote Maria.
Anna regarde sa brune compagne en fronçant le nez avec une expression de reproche comique :
– De qui doutez-vous au juste, ma chère ? De ma séduction ou de l’audace de notre ardent chevalier, Leone Angelo de Massa Carrara ?
– Chevalier, ce nigaud !
– Autrement dit, vous doutez des deux ?
– De toi, certes pas. Comment oublier ta façon d’affoler les cœurs avec ta Laodice ? Ces cœurs, je les comprends !
Anna hausse une épaule dédaigneuse :
– Pour trois couplets…
– Comme si tu n’étais pas sensible aux éloges ! Chacune de tes apparitions a fait sensation. La Pallade Veneta elle-même en a parlé.
Laodice , l’opéra d’Albinoni, a remporté un vif succès. Le nom d’Anna figurait sur l’affiche du théâtre San Moisè : Anna Girò, mezzo soprano ! Maria aurait vendu son âme pour être à la place de son amie.
– Mes adorateurs avaient soupé avant le spectacle. Les sarde in saor et le vin de Rimini accentuaient les gargouillements qui masquent les fausses notes, ironise Anna.
– Ingrate ! Et ne me dis pas que cette lettre d’amour est la première !
– La quatorzième, et toutes aussi menteuses ! Que fait Leone ? Il est six heures.
– Six heures moins dix.
– Précisément. Un amant passionné doit avoir une demi-heure d’avance. Dix minutes trahissent la tiédeur. Quant au soupirant ponctuel, il dénonce le maniaque, la pire des engeances.
Maria secoue la tête. Elle admire les faux caprices d’Anna, ses yeux malicieux, ses boucles dorées jusqu’au creux des reins, le ruban bleu négligemment noué, ses seins ronds sous la dentelle. Anna a débuté à l’opéra il y a six mois, à quatorze ans à peine. Et elle est déjà femme avec toutes les grâces de la prime jeunesse, un mélange affolant de fraîcheur et de volupté.
– Le voici, tais-toi ! ordonne Anna.
D’un même geste, les jeunes filles dissimulent leurs visages sous leur châle et reculent dans l’ombre de la maison de toile. Le garçon est petit, blond et joufflu. Il porte une velada serrée à la taille, un gilet brodé, une culotte de soie rouge nouée aux genoux et des chaussures à boucle d’argent, une tenue ridiculement cérémonieuse pour un rendez-vous aussi matinal. Maladroit, il s’embronche dans un rouleau de cordages. La main d’Anna étouffe le rire de Maria avant de se terminer en caresse. La jeune chanteuse recherche ces contacts : presser une main, effleurer une gorge, étreindre une taille. Une chatte en mal de douceur.
– Il est mignon tout de même, constate Maria en reprenant son souffle.
– Si on aime les putti .
Le jeune garçon fait les cent pas d’un air affairé pour échapper à la curiosité des marins du port et celle des nobles assemblés sur le broglio.
– Qu’est-ce que tu attends ? chuchote Maria.
– Qu’est-ce que j’attends ?
– Tu ne vas pas à sa rencontre ?
– Moi ?
– Je croyais… Sa lettre était bien tournée…
– Ce n’est pas ce que prétend l’orthographe.
Maria part d’un rire silencieux.
– Tu es impitoyable !
Sur le quai, un rayon de soleil fait briller les soieries du galant. Il s’écarte vivement de l’eau pour éviter d’être éclaboussé au passage d’une sanpierota .
– Le fils du duc Massa Carrara, un titre, cinq mille ducats de rente, je te trouve bien difficile !
– Une grosse bourse, mais de petits grelots.
– Tu n’as pas honte ?
– Et toi ? Tu me parais bien renseignée sur ce petit monsieur.
Maria pouffe dans son châle tandis qu’Anna lui fait les gros yeux :
– Ne rêvez pas, mesdemoiselles. Les grands seigneurs achètent votre voix, ne leur vendez pas le reste.
Maria reconnaît l’accent de Madonna, la prieure de la Pietà. Anna a toujours eu l’art d’imiter les voix, et la chance de décourager quiconque d’imiter la sienne. Un timbre frais, délicat, nuancé. Toutes deux ont appris le chant, le violon et le clavecin à l’hospice, durant huit années, parmi de jeunes élues de l’aristocratie assez fortunées pour assumer les frais de scolarité. Des deux, Anna était la plus douée. Tout lui réussissait. Bien qu’aussi jolie qu’elle, Maria n’avait pas sa grâce innée ni son talent de comédienne.
– Je suis fille de perruquier et toi, nièce d’orfèvre, comment l’oublier ? poursuit Anna. Le duc a payé mes trois dernières scolarités.
– Un beau placement.
– Ne dis pas ça ! J’ai l’impression d’avoir une dette envers lui. Ce nigaud là-bas, son fils, compte sans doute toucher les intérêts.
– Folle !
– J’ai chanté à six reprises dans le palais de son père comme un oiseau aux ailes rognées. C’est suffisant pour m’acquitter, non ?
Au même instant, le vent, qui fait claquer les toiles, attire l’attention du jeune duc.
– Attention ! souffle Anna en poussant son amie derrière l’estrade réservée aux musiciens.
Précaution superflue : Leone regarde de tous côtés, désorienté, en se rongeant les ongles.
– Vilaine habitude ! gronde Maria. Ton séducteur s’impatiente.
– Plus pour longtemps, voici sa belle.
Les deux curieuses écartent la toile. Une jeune femme traverse la Piazzetta. Ses talons de bois résonnent sur les dalles.
– C’est Paolina ! s’exclame Maria.
Anna émet un petit gloussement de joie anticipée.
– Elle-même.
– Que vient faire ta sœur dans cette aventure ?
– La lettre est adressée à la signorina Giro, non ? Eh bien, la signorina Giro, la voici.
La voix est rieuse. Deux fossettes se creusent sur ses joues, parodie d’innocence. Paolina, la sœur aînée d’Anna, a vingt ans de plus qu’elle. Douce, avisée, protectrice, elle lui sert de mère et d’impresario.
– C’est toi qui as monté cette farce ? souffle Maria, incrédule.
Les deux jeunes filles s’avancent à la limite de la tente pour entendre ce qui va suivre tandis que Leone regarde approcher Paolina avec l’expression affolée d’un coq face au renard.
Paolina esquisse une révérence :
– Votre servante, monsieur.
Le garçon ôte son chapeau et s’incline un peu trop bas :
– Mille grâces, madame.
Il rougit en voyant la jeune femme agiter le billet qu’il imaginait entre des mains plus juvéniles.
– Votre lettre est flatteuse, monsieur. Je vous en remercie. En la lisant, d’abord, j’ai hésité entre la candeur et l’insolence. J’ai opté pour la première, car je connais le duc, votre père, qui est homme d’honneur et je fais crédit à son fils de lui ressembler.
La voix de Paolina est tendre à souhait. « Quel talent ! » songe Anna qui se retient d’applaudir. Le garçon remue les lèvres, mais aucun son ne sort de sa bouche.
– Il n’a jamais été aussi rouge ! pouffe Maria en devinant la comédie qui s’ébauche.
Anna la pince :
– Chut !
– Pour oser me déclarer vos sentiments, vous avez besoin d’indulgence, écrivez-vous, poursuit Paolina. Pourquoi me fâcher d’un amour que j’ai fait naître ? Cependant, cette naissance est bien inattendue, car enfin nous nous sommes croisés deux fois chez le duc. Avouez que c’est peu, même pour un coup de foudre.
– Excellent ! chuchote Anna.
– Sans être coupable on peut être malheureux, ajoutez-vous. C’est la raison de ma présence. Malgré ma résolution de ne pas vous répondre, j’ai consenti à vous rencontrer. Telle est la puissance des sentiments. Cela doit vous prouver l’estime que j’ai pour vous. J’espère que vous en évaluez le prix.
Le vent colle sa robe à ses jambes. Paolina est une belle femme au corps généreux et le fils du duc s’en émeut.
– Je ne pensais pas… commence-t-il d’une voix faible.
– Vous ne le pensiez pas ?
Le ton est sévère. Leone s’affole :
– Ce n’est pas ce que je voulais dire.
– Vous étiez donc sincère ?
– Certes.
Ce mot balbutié, les deux moqueuses le devinent sans l’entendre.
– J’en suis soulagée, monsieur. Vous devez savoir que je suis vertueuse. Consentir à ces rendez-vous clandestins mettrait ma réputation en péril sans un mot capable de mettre un terme à mes alarmes.
– Un mot ? rép&#

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