Adultophobie , livre ebook

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Le roman de Paul Laurendeau a mobilisé une mûre réflexion d’équipe de la part de tout notre comité. L’œuvre que Paul nous soumettait cette fois-ci aborde un thème douloureux et tabou, celui du crime d’abus pédophile, en le traitant du point de vue, désillusionné et sans concession, de la jeune victime. Indubitablement, cet ouvrage n’est pas une œuvre légère et il a fallu décider collectivement qu’ÉLP s’associait à la démarche romanesque et critique de son auteur.
Sombre, dur, fataliste, cet ouvrage, qui est une fiction intégrale, a donc été scrupuleusement lu par tous les membres de notre équipe. Et nous l’avons amplement discuté. Un de nos collaborateurs de longue date, homme pondéré, sage et cultivé, a finalement fait valoir que ce thème, révoltant, douloureux et lancinant, était dans l’air du temps, qu’il se manifestait dans des œuvres théâtrales, cinématographiques et romanesques actuelles, dont certaines n’avaient pas la qualité et la sensibilité du roman de Laurendeau. Exprimer la tonalité d’un temps, c’est aussi regarder en face ses douleurs les plus insoutenables.
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Publié par

Date de parution

02 février 2011

Nombre de lectures

24

EAN13

9782923916200

Langue

Français

ADULTOPHOPBIE
PAUL LAURENDEAU
© ÉLP éditeur, 2011 www.elpediteur.com elpediteur@yahoo.ca
ISBN 978-2-923916-20-0
Image de la couverture (extrait) : Nolia Gervais, artiste-graphiste
Polices libres de droit utilisées pour la composition de cet ouvrage : Linux Libertine et Libération Sans
ÉLP éditeur, le service d'éditions d'écouter lire penser, un site dédié à la culture Web francophone depuis 2005, vous rappelle que ce fichier est un livre numérique (ebooks). En l'achetant, vous vous engagez à le considérer comme un objet unique des-tiné à votre usage personnel.
Si tu ne mourus pas entre mes bras, Ce fut tout comme, et de ton agonie, J’en vis assez, ô détresse infinie ! Tu délirais, plus pâle que tes draps…
Paul Verlaine, 1888
Chapitre 1
Rencontre, sur une plage ensoleillée, d’un homme Doux
Jeannette Simon a douze ans. Elle a une peur vive des adultes. Elle n’aime pas leur compagnie, comme on n’aime pas la compagnie des blattes ou des souris. L’apparition d’un adulte, connu ou inconnu, la fait frissonner d’un dédain mystérieux et remplit son cœur d’une inquiétude sourde. C’est qu’elle « voit » des choses, Jeannette, que les autres enfants ne voient pas. Elle sent inexorablement ce qui va arriver. Elle vibre invariablement de ce qui est oublié ou de ce qui se passe ailleurs. Elle ondoie au rythme du siècle, du monde, du tout. Ses rêves et ses rêveries sont comme des boîtes à images vives, lumineuses, très précises, aux sonorités percutantes, aux colorations contrastées.
Jeannette est une petite Cassandre contemporaine qui s’ignore et elle ne parle jamais de ce qu’elle sait aux Troyens de ce temps, surtout pas aux Troyens adultes. Elle comprend, en fait, sans nécessairement le mettre en paroles, qu’à notre époque, l’adulte est blessé, esquinté, délétère, trouble et dan-gereux. Il boite, il claudique, il clopine dans une nuée de dou-leurs anciennes, héritées, venimeuses, déterminantes. L’adulte est dangereux et ce, toujours. C’est une machine infernale dont le mécanisme subtil peut s’enclencher n’importe quand. L’occasion fait le larron et le larron c’est l’adulte. Jeannette est une enfant de la génération qui a vu se bri -ser, se fracturer irrémédiablement, la confiance si infinie et si nécessaire de l’enfant envers l’adulte. Timorée, angoissée, secrètement épouvantée – les adultes ont justement un mot joli, ancien, innocent et tout simple pour cela, ils disent timidepour le coup, ne le formulerait pas– Jeannette, comme ça, mais elle souffre profondément et intensément d’un des nombreux maux du siècle : l’adultophobie.
Luc a onze ans, Manon huit. Ce sont le frère puîné et la sœur benjamine de Jeannette. Eux, ils n’ont pas peur des adultes, ni de quoi que ce soit d’autre au demeurant. Badins, téméraires, insouciants, ils vivent, jouent et se jouent. Ils ne voient rien d’autre que ce qui se pointe au bout de leurs petits
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nez fripons et ils batifolent joyeusement, dans la myopie folâtre et les errements inconscients de l’enfance à l’ancienne. Ils vivent encore dans les temps immémoriaux où les gamins allaient à la pêche, où les gamines se roulaient dans les champs en fleurs, fin seuls, entiers, et y passaient la journée, sans que qui que ce soit y trouve à redire et surtout, sans que ni le danger ni la peur ne fassent partie de l’équation. Nous avons imperceptiblement perdu ce sens-là de l’enfance et nous ne le savons même pas. Les adultes disent de Luc et de Manon qu’ils sontmoins timidesleur sœur aînée, qu’ils que ont plus de tonus et de caractère, qu’ils iront plus loin. Jean-nette croit plutôt que Luc et Manon ne discernent pas au-delà des apparences, qu’ils ne voient rien de ce qu’elle voit, elle, et qu’ils ne se préparent en rien à ce qui se prépare. Non, il faut se le dire et se le redire, nous avons perdu la capacité d’insou-ciance de nos enfants et la petite Jeannette en est entièrement tributaire. C’est pourquoi elle surveille son petit frère et sa petite sœur fort attentivement… du mieux qu’elle peut évi-demment, car elle n’est, elle aussi, qu’une enfant. Et c’est fina-lement Jeannette qui sera celle des trois enfants Simon quiira plus loin, enfin, un petit peu plus loin. Pour ce que cela lui donnera…
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Sur une des vastes plages ensoleillées du Pays des Plages, Jeannette, Luc et Manon s’amusent dans une relative insou-ciance. C’est une chaude journée estivale et leur monde ludique se déploie dans ce vibrant univers intermédiaire entre le factuel et l’imaginaire que l’enfance entretient si naturellement. Tout est calme. Tout est serein. Ils sont à cinq minutes de leur maison, par le trolley balnéaire, et ils profitent de ce bel été tranquille, comme il se doit, sans arrière-pensées d’aucune sorte.
Quand ce tendre trio de marmaille joue comme ça, Jean-nette adore imaginer que deux petits chiens enjoués les accompagnent. Ces deux petits chiens de son monde secret s’appellent Nour et Guan. Initialement, Nour et Guan sont en fait deux vénérables objets antiques, deux vieilles figu-rines de chien que Jeannette possède depuis toujours et qui sont sagement assis sur la commode de sa chambre de petite fille, prisonniers d’une pose hiératique séculaire et immuable imprimée au plus profond de son imaginaire. Le chien Nour est un bichon immaculé, aux yeux et à la pointe de truffe très noirs. Comme ses petites oreilles, pendantes et frisées, lui donnent des airs pensifs de sphinx, Jeannette le nomme Nour, qui signifie « lumière » en vieux copte. Le chien Guan est un carlin brun à la totalité de la trogne toute noire et aux
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yeux mobiles et si incroyablement tendres. Comme il a un drôle de faciès de fougueux dragon, Jeannette le nomme Guan» en vieux chinois., qui signifie « muraille protectrice Dans ses moments de joie sans mélange, ses ultimes pulsions intermittentes de pur bonheur enfantin, Jeannette voit immanquablement apparaître Nour et Guan, ses deux fidèles chiens imaginaires. Ils sautillent autour de Jeannette qui est, comme de bien entendu, la seule à les discerner et qui ne leur parle que dans le tréfonds le plus secret de son cœur. Ils lui répondent en aboyant silencieusement, dans le cas du bichon Nour, en grognant et en soufflant sans le moindre bruit, dans le cas du carlin Guan, et aussi en courant et en se roulant tous deux dans le sable chaud de la plage, qui ne se soulève pas sous leurs pas et sur lequel leurs corps frétillants ne laissent pas la moindre trace. Sans qu’il soit possible de dire exactement comment, voilà qu’un Homme Doux se joint aux jeux des enfants Simon. Il arrive un peu insidieusement, comme si de rien était, du bord de la mer. Aussitôt qu’il fait son apparition, les petits chiens Nour et Guan le regardent d’un air dépité, ahuri, contrit et s’évaporent graduellement dans l’air, à la grande tristesse de Jeannette. L’Homme Doux est grand, blond, calme, d’une subtile gentillesse. Il parle d’une voix
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feutrée et dit des choses belles, plaisantes et simples. Jean-nette, en vraie adultophobe qu’elle est, est plutôt méfiante et intimidée par l’Homme Doux. Elle le regarde fixement et aperçoit aussitôt, comme dans une lanterne de toile fine qui se superposerait au moment, un autre moment, tendre et cruel, de l’enfance de l’Homme Doux. L’Homme Doux enfant est un petit garçon un peu plus jeune que Luc et Manon. Ses yeux sont déjà humides et rieurs. Il a chaud. Il a soif. Il a un tout petit peu peur. Il est debout dans un grand baquet d’eau chaude et savonneuse. Des mains douces et agiles le savonnent sur tout le corps. De belles mains blanches dont Jeannette ignore tout mais qui la terri-fient. Des mains adultes caressent, câlinent, oignent de mousse parfumée le petit corps sémillant de l’Homme Doux enfant et s’insinuent partout, baladeuses et savonneuses. L’Homme Doux enfant pousse un petit soupir sec et cela transmet à Jeannette un petit sursaut et le tout fait que cette scène ancienne s’évapore subitement devant ses yeux, sans livrer son angoissant mystère. Il n’y a maintenant plus que l’Homme Doux actuel sur la vaste plage du Pays des Plages, près du grand quai océanique. Et Jeannette hésite à approcher l’Homme Doux mais, comme son frère et sa sœur se laissent aisément entraîner dans les
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jeux du personnage, elle est bien obligée de suivre, pour sur-veiller les deux plus jeunes. Mais l’illusion ne joue pas, pour elle. Elle voit encore et encore au travers des choses et sent un danger diffus, qui lui fait peur. L’Homme Doux n’est pas doux comme s’il était tranquille, serein comme un vieillard ou un gros chien. Il est plutôt doux comme s’il était veule et inté-ressé, onctueux comme un voleur à la tire, un vendeur à la sauvette ou un tigre en chasse.
Pour tout dire, ce n’est pas la première rencontre des enfants Simon avec l’Homme Doux. Au fil de ce si bel été, il les a déjà salué de loin, les a déjà approché, leur a déjà parlé. Il a joué au ballon avec eux une fois et les a aidés dans la construction d’un château de sable une autre fois. Aussi Jeannette ne peut pas faire grand-chose pour esquiver la compagnie de l’Homme Doux car il est relativement connu des enfants Simon. Il fait partie de leur monde banal, pas de leur cercle intime, certes, mais d’un espace de nor-malité lointaine d’où tout peut émaner sans qu’on puisse invoquer la prudence élémentaire pour s’y soustraire.
La subtile aptitude de l’Homme Doux à ne rien faire d’abrupt est bel et bien sans faille. Il est lisse, liant et efficace. Il demande à Jeannette de lui montrer ce livre qu’elle lit, qu’elle n’a pas su dissimuler dans son sac de plage à fleurs
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