Deux ans ou deux cents ans, au fond, quelle différence ?
138 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Deux ans ou deux cents ans, au fond, quelle différence ? , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
138 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« Les préjugés ont toujours le dessus sur la beauté, sur la grandeur. Et si aujourd'hui vous mettez tant d'acharnement à écrire sur le surnommé Milan, c'est autant pour honorer la mémoire d'une belle âme que pour renverser (sans illusion d'y parvenir) cette vigueur préjudicielle chez tant d'êtres intelligents. Vous saviez dès le début que ce qui vous avait rapprochés, vous et lui, allait devoir un jour vous séparer. Jamais, au grand jamais, la durée ne se présenta à vos yeux ni aux siens comme une option viable... » Rémi C., alias Milan, étudiant solaire, fascinant, libre. Mais aussi jeune homme ombrageux, écorché... Un être double, qui touche tour à tour aux arts et à la physique. Une figure bifrons, autour de laquelle tourne la narration, tout en effleurements et évocations, d'Éléa, qui fut son professeur, son amante, son amie. Et cette dualité de se propager à l'entièreté du roman, Franca Doura composant, à travers les couples Milan-Éléa et Milan-Rosie, un portrait ambivalent de la passion amoureuse, qui peut se faire aussi légère que destructrice, aussi lumineuse que mortifère, aussi généreuse que terrible.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 juin 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342024814
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Deux ans ou deux cents ans, au fond, quelle différence ?
Franca Doura
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Deux ans ou deux cents ans, au fond, quelle différence ?
 
 
 
 
Prologue
 
 
 
C’est l’été. Vous visitez la petite ville de Vinci, son château médiéval, autrefois propriété de la famille Guidi, aujourd’hui Museo Leonardiano . Vous suivez un groupe de touristes français en arrêt devant l’une des maquettes réalisée d’après des dessins du grand Leonardo.
Le guide s’emballe : « […] et le milan royal, envergure un mètre soixante, s’approche du berceau, quelques secondes le surplombe […] et d’un coup d’aile balaye le corps de l’enfant endormi… Ainsi béni des cieux naît le génie ! »
 
Le compagnon à vos côtés ne perd pas un mot de la légende du génie au berceau, le nom du rapace lui apparaît aussitôt une évidence, n’a-t-il pas lui aussi tant et plus rêvé de ses propres altitudes. Insoucieux de la stupéfaction tournée vers lui, il se met à crier de plus en plus fort : « Mais je suis Milan, Milan… Milan… Milan… Je suis Milan Court… Me voilà né une seconde fois, et pour de bon ! »
 
Plus tard, le nouveau nom fera dans son entourage une entrée remarquée. Personne à vrai dire ne s’en étonne. On s’amuse de la juxtaposition, à commencer par la mère du fils prodige qui, complice de la trouvaille, reprend : « Te voilà né une seconde fois et pour de bon ! »
Visiblement un nouveau souffle identitaire traverse de part en part le jeune homme, votre étudiant de son nom de baptême : Rémi Courtois.
Le voilà recopiant chaque jour avec zèle des extraits d’ Une saison en enfer . Après tout n’est-il pas né, comme Arthur Rimbaud, un 20 octobre. Et non content de retranscrire les mots, il fait sien ce qui, à l’en croire, appartient à tout le monde :
« J’ai tous les talents ! – Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un : Je ne voudrais pas répandre mon trésor. »
 
La quête de l’étudiant vous émeut, son mode absolu d’aller la vie d’un point à l’autre sans jamais trouver le bon. Le temps, vous dites-vous, est sa pierre d’achoppement, la muraille de Chine qu’il remonte en sens inverse comme l’oiseau fantastique de Jorge Luis Borges soudain reparti en arrière pour savoir d’où il vient.
À vos appréhensions, il objecte plagiant le poète : « Sachons donner notre vie tout entière tous les jours […] car selon moi, le temps n’est pas ! À nous de l’inventer. Qu’y puis-je si deux cents ans nous séparent toi et moi, et que rien ne me sépare de Lui ! »
Ses discours vous éblouissent.
Vous en venez à penser que le temps comme vous le fécondez est le fossoyeur de votre vie.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Première partie
 
 
 
1.
 
 
 
« Tiens, un retardataire… » se dit Éléa, ce jour-là d’octobre en regardant le jeune homme qui, de sa paume droite bien à plat, poussait la porte de l’atelier, s’introduisait en tanguant, passait devant elle sans s’excuser ni décliner son identité, et sitôt installé, déclarait :
— Bonsoir, je suis inscrit à l’atelier d’en face mais vos allées et venues… vos gestes observés à travers la paroi vitrée en ont décidé autrement.
Le discours saugrenu confondit moins Éléa que la dégaine nonchalante du personnage, ses cheveux coupés à la diable, son visage tout en angles, et ce regard à lui passer au travers.
 
Rémi C. (C. pour Courtois) – ainsi vous l’inscrirez plus tard sur votre liste de l’année – n’avait sur lui, ce jour-là d’octobre, ni feuille ni crayon, mais cette manière d’enjamber le temps en sens contraire, de regarder à vous passer au travers.
« Un de ces réfractaires… » vous dîtes-vous encore.
 
— On verra tout ça plus tard.
— Tout ça quoi ?
— Mais ton inscription à mon atelier…
— Mon inscription à votre atelier… bien sûr.
Chaque année académique comptait ses spécimens, le nouveau était assurément du nombre. Les lundi et mercredi de chaque semaine, Rémi C. arrivait ponctuellement un quart d’heure après que l’atelier de dessin était commencé, passait devant Éléa les yeux sur elle, prenait place dans les parages de l’étudiant nommé Jacques Star. Était-ce l’immodestie de celui-ci dont les cartes de visite exhibaient en grand artiste … allez savoir, autant le nouvel arrivant était confus autant Jacques Star était sûr de lui, ils devinrent cependant amis et le restèrent le temps de deux années d’atelier, plus une année hors académie.
 
Rémi C. fourmillait de questions qui toutes trahissaient le fond mouvant de sa nature. Là où ses mots abordés à la façon biaisée du crabe détournaient de lui ses compagnons, Éléa redoublait d’attention. Réfractaires ou extravagants les spécimens, leurs inconstances, leurs insolences, rien les concernant ne la déroutait, tout juste le contraire : c’était en terrains difficiles que ses compétences s’exerçaient le mieux.
— Excusez-moi… Vous parliez… de la chose entière contenue dans les yeux ? Pourriez-vous préciser ?
— Ferme les yeux ! Abîme-toi dans le dedans, oublie la forme. Rouvre les yeux, vois à nouveau, referme les yeux, laisse le vide opérer. C’est le regard de l’âme qui compte.
— Le regard de l’âme ! ?
— Une qualité d’attention intérieure, si tu veux, c’est là que réside le talent.
— Le talent ? Mais c’est quoi… talent, talent ?
Rémi C. secouait le mot devant lui comme un chiffon à poussière, il ne voyait pas où la professeur voulait en venir.
— Connais-tu la parabole des talents de la Bible ? L’histoire du serviteur qui enterre sa part de pièces d’or contrairement à ses deux compagnons qui la font fructifier à la grande satisfaction du maître à son retour de voyage ?
Non. Il ne connaissait rien à ces fables, sa famille n’était d’aucun Livre. « Celui-là va me donner du fil à retordre ! » conclut Éléa, avant de déclarer survolant d’un regard vibrant ses étudiants :
— Nous avons tous une part de talent à devoir reverser au monde, ne l’oubliez jamais !
 
Novembre. Un mois a passé depuis l’arrivée à votre atelier de Rémi C. Chaque fois qu’il se glisse par la porte vitrée de votre atelier, passe devant vous les yeux sur vous, vous sentez se cristalliser vos allées et venues et vos gestes d’octobre censés avoir déterminé son choix pour votre atelier plutôt que pour celui d’en face. Et chaque fois vous vous surprenez à vous demander ce que le nouveau est venu chercher chez vous. Un passager sans doute, pensez-vous, ignorant la contrariété qui sous-tend la suspicion, espérant vous tromper, car bien entendu vous vous faites un point d’honneur à ne perdre aucun étudiant.
 
« Au Vinci », le bistrot jouxtant l’Académie, les étudiants, ce soir-là de novembre, s’échauffaient autour d’une bière. L’un disait regretter l’époque où les artistes étaient ensemble , créaient des mouvements, rédigeaient des manifestes. Un autre parlait de la solitude de la création porteuse en soi du germe suicide. Le regard du nouveau voyageait au rythme des mots fusant dans le désordre, revenait se déposer sur la prof en face de lui qui se taisait, écoutait cherchant à appréhender cette jeunesse exaltée, continuant de se demander ce que le nouveau était venu chercher à son atelier, ce que ce regard lui voulait. Le garçon de café s’affairait, déposait pour les uns sandwichs, pour les autres potages, salades et autres.
Qui d’elle ou de lui initia la trivialité de la scène qui allait suivre ? Sans avoir cure de la compagnie autour de la table qui n’avait cure d’eux, Éléa mordait dans le cannibale que Rémi C. lui tendait goûtez-moi ça  ! qui ouvrait grande la bouche pour accueillir la salade hawaïenne. Ils s’amusaient visiblement tous les deux de ce troc. Une onde sonore s’échappa du jeune homme, sa tête partait en arrière, son corps se pliait vers l’avant comme à vouloir contenir le tout. Était-ce là un rire ? se demandait Éléa, tandis qu’à l’instant même – comme si l’éclat sonore avait enclenché sa mémoire – lui revenaient des échos du conte des trois épreuves que sa mère lui racontait enfant.
De tous les contes son favori… « Imite encore les oiseaux ! » l’implorait-elle et sa mère reprenait l’histoire en y ajoutant des détails rehaussés de nouveaux cris d’oiseaux.
— Imaginez ! commence Éléa élevant la voix pour imposer silence à la tablée… imaginez un fils de roi partant en voyage à la recherche de la fille d’un autre roi, la plus belle qui fût au monde…
Moqueurs, les étudiants écoutaient le long voyage solitaire du jeune prince, les trois épreuves en chemin (les oiseaux, les éléphants, les titans) toutes brillamment surmontées par le prince… et la belle princesse au bout en récompense.
— Mais ne vous y méprenez pas, ce conte n’est pas juste une histoire qui finit bien. La princesse doit être comprise comme le point culminant de la vie, l’élan d’amour comme l’élan vers la vérité.
À ces derniers mots, succéda un effroyable brouhaha autour de la table, tous parlaient à la fois. Julie s’indigne : la princesse dans cette histoire est ni plus ni moins otage… Jacques Star cherche à monopoliser le crachoir :
— … l’amour est représentation et toute représentation en tant que représentation doit être recommencée, c’est là son seul intérêt.
Rémi C. cherchait à placer un mot, se ravisait, se levait et, brusquement sans saluer la compagnie, se dirigeait vers la sortie.
Éléa le rattrapait.
— Je te raccompagne si tu veux, nous habitons le même quartier.
— Alors allons-y !
Personne ne parut s’apercevoir de leur départ escorté par des voix de plus en plus discordantes et tonitruantes.
 
Dehors il pleuvait à seaux, de ces pluies formidables, tièdes comme l’automne peut

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents