Du sang sur le bitume
104 pages
Français

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Description

Peter MANICOL, jeune représentant en fournitures de bureau, est en proie aux doutes. Il est amoureux fou, depuis six mois, de la belle et mystérieuse Mary qu’il rencontra, un soir, affolée et démunie, et qu’il décida d’accueillir chez lui sans poser de questions sur son passé.


Mais il sait que les goûts de luxe de sa Mary s’accordent de moins en moins avec les faibles revenus de son triste métier...


Tandis qu’il se rend aux toilettes d’une auberge dans laquelle il s’était arrêté pour noyer son dépit dans un verre de bière entre deux prospections, il entend un cri de femme provenant d’une chambre du palier. La porte s’ouvre, une superbe créature terriblement effrayée en sort et s’évanouit dans ses bras.


En la portant à l’intérieur, Peter MANICOL remarque trois choses importantes qui vont modifier le cours de sa vie : un homme imposant gît dans un bain de sang sur le lit ; une paire de chaussures bien trop petites pour appartenir au défunt dépassent sous le rideau de la penderie ; une sacoche contenant une forte somme d’argent en billets de banque...


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Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782373477696
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU SANG SUR LE BITUME
Roman policier
par J.A. FLANIGHAM
CHAPITRE PREMIER
Peter Manicol pensa qu'il avait chaud, qu'il avait soif, et qu'il se sentait un peu plus désemparé encore qu'à l'habitude.
Il s'arrêta quelques instants pour poser à ses pied s la lourde serviette de cuir qui contenait sa collection de représentant en papiers, carbones, fournitures de bureaux et bâilla.
Il évoqua fugitivement Mary, et de penser à elle lu i donna un sentiment intérieur très paradoxal de chaleur et d'infini dés arroi.
Il n'était tout de même pas assez bête, même s'il é tait fou de Mary, pour savoir qu'elle ne résisterait pas longtemps à cette existence étriquée, misérable, et qu'elle n'était certes pas faite pour les fins d e mois qui durent vingt et un jours.
C'était toujours comme ça dans la vie, se dit encor e Peter, dès l'instant où quelque chose collait, le reste n'allait plus.
Pourquoi lui avait-il fallu rencontrer Mary alors q u'il avait perdu tout son argent et qu'il débutait dans cette place de représ entant qui lui permettait tout juste de ne pas mourir de faim ?
Il grimaça, reprit sa serviette, et d'un œil noir f ixa la rue montante, au sommet de laquelle une auberge à la façade de briqu e rouge, faisait claquer au vent l'écusson émaillé noir aux armes de la ville.
— Faire de l'argent... grogna Peter.
Pour lui, il s'en fichait pas mal. Il en avait conn u de plus dures, au cours d'une existence marquée d'alternatives de hauts et de bas. Mais elle...
Rien qu'aux regards qu'elle avait pour contempler l es petites robes d'été aux vitrines des magasins, il avait des envies de meurt re... Rien que pour la voir sourire... Rien que pour se dire que son corps admi rable, moulé dans des babioles froufroutantes serait plus désirable encor e... Et qu'elle était à lui. À lui tout seul.
La grimace s'accentua. Une voix intérieure gronda e n lui :
— Pas pour longtemps...
Elle commençait à se plaindre. Elle avait des sursa uts de révolte qu'elle n'avait pas eus au début de leur liaison. Il est vrai qu'au début de leur liaison...
Il eut un geste qui chassait. Il y avait tant d'étr angeté dans le comportement de Mary, qu'il n'était pas besoin de se poser de qu estions. Sur rien de ce qui concernait son passé ni certaines étrangetés de son attitude. Qu'elle ait choisi
un type comme lui, aussi insignifiant, aussi calme, aussi... sans histoires, était la chose la plus étrange du monde. Au diable les raiso ns qui avaient poussé Mary à se réfugier près de lui, à l'accepter comme compa gnon. Même si elle avait peur, même si son passé était chargé d'ombres menaç antes, il s'en moquait éperdument. Elle était à lui, à lui tout seul.
— Pas pour longtemps, répéta ironiquement la petite voix intérieure.
Il haussa les épaules. La servante de l'auberge, qu i était sur le seuil, le regarda, visiblement étonnée par l'attitude tourmen tée de ce grand gars au visage sympathique, qui paraissait poursuivre avec lui-même une conversation fichtrement ennuyeuse.
Il entra machinalement. La salle était fraîche, un peu sombre, mais, dans cette demi-pénombre, les cuivres rouges étincelaien t.
Il tira un tabouret, s'accouda au bar et d'une voix morne, commanda un demi.
La fille le servit silencieusement. Il la regarda s ans y prêter autrement d'importance, constata qu'elle était fraîche et sai ne, mais qu'elle n'avait aucun piquant.
— À côté de Mary...
— Ça devient une obsession, se dit-il, je ne peux p as m'arrêter de penser à elle. Les neurologues appellent cette forme de pass ion « l'amour maladie ». Je dois être un détraqué sensuel ou quelque chose comm e ça.
Il bâilla, finit son verre, et décida d'inscrire la commande qu'il avait prise deux heures plus tôt. Trois rubans de machine à écrire. Une rigolade.
Il sourit tristement, sortit son carnet à souches, et inscrivit la commande d'une haute écriture hachée et rageuse. Quand il eû t terminé l'opération, il constata qu'il avait taché ses mains, et d'une voix impersonnelle demanda à la fille qui restait là droite et absente derrière le comptoir, où se trouvaient les lavabos.
— Au premier étage, dit-elle, tout au fond du coulo ir.
Il descendit de son tabouret, et tourna la tête ver s l'entrée de l'auberge qui recevait une troupe de jeunes gens bruyants et blag ueurs.
Deux limousines venaient de stopper devant la porte . Les jeunes gens et jeunes filles paraissaient appartenir à la meilleur e société. Ils étaient élégamment vêtus et tout en eux respirait l'aisance , la joie de vivre.
Un sentiment de rage impuissante serra le cœur de P eter.
— Trop d'injustice, pensa-t-il. D'un côté ceux qui vivent comme des pachas, de l'autre ceux qui triment et n'arrivent à rien.
Il se sentit étonné de cette réflexion. Il constata qu'à son insu, l'espèce d'anarchie farouche qui imprégnait Mary avait détei nt sur lui.
— Le principe de l'anarchie, lui avait-elle dit un jour, en souriant d'un sourire âpre et vengeur, c'est prendre l'argent où il se trouve.
Il lui avait répondu qu'à son sens l'anarchie n'éta it pas ça du tout, bien que la question ne l'ait jamais tourmentée autrement, e lle avait éclaté de rire, d'un rire bizarre et cruel qui lui avait donné froid dan s le dos.
Peter avait enchaîné en parlant d'amour, mais il av ait bien vu à son regard qu'elle continuait de penser à des tas de choses tr ès importantes et très spéciales.
Les jeunes gens avaient mis le pick-up en marche, e t, déjà, dans le fond de la salle quelques couples s'étaient formés. Ils éta ient bruyants.
— C'est beau la jeunesse, pensa Peter, qui se senta it cette après-midi-là, vieux comme Dieu le père.
Il se dirigea vers la porte du fond qui menait vers le premier étage, en jetant un coup d'œil vindicatif sur ses mains salies par l a dérisoire commande de trois rubans machine.
Au premier étage, le vacarme paraissait plus étourd issant encore, et Peter, après un regard au couloir fraîchement encaustiqué, haussa les épaules, pour se diriger vers la porte du fond. De chaque côté du corridor se trouvaient des portes, que Peter compta machinalement : trois sur la droite, trois sur la gauche.
Il ralentit le pas en se demandant pour quelles rai sons ces jeunes fous du rez-de-chaussée poussaient de tels cris, et son vis age se figea en une expression d'étonnement puis de terreur.
Au bruit du pick-up d'en bas qui diffusait un be-bo p, se mêlait d'autres sons musicaux : un tango, et en fond sonore sur tout cel a, la rumeur d'en bas, puis des râles et enfin un hurlement... Un long hurlemen t de bête, un cri de femme.
Peter fit un pas en avant, s'immobilisa encore. Il aurait pu jurer que c'était là, dans cette chambre de droite, devant la porte de la quelle il se trouvait précisément, que tout cela avait lieu. Les sons lan cinants du tango venaient brusquement de cesser. Les habitants de la pièce de vaient avoir un poste portatif ou un phonographe, se dit Peter.
Il se demanda pour quelles raisons il pensait à la musique dans des conditions semblables, il se demanda aussi s'il all ait frapper et poser des questions... Quelles questions ?
Il fit un pas en avant et se détourna brusquement. La porte venait de s'ouvrir et une femme apparut dans l'entrebâillement.
Son peignoir entrouvert découvrait en toute impudeu r la bonne moitié d'une
anatomie suffocante. Peter, sans y attacher autreme nt d'importance, se dit qu'elle était à peu près aussi bien balancée que Ma ry et que ce genre de femme ne courait certes pas les rues.
Pour le moment, elle paraissait se moquer éperdumen t de son académie et de l'importance que cela pouvait avoir. Toute la te rreur du monde se lisait dans ses yeux immenses et très bleus, agrandis dans une expression d'indéfinissable panique.
Quand elle vit Peter, elle rajusta machinalement so n peignoir, et d'une voix indistincte, elle questionna :
— Qu'est-ce... qu'est-ce que vous faites là ?
Peter haussa les épaules, ouvrit la bouche pour rép ondre, et à ce moment-là, elle détourna les yeux pour regarder quelque ch ose à l'intérieur de la chambre. Peter n'eut qu'un pas à faire pour la sais ir dans ses bras ; elle venait de tournoyer sur elle-même et s'évanouit tout douce ment, avec une drôle de petite grimace satisfaite.
Peter crut entendre un pas dans l'escalier et, mû p ar un réflexe subit, la poussa, toujours évanouie, blottie contre lui, à l' intérieur de la pièce, dont il referma précipitamment la porte sur eux.
Il souffla, s'adossa au mur. Elle était toujours co ntre lui, et il respirait le parfum qui émanait de sa lourde chevelure rousse, u n parfum léger et prenant. Il se demanda s'il était ému. C'était une question qui n'avait aucune importance, mais qu'il pensait indispensable de se poser en l'i nstant présent. Il comprit brusquement que cette question n'avait rigoureuseme nt aucune espèce d'importance, lorsque, en levant les yeux vers le f ond de la pièce, il aperçut l'homme, étendu sur le lit.
Il était grand, d'une taille même extrêmement puiss ante, et le torse nu était aussi important en muscles et graisse que la longue ur de ce grand corps dont les pieds dépassaient de façon un peu ridicule entre les barreaux du lit.
Il n'y avait pas besoin d'examiner l'homme pendant une demi-heure pour constater qu'il était tout ce qu'il y avait de mort . Et pour ajouter que la mort ne datait pas de loin. De cinq minutes tout au plus. L e sang continuait de couler, de suinter très exactement, goutte à goutte, d'une ble ssure qui était comme une large tache à la base du cou.
En regardant mieux, Peter constata que le manche, t rès petit et très noir, d'un instrument qui tenait du poignard et du coutea u malais, dépassait de la blessure.
Il écarta doucement la fille de lui. Il constata av ec un étonnement qui tenait du prodige qu'il n'était pas ému outre mesure. Il é tait nettement dépassé par les événements, et il avait lu à maintes reprises que, dans ces cas-là, on s'en tire
avec le maximum de lucidité ou le maximum de paniqu e.
Il se sentit très fier de se savoir aussi dispos, e t continuait de maintenir toujours la belle fille rousse, la poussa dans un f auteuil. Elle revenait précisément à elle.
Elle eut un regard affolé autour d'elle, puis ses c ils battirent et une expression d'horreur indéfinissable envahit son vis age quand elle vit le corps sur le lit. Peter mit prestement la main sur sa bouche pour arrêter juste à temps le cri de terreur qu'elle allait émettre.
— Il y a des choses plus intéressantes que cela à faire, dit-il.
Elle posa sur lui un regard légèrement abruti.
— Quoi ? dit-elle d'une voix pâteuse.
— Beugler comme une sourde ne vous avancera rigoure usement à rien.
Il jeta un regard écœuré sur le lit. Il n'aimait pa s les cadavres. La dernière fois qu'il avait vu un mort, c'était dans sa premiè re adolescence, à quatorze ans. Son oncle Anatole. Il en avait longtemps gardé une sensation d'horreur et de détresse.
Et cependant l'oncle Anatole était mort tout ce qu'il y avait de naturellement. D'une cirrhose du foie carabinée.
— Qu'est-ce que vous avez l'intention de faire ? di t Peter, en posant un regard absent sur la fille qui se lissait machinale ment le front.
Elle eut un regard affolé vers le fond de la pièce, dans laquelle se trouvait une vaste penderie, entourée d'un épais reps marron à fleurs vertes. Peter se demanda s'il rêvait ou s'il avait nettement aperçu une paire de chaussures dépasser du rideau. C'était curieux, cette sensatio n qu'il éprouvait, de rêver une partie de la scène qu'il vivait.
Il se demanda si la paire de chaussures masculines — des chaussures de daim marron à bouts carrés — était surmontée d'un c orps et si, en l'occurrence, cela pouvait avoir une importance dans la suite nor male du déroulement des événements.
Il se répondit que non. Il était paresseux par natu re, et, de toute façon, il commençait à se sentir angoissé quant à la suite po ssible desdits événements en ce qui concernait sa propre position.
— Je ne sais pas, répondit-elle enfin.
— Vous ne savez pas quoi ?
Il s'était péniblement arraché à la contemplation d e la paire de chaussures, pour se dire que, de toute façon, le cadavre avait des pieds beaucoup trop importants pour entrer dans des chaussures aussi pe tites, et que, dans ce cas-
là, il y avait de fortes présomptions pour que les daims à bouts carrés soient surmontés d'un corps.
— Vous m'avez demandé ce que je comptais faire, je vous ai répondu que je ne savais pas.
— Vous n'êtes tout de même pas assez abrutie pour n e pas vous rendre compte que vous êtes dans de fichus draps ? dit Peter.
— Oui... je sais.
Elle avait une voix sourde et prenante, une chaude sensuelle, et Peter évoqua Mary.
voix de femme
Il pensa qu'il y avait bien quatre à cinq minutes q u'il avait quitté la salle du bas, et que cela pouvait devenir important par la s uite. Il se sentit étrangement exalté de penser juste et bien, avec autant de rapi dité, en pensant à tout.
Ses yeux revinrent à la penderie, puis se posèrent de nouveau sur la fille :
— Habillez-vous, et partez !
— Je... je ne sais pas où, aller.
— Écoutez...
Toujours en lui cette effrayante lucidité, cette so urde exaltation.
— De toute façon, vous êtes dans le bain, mais je c rois qu'il est préférable de fuir maintenant. Y a-t-il une sortie pour l'hôte l ? Je veux dire une sortie distincte de la salle du bas ?
— Oui, elle donne sur le jardin et mène à l'autre rue.
— Bon. Prenez-la, je vous attends d'ici vingt minutes à l'Auberge de la place. Vous connaissez ?
Elle fit oui de la tête. Elle était prodigieusement pâle.
— Ce n'est pas le moment de vous évanouir, dit Pete r sévèrement.
Elle fit non de la tête. Elle était pitoyable. Il s e dit qu'elle avait selon toute vraisemblance, tué un homme, à moins que... la paire de chaussures...
C'était curieux : sa lucidité se trouvait en écho d evant cette paire de chaussures.
— Je vais m'habiller, dit-elle en se levant lenteme nt.
Elle se dirigea vers la droite, poussa une porte.
Peter se leva.
— Alors, c'est bien compris, d'ici vingt minutes à l'Auberge de la Place?
— Oui !
Il jeta un coup d'œil général sur la pièce, en tâch ant d'éviter la face placide aux yeux grands ouverts du cadavre énorme. Et c'est alors qu'il vit la sacoche. Elle était de petite taille, de la grandeur d'un grand sac de femme, en cuir, fauve. Elle était entrouverte et, dans l'entrebâillement, Peter aperçut une liasse de billets. Il paraissait y en avoir des tas.
Son sang battit plus vite et instinctivement, il év oqua Mary.
Toute sa rage de la journée lui monta de nouveau au x joues, aux yeux, au cœur, le submergea entièrement. C'était comme une v ague, comme une marée de haine. Il n'avait qu'à tendre la main, et la sac oche était à lui. Pas à lui, il n'était pas malhonnête, il n'avait aucun désir, sau f Mary. Pas à lui la sacoche, mais pour Mary. La main à tendre, simplement, et la glisser, cette sacoche, entre son veston et son gilet.
Ce qu'il fit.
— Dans vingt minutes ? fit la voix étouffée de la jeune femme.
Il tressaillit, mais un étrange sentiment de chaleu r fut en lui au contact de la sacoche sur sa poitrine.
— Oui ! dit-il en tournant doucement la poignée de la porte.
Il imaginait le regard de Mary quand il reviendrait avec ce petit ensemble turquoise devant lequel elle bâillait depuis quinze jours.
— À tout à l'heure, dit-il en refermant la porte.
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