Je ne reviendrai pas
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Description

La nuit appelle la jeune femme et sa mère aussi.
Mathilde !
Dans les lumières de Noël, l’appartement scintille. C’est fallacieux. Comme un argument de politique, mais très nerveux – Mathilde, tu viens ! Seulement Mathilde est soûlée. Elle ne veut pas venir, elle ne veut pas déballer son foutu cadeau. Elle ne veut pas retrouver le sourire totalement faux de sa mère, et celui mimétique de son frère. Putain, il n’a pas loin de trente ans et il croit encore au Père Noël, y de quoi devenir dingue ! Mais ce qui la rend dingue, ce n’est pas tant les lumières, dans le fond, elle a toujours aimé ça, un peu d’imagination qui tombe du ciel et vient recouvrir les visages d’un sourire satisfait. Ce qui la blesse, c’est l’absence, et ça, y a rien à faire, sa daronne, elle veut pas comprendre !

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Informations

Publié par
Date de parution 17 juillet 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414360901
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194 avenue du Président Wilson – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-36091-8

© Edilivre, 2019
– 1 –
Il marchait avec une régularité très douce, à peine perceptible, le bruit de ses semelles sur le pavé. Car dans cette partie du deuxième arrondissement, la rue était encore pavée. Il marchait avec calme. Peut-être faudrait-il dire avec sérénité. Comme tout semblait glisser en lui. Ça aurait pu être n’importe quel promeneur. En cette fin d’année, un an après les agitations qu’avait connues la capitale, il marchait comme si de rien n’était.
On ne savait pas grand-chose de lui, si ce n’est par la négative. Il ne possédait pas de chien qui aurait expliqué sa promenade nocturne. Il ne fumait pas non plus sa dernière clope de la journée, aucune irradiation de fumée entourant son visage recouvert d’un capuchon imperméable. Pas de compagne ou de compagnon à son bras, d’enlacement romantique, au clair de lune quand Paris souffle parfois des relents du passé fantasmés par des touristes chinois.
Non, un homme qui marche dans Paris, seul.
Par ici, dans la ligne qui fonce droit vers la rue Montmartre, la nouvelle Poste élève un mur luxueux où l’on sent à l’intérieur des parfums chauds et suaves, des discussions feutrées entre touristes aisés, lovés dans le sein parfumé de femmes au travail.
Mais lui est seul, pas un amour qu’il tiendrait à son bras, cela n’est pas nécessairement triste. On peut être très bien, seul, sans être happé par une discussion avec l’écran azuréen d’un téléphone.
Arrivé au milieu de la rue, il sembla chercher un numéro. Mais par ici, seul le facteur connaît les numéros, pas la peine de chercher ; sur sa gauche le vestibule d’un collège puis celui d’un lycée, sur sa droite au rez-de-chaussée, une lumière, un filet entre un rideau mal tiré et l’extrémité du mur. Cela l’attira un instant puis il continua d’un même pas d’une même mesure.
On pourrait parfois regarder la démarche des piétons en imaginant la musique qui les accompagnerait. Pour lui ce serait une musique monotone assurément mais rien d’inquiétant en tout cas. Enfin à première vue, l’homme semblait de confiance, cet ami que l’on attend à un coin de rue, en se disant « tiens il ne m’a pas encore vu mais je le vois moi, je sais qu’il arrive, qu’il me cherche » Et cet instant où la parole n’a pas encore tout haché, c’est là le temps le plus doux le plus délicat qui soit. La parole n’a pas encore eu le temps d’étaler son indélicatesse ; d’étaler les quelques vulgarités d’une pensée du commun : quel temps, tu te rends compte ? tu as fait bonne route ? comment va ta famille ?
Mais cet inconnu de la rue Jussienne, marche sans but, semble-t-il, et arrivé au croisement de la rue Montmartre, personne ne l’attend.
Ou alors il est attendu mais n’est pas pressé de s’y rendre.
Ou alors, il ne sait pas où se rendre.
Ça c’est si on le regarde directement.
En revanche, si on prend un peu de distance, ce bonhomme un peu sec, aimable, s’entache de flou. La rue est suintante, la pluie a déposé une fine couche qui réverbère de débiles lueurs, quelques halos de voitures épars, ou bien peut être une lanterne.
Lui est enveloppé dans son imperméable, mais pas suffisamment vu la saison. Son pas est peut-être régulier mais à tendre l’oreille le tapotement de son talon a quelque chose d’effrayant, l’écho surtout. Un ping-pong du son contre le mur.
Et puis ce visage incapable à définir, assombri par un capuchon, une ombre mobile qui descend sur sa bouche au plus bas.
L’air est doux mais son humidité évolue vers le brouillard. L’asthme pourrait le gagner, d’ailleurs on sent que son souffle traverse une trachée irrégulière. A moins que l’air s’extraie dans un volume trop important pour elle, ou simplement que l’âge arrondit globalement les organes mais granule les chairs.
L’air est heurté dans son expiration et sort avec des gouttelettes qui bientôt se fondent dans le brouillard naissant. Fort à parier que d’ici peu, nous ne verrons plus l’homme, à peine sa silhouette déjà mal dessinée, nébuleuse dans la nuit.
Un homme seul, pour résumer, qui fait les cent pas dans une rue déserte.
La nuit appelle la jeune femme, et sa mère aussi.
Mathilde ! Mathilde !
Dans les lumières de Noël, l’appartement scintille. C’est fallacieux. Comme un argument de politique, mais très nerveux – Mathilde, tu viens ! Seulement Mathilde est soulée. Elle ne veut pas venir, elle ne veut pas déballer son foutu cadeau. Elle ne veut pas retrouver le sourire totalement faux de sa mère, et celui mimétique de son frère. Putain, il n’a pas loin de vingt-cinq ans et il croit encore au Père Noël, y a de quoi devenir dingue ! Mais ce qui la rend vraiment dingue, ce ne sont pas tant les lumières, dans le fond, elle a toujours aimé ça, un peu d’imagination qui tombe du ciel et vient recouvrir les visages d’un sourire satisfait. Ce qui la blesse, c’est l’absence, et ça il n’y a rien à faire, sa daronne, elle ne veut pas comprendre. A croire qu’elle est conne !
Dans l’air, insidieusement, de force, une odeur de vin chaud se diffuse, passe dans l’entrebâillement de la porte, elle se réfugie sous sa couette, se rassure des odeurs familières de son corps, se bouche les oreilles, se recouvre de cette belle couverture bien douillette comme quand elle était gamine, mais ce parfum est entêtant et attirant. Elle sait qu’elle finira par se lever, y aller et sourire à son tour. C’est l’esprit de Noël de se faire plaisir.
Ou alors, c’est qu’elle voudra faire plaisir à son frère et à sa mère aussi.
Putain, ce que c’est dur que d’avoir 17 ans et du bordel dans la tête. On dirait un champignon qui n’en finirait pas de pousser, un mauvais champignon qui se nourrirait de la matière gliale et bien repu, ferait ressembler à n’importe quel ado, à ses pauvres cons du lycée qui passent le samedi soir à sniffer du proto tout en exposant leur bêtise sur YouTube.
Mathilde, Mathilde, tu es la première à te plonger dans l’écran. Les pages défilent. Les amis se succèdent et commentent des commentaires. Mais il faut dire, parler, commenter est la preuve de ma vivacité, de mon appartenance à leur monde. Dans l’écran bleu l’avatar chante et danse, rit et joue, dans l’écran bleu les amours sont possibles, et les peines sont raillées, ou bien partagées, elles viennent soulager les peines des autres, mais merde, Mathilde, ce sont des peines à deux balles, car jamais l’écran ne pourra plus afficher ce que tu ressens vraiment, le cancer filandreux de la séparation.
Mathilde ! Mathilde ! Tu peux venir maintenant !
Bien sûr, maman, j’arrive.
Autour de la table, son frère, sa mère, au centre une bougie. Sur la cheminée, depuis longtemps condamnée, les photos d’ancêtres, des reproductions, un vase avec une fleur fanée et, à côté, une bougie. Sur la droite, une bibliothèque, bien fournie, elle a fait le trajet depuis la Bretagne – sent-elle encore l’iode et l’algue ? – des livres bien sûr, mais aussi tout un bazar qui rassure, des photos, des sculptures en bois, une bouteille de vin, une croix qui appartenait au grand-père, et au centre, une bougie.
Mathilde s’assoit en face de sa mère, et à côté de son frère, comme d’habitude. Ce soir, il est plutôt calme. Ses yeux dans le vague semblent porter loin, comme une musique orientale sur les causses déserts et le sable infini. Pourtant, il ne voit qu’en lui-même et, sans doute, pas grand-chose.
Quand Mathilde était petite, elle imaginait que son frère avait une vision formidable, plus tard, en découvrant Rimbaud, elle se dit que son frère était l’aboutissement du surhomme rimbaldien. Et puis à présent, à 17 ans, elle se dit que son frère est juste un morceau d’univers perdu, léger et insouciant tandis qu’elle est un morceau de béton qui se doit de le préserver et de préserver sa pauvre mère, elle-même morceau d’ébène à la dérive.
Mathilde se dit aussi qu’elle doit apprendre à se préserver elle-même, pour assurer les arrières, son frère ne sera pas toujours à la maison, il aura besoin d’un foyer de vie, d’une rente aussi, qu’il puisse continuer à explorer l’univers à sa guise. Et sa mère, sa mère, elle la voit bien décliner dans la gravure harmonieuse de ses rides, comme si en cachète ses larmes avaient creusé mais tout doucement, en prenant son temps, en ôtant année après année des peaux mortes, afin de donner dans cette peau pâle magnifique des sillons légers et mélancoliques.
– Tu en as mis du temps ! On était en train de s’endormir avec ton frère ! s’exclama-t-elle dans un rire forcé.
Ça c’était la mère de Mathilde, elle forçait toujours son rire car elle savait qu’après, elle se mettrait à rire, vraiment. Et merde qu’elle était belle quand elle riait !
Mathilde et ses yeux alertes observaient les perles de salive aux commissures des lèvres de son frère.
Le repas achevé, ils s’étaient retrouvé tous les trois au pied du sapin. La maman avait enfilé un plaid long, lourd et laiteux. Les extrémités reposées sur ses épaules lui donnaient beaucoup de charme, pensait sa fille. Le frère, ébloui par l’énorme paquet à ses pieds, attendait sagement le feu vert des femmes de la maison. Mathilde avait emporté son thé chaud, qu’elle sirotait avec plaisir. « Le père Noël est passé ! » s’extasia sa mère, « On peut ouvrir les paquets » ajouta-t-elle en riant. Ce fut communicatif car à ce moment le frangin fut pris d’un fou rire, son visage impavide s’illumina. Ses yeux d’un bleu profond n’étaient plus que deux petites fentes et son sourire était aussi naïf que pur.
Le paquet avait la forme d’un énorme bonbon, il le déchira avec avidité, mais resta bien vite interdit devant un autre sac, noir épais, une sorte de plastique. Mathilde s’agenouilla à ses côtés, lui déposa un tendre baiser s

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