La Lune pourpre
146 pages
Français

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Description

Sur une toile de fond climatique parasitée de troubles sociaux, Yvan, le mari de Sandrine, promu chef de publicité d'une firme de fabrication de produits caoutchoutés, devient odieux à son égard. Il est pris dans les rets de Daisy, une pianiste noire de cabaret-péniche du bord de la Seine. Celle-ci le sauva par son témoignage lors d'une enquête criminelle, en dédouanant sa culpabilité. Sandrine lui échappe et rencontre Pierre, en panne de voiture, sur le bord d'une autoroute du sud de la France.

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Informations

Publié par
Date de parution 17 avril 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414331574
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Bernard Tellez
La Lune pourpre Roman
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Sandrine hésita devant le bureau d’Yvan, à la porte entrebâillée… Sans avoir eu eu le temps de réfléchir, quelques secondes plus tôt, sinon d’enfiler son manteau, de chercher son sac à main, ses papiers, elle avait eu l’instinct de fuir en catimini.. Elle craignait que l’homme qu’elle avait l’intention de quitter, pût capter sa présence et surgir de son bureau, dans sa colère. Elle hésita encore avant d’en franchir le seuil, tremblante de peur. Son ombre portée se déplaça furtivement en silhouette sur le mur du couloir, quand elle se décida et passa devant la pièce à la porte entrouverte. Yvan ne la vit pas. Sandrine retint sa respiration, fit le moindre bruit pour se diriger vers le vestibule. Elle avança sur la pointe de ses escarpins, et faisant jouer lentement la clef dans la serrure, elle ouvrit la porte de l’appartement, sans la fermer tout à fait, à cause du déclic. Sur le palier désert, attentive aux sons, à l’écoute de la cage d’escalier silencieuse, Sandrine préféra descendre les marches plutôt que de prendre l’ascenseur. Il fallait faire vite. Apparemment, elle s’était trompée sur le flair d’Yvan. L’homme ne s’était aperçu de rien. Elle continuait de descendre doucement, sans avoir la moindre notion de l’heure. Non, Sandrine n’était pas suivie, personne ne montait l’escalier, à contre sens, venant d’en bas, de la rue,
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quelqu’un qui pouvait la voir… Elle atteignit le hall du rez-de-chaussée. La porte d’entrée qu’elle ouvrit en hâte, se referma sur son passage. L’air frais la saisit, dehors, avec ses larmes, la violence des coups qu’elle avait reçues. L’enfer d’Yvan la poursuivait encore dans sa fuite nocturne, en accaparant son champ de conscience. Certains points précis lui faisaient mal, le long des joues, sur son ventre, sur le bulbe, les tétons de ses seins, autant de fois qu’il avait voulu frapper, avant ce coup de poing fatidique dans les reins. Elle avait perdu l’équilibre. Il ne l’avait pas entendue gémir. Elle avait réussi à se redresser juste à temps, à se réfugier dans sa chambre, en fermant la porte, à clef. Il ne l’avait pas poursuivie jusque là. Il ricanait, d’une voix forte. Que faisait-il d’autre, en ce moment ? Heureusement qu’elle était dans la rue, avec le froid… Celle-ci paraissait calme, noyée de brume. Elle courut pour intégrer son Opel garée à proximité. Elle introduisit la clef de contact et le moteur tourna. En quittant la bordure du trottoir, Sandrine mit les phares en code et commença à rouler doucement… Des silhouettes de passants anonymes s’inscrivaient comme des figurines dessinées à l’encre de chine dans la clarté du carrefour illuminé. Mais sa perspective semblait lointaine, dans la densité du trafic. Le véhicule se rapprochait lentement, sans être suivi. En conduisant, elle sentait la différence entre l’Yvan qu’elle avait connu et le monstre qu’il était devenu. Dix ans s’étaient écoulés, dix ans à vivre contre un homme pour lequel elle avait éprouvé du sentiment, sans savoir qu’il pouvait changer à ce point ! Si de l’eau était passée sous les ponts depuis, Sandrine en était meurtrie… Que faisait-il, à ce moment précis ? C’était inconcevable ! Assis dans un fauteuil, un verre de whisky à la main, sans doute avec son
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cigare entre les doigts qu’il amenait de temps à autre, à ses lèvres, il devait jubiler, depuis qu’il avait pris cette habitude de la battre, de la frapper, instinctivement, pour les idées que Sandrine s’était mise dans la tête, autant d’idées folles qu’elle ruminait depuis des mois, auxquelles il n’avait pas accès. Mais il y avait aussi d’autres raisons dont elle était seule à saisir le sens. Sur quoi écrivait-elle ? Etait-ce sur leur histoire à eux, sur leur amour, sur leur échec, depuis qu’il était devenu chef de publicité chez « Flirt Paradise », ou pour porter plainte à la police, établir son réquisitoire et tout dévoiler ? La firme, utilisant les dérivés du caoutchouc, fabriquait des gants de travail, toutes sortes de gants, des tapis de sol, jusqu’à sa pièce maîtresse, une récente innovation lucrative, celle des préservatifs ? Le sida était toujours là, insidieux, malsain, inflexible. « Protégez-vous ! », tel était son leitmotiv publicitaire, « Restez couvert ! » Cela ne pouvait pas réduire le nombre des naissances, mais c’était rentable pour la Compagnie. Le budget publicitaire augmentait de jour en jour. En courant pour rejoindre l’Opel le long de la rue éclairée par les réverbères, dans le reflet des vitrines sur le trottoir, Sandrine réalisait qu’Yvan Loïc aurait pu la tuer, comme on casse une noix entre ses doigts, comme il l’avait fait, en détruisant son ordinateur, comme… « Madame a besoin d’indépendance ! déclarait-il… A cause de son imagination ! A croire qu’elle n’en a pas assez suffisamment dans le cul ! » Ils se côtoyaient, ces derniers temps, sans se parler. Sandrine faisait semblant d’ignorer son mari Yvan, notamment, après le repas du soir, occupée à desservir. Il n’était pas toujours là. Il découchait quand l’envie le prenait et rentrait à l’improviste, comme il l’avait fait, ce soir-là.
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Sandrine aurait voulu qu’il lui fichât la paix. Mais son bourreau rentrait, quand il le voulait : Il était chez lui, légalement, même si elle ne souhaitait plus le revoir… Elle avait hâte de regagner sa chambre, parce qu’elle n’avait presque rien à lui dire sinon quelques mots nécessaires, ou futiles, avant de se retrancher dans son habitacle, aux prises, avec son second roman. Le premier texte avait été envoyé chez un éditeur, resté, pour l’instant, sans réponse. Sandrine ne connaissait personne dans le milieu de l’édition, si elle éprouvait le besoin d’écrire, sans aucune relation. Quand on savait comment cela se passait, comment la sélection s’effectuait… Il y avait trop d’auteurs, tout le monde voulait être célèbre et se donnait le droit d’écrire. Les textes n’étaient généralement pas lus, ou presque pas. Il y avait des éditeurs de basse zone qui tenaient le haut du pavé, des éditeurs intègres, mais pas pour elle… Un texte de qualité devenait un produit. En général, la sélection se faisait souvent par relations, devenant, de ce fait, très subjective… Il fallait, paraissait-il, correspondre aux critères de la ligne éditoriale, s’intégrer dans des canaux antérieurement utilisés… Le manuscrit était lu, apprécié, ou ne l’était pas. Enfin, c’était le comité de lecture qui décidait… Deux, trois mois d’attente, avant de recevoir une simple lettre de refus… « Vous pouvez récupérer votre manuscrit, il est disponible en nos bureaux, ou sera détruit, au bout d’un mois. Naturellement, vous avez le choix de le recevoir par la poste, contre l’envoi d’un chèque d’un montant de dix-huit euros, ou de la même valeur, en timbres postes. » Sandrine avait décidé de ne plus envoyer ses textes que sur fichier, à des éditeurs de pacotille. Souvent ceux-ci ne répondait pas. Un livre publié n’était pratiquement jamais lu, en entier, sauf par hasard, assez paradoxalement, à moins de présenter
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un intérêt certain sur le plan commercial. Il convenait de s’investir aussi, en participant à des salons littéraires, pour réussir à vendre son bouquin. Très peu pour elle, elle était bien trop timide, elle n’aimait pas paraître et Yvan s’en serait aperçu. Attente… Attente de tout et de rien… La contrefaçon avait cours, il suffisait de changer les noms, de pirater tel ou tel texte… Pouah ! Dans quelle merde intellectuelle fallait-il baigner pour être édité ! La qualité ne justifiait rien, sinon celle d’une participation financière de la part de l’auteur qui devenait victime de ses ambitions. Tant pis pour lui ! La prostitution semblait parfois de rigueur : prêter son cul, présenter bien, lors d’une entrevue, à défaut de talent ! Etre infestée par le virus VIH… Que la joie demeure… C’était bien connu, on n’appréciait les vrais auteurs qu’une fois morts… On ne vivait pas longtemps de ses illusions ou désillusions, de son délire chromatique, ou diatonique… On passait généralement à autre chose, quand on n’était pas fait pour ça, si le fait de se livrer à l’écriture était devenu très tendance. On avait tous du talent, voire du génie… « So you want to be a writer ? » La fièvre retombait comme elle était venue. Tout se vendait, se prenait, ou se ramassait, même le papier imprimé. Pour quel usage ? Il valait mieux ne pas y penser… Par contre, le comportement d’Yvan était devenu horrible. Elle vivait ses débordements irascibles, comme une obsession. Il cherchait constamment à la déstabiliser, à la menacer dans sa pensée, en l’accaparant dans ses derniers retranchements, lorsqu’il avait bu, même lorsqu’il ne buvait pas, pour continuer son travail de sape. Il oubliait pas mal de choses, qu’il avait tué un homme, jadis, pour de l’argent. Il aurait suffi de le lui rappeler, mais quelle attitude aurait-il
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eu à l’égard de Sandrine ? Il aurait pu la tuer. Elle ne pouvait pas, elle se sentait impuissante, même s’il devenait impossible à vivre, si elle avait choisi la fuite, d’instinct, comme une antilope, une gazelle de Grant qui avait senti les prémices d’un feu de brousse, à son odeur. Qu’était-il devenu ? Un monstre prédateur issu de la préhistoire ? Se nourrissait-il de chair fraîche, comme un guépard, un carnassier, à l’affût ? Simple huissier à « Flirt Paradise », il avait sauté les barrières, comme après un coup de feu. Au début, son emploi n’était alors que couverture, tandis qu’elle, Sandrine, venait de perdre le sien chez un antiquaire qui avait fait faillite, comme elle en avait perdu d’autres, avant… Qu’elle eût des dons pour exprimer ses facultés de vendeuse et servir dans la décoration ne l’avait jamais surpris ! Lui, il s’en était sorti « in extremis », protégé par une existence, en apparence, normale, et un alibi en béton… La déclaration de Daisy était incontournable, la pianiste de bar qu’il avait croisée dans le couloir, au sous-sol du cabaret, la seule à l’avoir vu distinctement, après qu’il eût effectué son contrat pour de l’argent. « Je suis formelle, ce n’est absolument pas lui », avait-elle répondu au commissaire chargé de l’enquête. Yvan Loïc sortait du bureau de l’homme qu’il venait de tuer. On entendait les accords de l’orchestre qui continuait de jouer dans la salle au-dessus, sans elle. Elle se rendait quelque part, peut-être aux toilettes, et l’avait croisé dans la cale de la péniche transformée en cabaret, en bord de Seine. Elle l’avait dédouané devant le commissaire de la criminelle, tout en sachant que c’était lui, le tueur. Pour quel intérêt ? L’affaire avait été classée provisoirement, même si un témoin récalcitrant avait reconnu sa silhouette, au « tapissage »… Pour lui, c’était une histoire finie, si un doute
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demeurait. Il avait tué, et alors ! Chacun tuait quotidiennement, presque au grand jour, dans la routine, parce qu’elle arrachait et piétinait l’espoir de tout et de rien… Le hasard avait voulu qu’il eût toujours son travail d’huissier, à l’époque, et qu’il devînt chef de publicité à « Flirt Paradise »… Il n’avait pas eu à gravir d’échelon, il avait plu, au nouveau patron, un type interlope, un mercenaire. Celui-ci l’avait convoqué et reçu dans son bureau… « Qu’est-ce qu’il fait là, celui-là ? », avait-il dû penser, avec stupeur, en prenant ses fonctions. Au fond, ils étaient un peu de la même race, lui et le commis Yvan Loïc. Il suffisait de mettre à la retraite l’actuel chef de publicité, pour le remplacer… Il lui confia, lors de l’entrevue qu’il avait pris la décision de lui accorder, l’un de ses excès favoris, afin qu’il se rendît compte quel genre de personnage il pouvait devenir : – Un jour, je venais d’arriver dans une boîte nouvelle, où j’avais à faire. J’ai toujours à faire, d’ailleurs, n’importe où, sinon, à quoi bon ? J’ai dû saquer, à droite, à gauche… Un des cadres se rebiffa. Le type avait une femme, des enfants. Eh, bien, qu’arriva-t-il ? Vous ne vous en doutez pas ? Yvan Loïc se garda de répondre, et prit une attitude stoïque, assez révérencieuse. Le nouveau PDG marqua un temps d’arrêt, avant d’ajouter, en le fixant droit dans les yeux : – Il a fini par se suicider. Yvan Loïc perçut le coup, en silence, ne sachant trop s’il s’agissait d’un avertissement. Puis il changea de visage et tous deux en rirent en chœur, au point que leur joie factice parût sceller leur amitié. – Au fond, vous et moi, continua son nouveau patron,
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nous parlons le même langage, n’est-ce pas ? C’est une sorte de méthode ou de même diapason. Pour en revenir à ce qui nous préoccupe, la publicité, dites, ça sert à quoi ? – A faire vendre… Sans publicité, il n’est guère possible d’obtenir des marchés, de se maintenir sur un circuit de vente, avec les distributeurs et les chalands adéquats. Autant mettre la clef sous la porte, avant de commencer. Le fait d’oser en faire, de la pratiquer judicieusement, est une porte ouverte sur les masses qui ne demandent qu’à se laisser conditionner… Une manipulation à outrance, en garantie d’un produit fiable, afin que l’acheteur potentiel ne se sente pas abusé et soit satisfait du produit qu’on lui propose, qu’il soit vraiment assuré d’en avoir pour son argent, qu’il n’ait pas l’impression d’avoir été doublé. Dans ce cas, le produit n’est pas fiable et engendre la méfiance… Le client s’en écarte, frustré, floué… C’est quasi imparable. – Bon ! D’accord ! Un bon produit, c’est un produit qui se vend ! Tirons-en les conséquences… Dans ce cas, si vous le percevez ainsi, vous allez changer de statut, cher Yvan. Permettez-moi de vous tutoyer. Travailler avec nous, car j’ai ma petite équipe, cela se justifie par une disponibilité de tous les instants. Et des idées des idées, des idées ! Vous me suivez ? – Pardon, ajouta-t-il, tu me suis ? Yvan Loïc acquiesça de la tête. Le directeur ajouta : – Le courant passe entre nous. Je ne suis pas venu ici pour perdre mon temps. Vous saisissez ? Il fit encore oui de la tête, pour faire comprendre à son nouveau patron qu’il acquiesçait. – C’est bien, dit celui-ci. Vous ne le regretterez pas. Depuis qu’il avait été promu au rang de cadre supérieur, depuis qu’il était devenu chef et travaillait dans son bureau à
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