La Voilette bleue
230 pages
Français

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Description

Du haut de l'Hôtel-Dieu, l'interne en médecine Daubrac et son ami philantrope Mériadec observent le parvis de Notre-Dame. Ils se décident à suivre par désœuvrement un couple d'amants qui effectue l'ascension des tours. Sitôt arrivés sur le parvis, un attroupement attire leur attention : une jeune femme portant une voilette bleue identique à celle de la femme aperçue auparavant au bras de son amant est retrouvée sans vie au bas des tours. Qui est cette femme? S'est-elle suicidée ou bien l'a-t-on précipitée dans le vide? Et qu'est-ce que le capitaine de Saint-Briac, arrêté à sa descente des tours, a à voir dans cette affaire? C'est ce que Daubrac et Mériadec, aidés de Rose Verdière, la charmante fille du gardien des tours, et de Fabreguette, peintre farfelu et témoin oculaire du drame, vont tenter de découvrir en même temps que M. de Malverne, juge d'instruction et intime de Saint-Briac.

Informations

Publié par
Date de parution 30 août 2011
Nombre de lectures 132
EAN13 9782820603883
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA VOILETTE BLEUE
Fortuné Du Boisgobey
Collection « Les classiques YouScribe »
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ISBN 978-2-8206-0388-3
XI Après le départ de son ami Hugues, le capitaine, écrasé sous le poids de ses remords, avait passé une heure immobile, anéanti, roulant dans sa tête des projets de suicide, et osant à peine envisager la terrible situation où un amour coupable l’avait jeté. Cette situation était une impasse. Comment en sortir ? En se tuant, il s’en serait tiré, lui, mais que serait devenue sa complice ? Rose Verdière venait de la sauver du danger immédiat. Et après ? qu’allait faire la malheureuse Odette ? Essayer de tromper encore son mari ? Saint-Briac ne s’y serait pas prêté. Cette vie de trahison perpétuelle lui faisait horreur maintenant. Et il ne paraissait pas que madame de Malverne non plus voulût la reprendre. N’avait-elle pas déclaré qu’elle était résolue à fuir avec son amant ? Et d’ailleurs, elle était désormais impossible, cette existence en partie double qu’elle menait depuis six mois. M. de Malverne avait pu croire une première fois qu’il avait accusé à faux sa femme, mais il lui était certainement resté des doutes, et, à l’avenir, il ne manquerait pas de la surveiller. Un jour ou l’autre, il surprendrait les amants, alors même qu’ils se contenteraient, comme autrefois, de se rencontrer dehors. Sur quel pied Saint-Briac allait-il vivre avec ce loyal Hugues, qu’il avait indignement trompé ? Aurait-il seulement le courage de le revoir, de passer le seuil de cette maison où il avait porté le déshonneur, et de jouer encore la comédie de l’amitié ? Non, mille fois non. Et s’il n’y retournait pas, après la réconciliation qui avait suivi la scène du salon de l’avenue d’Antin, c’était comme s’il eût avoué qu’il était coupable. Partir avec Odette, quitter à tout jamais la France, aller cacher ses amours adultères à l’étranger ? Lui, un brave officier qui n’avait jamais reculé devant un danger, ni devant l’accomplissement d’un devoir ! Il lui semblait que ce serait une lâcheté. Peut-être aussi, sans se l’avouer à lui-même, n’avait-il plus les mêmes sentiments pour sa maîtresse. Les écailles étaient tombées de ses yeux. Il la voyait maintenant telle qu’elle était, et il se voyait lui-même. La passion les avait emportés tous les deux, jusqu’à leur faire oublier que leur faute était un crime. Au premier temps d’arrêt, la réflexion montrait à Jacques l’envers de cet amour, la trahison dans toute son horreur, et Odette sous son vrai jour. Odette n’avait pas de remords, elle ; Odette n’avait pas pitié de son
malheureux mari ; elle ne l’aimait plus ; que lui importait le reste ? Aurait-elle pitié de son amant quand elle cesserait de l’aimer ? Non, sans doute. Il lui aurait tout sacrifié, et elle l’abandonnerait sans hésiter pour se jeter dans les bras d’un autre. Le cœur d’une affolée a horreur du vide. La passion qui la dévore lui crie : Marche ! marche ! et elle marche jusqu’à ce qu’elle roule au plus profond de l’abîme, où elle entraîne l’imprudent qui la suit dans ce chemin fatal. C’est le châtiment, c’est la vengeance de l’honnête homme qui a eu foi en elle, et qu’elle a réduit au désespoir. Ces cruelles vérités apparaissaient à Saint-Briac, et il n’apercevait plus d’autre dénoûment possible qu’une rupture définitive. Partir seul, partir immédiatement, sous un prétexte quelconque, et aviser Hugues de ce départ sans lui apprendre où il allait. Le prétexte était tout trouvé. Il pouvait lui écrire qu’il s’éloignait pour couper court à une situation fausse, et pour lui laisser le temps de reconnaître que ses soupçons n’avaient aucune raison d’être. Hugues, assurément, ne prendrait pas en mauvaise part la résolution de son ami. Et Odette comprendrait que son amant voulait en finir avec elle. Six mois d’absence de Jacques la calmeraient, et elle ne pourrait pas faire la folie d’aller le rejoindre, puisqu’elle ne saurait pas où il était. Où irait-il ? Le plus loin qu’il pourrait. Il pensa d’abord à l’Italie, mais l’Italie est trop près. Il lui vint une idée. Pourquoi pas la Russie ? Là, il pourrait se renseigner sur ce faux Moscovite qui à Paris tranchait de l’Espagnol, et qui n’était probablement d’aucun pays : scélérat partout, citoyen nulle part. Mériadec avait écrit, disait-il, au maréchal de la noblesse du gouvernement de Tambow, mais il ne paraissait pas que Mériadec eût reçu de réponse à sa lettre. C’était faire œuvre pie que d’aider la justice à mettre la main sur un brigand de la pire espèce, et le capitaine avait grand besoin de racheter ses fautes par de bonnes actions. Il décida donc d’entreprendre un voyage à Moscou, et il résolut de se mettre en route le lendemain soir. Ce n’était pas trop tôt pour se garer d’une nouvelle escapade d’Odette, mais il ne pouvait guère partir plus vite, car il avait quelques arrangements à prendre avec son banquier, et il lui fallait un passe-port pour franchir la frontière russe. Or, la journée était trop avancée pour qu’il pût s’occuper de ces préparatifs indispensables. Il renvoya au jour suivant les affaires, et il sortit de cette maison, qui lui rappelait un triste et récent souvenir. Il sortit, après avoir dit à son valet de chambre, qui venait de rentrer, de ne pas l’attendre.
Il ne se doutait guère qu’à l’heure même où il mettait le pied dans l’avenue d’Antin, M. de Malverne montait en voiture pour aller constater le meurtre de Sacha, et que madame de Malverne venait de quitter, sans esprit de retour, le domicile conjugal. Elle accourait chez son amant, et Saint-Briac l’aurait infailliblement rencontrée, s’il s’était dirigé du côté de l’avenue des Champs-Élysées. Mais Saint-Briac cherchait la solitude. Il prit par les quais, et il alla droit devant lui en remontant le cours de la Seine, sans savoir où le mènerait cette marche sans but. Il n’avait pas encore complétement renoncé à l’idée de se suicider, et, pour le cas où cette idée prendrait le dessus, il s’était muni d’un revolver chargé. Quoi qu’il advînt, il se proposait de ne rentrer que pour faire ses paquets, après avoir terminé ses affaires et écrit à Hugues de Malverne une lettre d’adieu que Hugues, sans aucun doute, montrerait à sa femme. À force de marcher dans la même direction, il arriva au pont de Bercy, et peu s’en fallut qu’il ne franchît la barrière. Mais la nuit venait, et il ne tenait pas à la passer dans la banlieue. Le cercle est la grande ressource des gens qui, pour une cause ou pour une autre, ne veulent pas rentrer chez eux. On peut s’y isoler, on peut même y dormir, et Saint-Briac était bien sûr de n’y pas rencontrer le juge d’instruction qui n’y venait que très-rarement et qui, ce jour-là, devait être moins que jamais disposé à s’y montrer. Le capitaine s’y fit ramener en voiture, et y arriva précisément à l’heure du dîner. Il trouva une place à la grande table, mangea sans adresser une seule fois la parole à ses voisins, et, au lieu de prendre, comme de coutume, le café dans le grand salon, passa dans la salle de lecture, où il se mit à rédiger son épître à Malverne. Cette rédaction n’était pas très-facile, et elle lui prit du temps. Il en avait à perdre, puisqu’il ne savait que faire jusqu’au lendemain, et il put peser à loisir tous les termes de ce billet qui devait décider de l’avenir de sa vieille amitié avec Hugues. Quand il l’eut terminé, il le mit dans son portefeuille pour l’y garder jusqu’au moment où il monterait, le lendemain soir, dans l’express de Berlin. Il se disait : – Je le mettrai à la poste dans la boîte de la gare, et lorsque Hugues le recevra, j’aurai déjà passé la frontière.
Après quoi, il alla s’étendre sur un divan, dans le salon le moins fréquenté du club, et il essaya de dormir pour se reposer de tant d’émotions et d’une si longue promenade. Mais le sommeil ne vint pas vite. Il finit cependant par s’assoupir, et il rêva qu’Odette s’accrochait à son cou pour l’empêcher de partir, que le mari survenait, et qu’il la poignardait dans les bras de son amant. Ce cauchemar fit place à d’autres, tout aussi effrayants, qui auraient tourmenté Saint-Briac jusqu’à l’aurore, si un joueur décavé, en passant par là, ne se fût avisé de le réveiller pour lui dire : – À quoi pensez-vous de ronfler quand il se joue au salon vert une partie de baccarat superbe ? M. de Pancorbo, qui tient la banque, demande de vos nouvelles à tout le monde. Vous lui manquez. – Pancorbo ! répéta le capitaine, en se levant brusquement. Quoi ! il est ici ! – Mon Dieu, oui, dit tranquillement le clubman. Passé minuit, c’est assez son habitude. – Mais… on prétendait qu’il avait quitté Paris. – On se trompait. Il est resté, en effet, deux ou trois jours sans venir, mais il a reparu ce soir plus brillant que jamais et plus veinard. Il abat neuf ou huit à tous les coups. – Et il s’est informé de moi ? demanda Saint-Briac, confondu d’étonnement. – Il vous réclame à cor et à cri. Il veut sans doute profiter de sa veine pour vous gagner beaucoup d’argent. Il en a pourtant assez râflé déjà, et il est en train de dépouiller un rastaquouère que nous avons reçu la semaine dernière… un Brésilien qui route sur l’or. Ne jouez pas, si vous ne vous sentez pas en train, mais allez voir ça… c’est curieux. Le capitaine, mal réveillé, croyait rêver encore. – Quelle heure est-il donc ? demanda-t-il en se frottant les yeux. – Trois heures passées. Ah ! vous dormez bien, vous, quand vous vous y mettez ! Vous sortiez de table quand vous êtes allé vous étendre sur ce divan. Et si je ne vous avais pas secoué, vous seriez encore dans le pays des rêves. Votre nuit est faite maintenant, et je pense que vous n’avez pas envie d’aller vous coucher. Ça tombe bien. La partie n’est pas près de finir. Moi, c’est différent, je viens d’y laisser mes derniers sous, et j’en ai assez. Bonsoir, capitaine, et bonne chance ! Saint-Briac resta stupéfait. Comment ce misérable, à peu près convaincu d’assassinat, osait-il se montrer au cercle, et surtout comment
osait-il s’informer d’un homme auquel il avait, par une première lettre anonyme, déclaré la guerre, et par une seconde tendu un piège atroce ? D’où lui venait tant d’impudence, et quel nouveau traquenard masquait cette incroyable audace ? À la réflexion, le capitaine comprit que le soi-disant Espagnol ne risquait pas grand-chose, en reparaissant pour tailler encore une fois le baccarat qui lui réussissait si bien. C’était probablement la dernière, car rien ne l’empêchait de s’éclipser définitivement, après la partie. Et que pouvait Saint-Briac contre cet homme ? Quelles preuves positives avait-il que ce fût lui le meurtrier de Notre-Dame ? Aucune. De graves soupçons, oui ; ce n’est rien, lorsqu’on n’a pas qualité pour faire arrêter celui qu’on accuse. M. de Malverne, seul, aurait pu prendre sur lui de l’envoyer en prison, et M. de Malverne n’était pas là ; M. de Malverne devait avoir en ce moment d’autres soucis que celui de venger la mort d’une comtesse russe, et Saint-Briac comptait bien ne pas le revoir. Saint-Briac en était donc réduit à opérer lui-même, s’il tenait à se venger du lâche gredin qui avait dénoncé Odette à son mari. – Eh bien, soit ! dit-il entre ses dents. J’ai encore quelques heures à moi avant de quitter Paris. Je les emploierai à traquer ce bandit. Je le tiens, je ne le lâcherai pas, jusqu’à ce que je l’aie remis entre les mains de la justice. Tant qu’il jouera, je jouerai, et, quand il sortira du cercle, je m’attacherai à ses pas. Il faudra bien qu’il me demande une explication, et alors… nous verrons, car, s’il me provoquait, j’aurais encore plus de plaisir à le tuer qu’à le livrer. Sur cette résolution plus hardie que sensée, il s’en alla au salon vert, où il trouva le Pancorbo assis entre deux joueurs. Il ne tenait plus la banque ; le Brésilien l’avait prise, mais Pancorbo pontait ferme, et la fortune ne semblait pas lui sourire, car il venait de perdre un très-gros coup. Saint-Briac vint se placer en face de lui, de l’autre côté de la table, et resta debout, afin d’être prêt à quitter le jeu, dès que le faux Espagnol se lèverait. Il ne paraissait pas y songer, car il venait de pousser sur le tapis vert une masse de jetons et de plaques. Du reste, l’attention qu’il apportait à son jeu ne l’empêchait pas d’y voir clair. Il aperçut immédiatement le capitaine, et il eut l’aplomb de lui adresser un salut qui ne fut pas rendu. Saint-Briac ne voulait pas échanger des politesses avec ce coquin, mais il ne voulait pas non plus avoir l’air de n’être entré que pour le surveiller.
Il tira de son portefeuille un billet de mille francs, et il le mit sur le tableau de gauche. Il faisait des vœux pour gagner, car il n’avait que trois mille francs sur lui, et il se promettait bien, s’il perdait ce premier coup, de diminuer son jeu, car il voulait tenir jusqu’à la fin de la partie, et il ne se souciait pas d’emprunter à la caisse du cercle une somme qu’il lui aurait fallu rendre avant de quitter Paris, c’est-à-dire le lendemain. Il gagna, et M. de Pancorbo, qui jouait sur le tableau de droite, perdit. Il faut peu de chose pour impressionner un homme nerveux comme l’était en ce moment Saint-Briac, et il tira un favorable augure de ce double coup du sort. La partie continua avec des chances diverses ; mais la fortune lui resta fidèle, tandis qu’elle sembla tourner le dos au prétendu Castillan, qui prenait d’ailleurs philosophiquement cette déveine, à laquelle il n’était pas accoutumé. Après avoir épuisé ses jetons et la somme que chaque membre a le droit de demander à la caisse, il se mit bravement à battre monnaie avec des carrés de carton qu’il orna de sa signature pour les transformer en billets de mille. Ce sont là des valeurs que les vieux routiers du baccarat n’acceptent qu’à bon escient, quand ils sont sûrs de la solvabilité du joueur qui les met en circulation ; mais celle de M. de Pancorbo n’avait pas encore été discutée, et personne ne les refusa, pas même ceux qui doutaient de son honorabilité. On le croyait trop riche et trop intelligent pour laisser en souffrance des bons que le signataire doit retirer dans les quarante-huit heures, sous peine de voir son nom affiché à la glace du cercle et de tomber finalement sous le coup de l’exclusion. Seul entre tous les joueurs, le capitaine eut l’intuition que cet escroc de haut vol se souciait peu de contracter des dettes, parce qu’il avait résolu de décamper le lendemain, et cette fois définitivement. Il ne risquait rien à tenter ce dernier coup, et il pouvait y gagner gros. Aussi paraissait-il disposé à jouer tant que durerait la partie, et rien n’annonçait qu’elle dût se terminer bientôt, car, à six heures du matin, elle était plus acharnée que jamais. Elle se recruta même, à six heures et demie, de quatre jeunes et joyeux clubmen qui, après avoir soupé jusqu’à l’aurore en compagnie de demoiselles peu farouches, avaient eu l’idée de monter au cercle, dans la louable intention d’achever les perdants.
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