Le mort qu on promène
47 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
47 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

À l’article de la mort, Mme Servin fait appeler son notaire pour officialiser le legs de sa fortune, biens et immeubles, à Mlle Lucie, sa fille adoptive qu’elle chérit plus que tout. Au moment de l’ouverture du testament, Maître Girard constate, avec effroi, que celui-ci a été échangé avec une feuille de papier vierge alors qu’il n’avait pas quitté son coffre-fort depuis la mort de sa cliente. Pendant que les soupçons pèsent sur le propre fils de Maître Girard, sur son domestique, et même sur l’un de ses clercs, un parent direct de Mme Servin se présente pour toucher l’héritage. Léon Vassor, l’amoureux de Mlle Lucie, propose alors ses services à Maître Girard afin de laver son honneur de notaire et de permettre à la femme de sa vie d’entrer en possession du patrimoine de sa « mère »...


Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 4
EAN13 9782373470871
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0007€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

SÉRIE ROUSSE
LE MORT QU’ON PROMÈNE
Roman policier
René SCHWAEBLÉ
I
UN TESTAMENT.
me M Servin se mourait. Dans la chambre flottait une odeur de mort, odeur de tisanes, d'éther, de renfermé, de pharmacie, d'hôpital. Sur la table de nuit, sur la commode, des fioles, des paquets d'ouate, des serviettes, une lampe à alcool, des ordonnances de médecin traînaient, désormais inutiles. La respiration de la malade devenait pénible, rauque, oppressée, sifflante, annonçant la fin prochaine, sonnant lugubrement dans la pièce qu'éclairait faiblement une antique lampe à huile dont l'abat-jour de carton vert étouffait la clarté.
— Ils ne viennent donc pas ? demanda d'une voix imperceptible la malade. Qu'ils se dépêchent, mon Dieu ! qu'ils se dépêchent !
— Ils ne sauraient tarder, mère ! répondit la jeune fille qui la soignait.
— Lucie, je me meurs... Qu'ils se dépêchent !
— Mère, rassurez-vous ! j'entends du bruit dans l'escalier, les voici très certainement.
En effet, on frappa à la porte de l'antichambre, Lucie alla ouvrir, et introduisit un groupe de messieurs dont l'un prit la parole, Maître Girard, notaire à Paris :
— Madame, vous m'avez demandé pour me dicter votre testament. Du moment que vous ne pouvez l'écrire vous-même, la loi m'oblige à me faire assister de l'un de mes confrères et de quatre témoins. J'ai, en outre, emmené l'un de mes clercs.
La vieille femme murmura :
— Merci, monsieur. Dépêchons-nous. Lucie, mon enfant, laisse-nous, retire-toi dans la pièce voisine.
La jeune fille partie, le clerc du notaire tira de sa serviette une feuille de papier timbré et un stylo, et les tendit à son patron qui, ayant rapproché la table du lit de la moribonde, lui dit doucement :
— Madame, veuillez dicter, je vous écoute.
— Je lègue toute ma fortune, biens et immeubles, notamment cette maison où je meurs et que je tiens de mes parents, notamment toutes les valeurs et tous les bijoux lle que l'on trouvera dans le coffre que je loue à la Banque de France, à M Lucie Paulin. Je ne laisse pas de dettes.
me M Servin se tut. Puis elle interrogea :
— Cela suffit-il ? Il est bien entendu, n'est-ce pas, que ce testament doit assurer à Lucie la propriété de tout, tout ce que je possède, et que j'évalue à un million environ ?
— Madame, cela suffit, votre dernière volonté est clairement exprimée et sera respectée. Veuillez dater et signer.
Maître Girard se leva, tendant le papier timbré et le stylo à la vieille dame, me cependant que son confrère la soulevait avec précaution. M Servin, rassemblant ses dernières forces, data et signa nettement, et retomba épuisée.
— Maintenant, soupira-t-elle, messieurs, je meurs tranquille. Depuis cinq ans que j'ai recueilli cette pauvre petite orpheline je n'ai eu qu'à me louer de ses soins, de son dévouement, de son désintéressement, de son amour. J'ai fini par l'aimer comme ma propre fille, et je sais qu'elle m'aime comme sa propre mère. Depuis cinq ans elle ne m'a pas quittée une heure, elle n'a pas goûté une minute de distraction. Je n'ai qu'un parent éloigné qui, m'a-t-on dit, se conduit mal, je ne l'ai pas vu depuis une vingtaine d'années, je n'ai donc pas à m'occuper de lui. Messieurs, je vous remercie. Voulez-vous avoir la complaisance d'appeler Lucie ?
— Dans une minute, madame : la loi m'oblige à lire à haute voix, en présence de mon collègue et des quatre témoins, ce que vous venez de me dicter.
Maître Girard lut le testament, et demanda :
— Ce sont bien vos paroles, madame, ce sont bien vos dernières volontés, c'est bien vous qui avez signé le tout, de votre propre gré, nullement contrainte ?
— C'est bien moi, monsieur.
Maître Girard étendit alors le testament sur la table, le couvrit d'une feuille de buvard, puis il le plia, le glissa dans une enveloppe, et pria son confrère de la sceller de son cachet. Le clerc alluma une bougie, tendit un bâton de cire. Le notaire scella l'enveloppe, Maître Girard, à son tour, apposa son sceau. Ces formalités solennelles achevées, les hommes se levèrent, et, ayant salué gravement, se retirèrent.
La mourante, maintenant, souriait.
— À cette heure, dit-elle à Lucie, ma conscience est en repos. Au tour de l'âme !
Et, comme de nouveau l'on frappait à la porte, elle ajouta :
— C'est évidemment M. le curé, il arrive à temps.
Un prêtre, en effet, se présentait, suivi d'un enfant de chœur.
Lucie les laissa, retournant dans sa chambrette ; là elle éclata en sanglots, revoyant tout son passé ; ses parents, elle ne les avait guère connus, elle avait six ans à la mort de son père, elle savait seulement que souvent il rentrait ivre, sans un sou, et, apprenant qu'il n'y avait rien à manger parce que le boulanger, l'épicier, le boucher refusaient de faire crédit, il bourrait de gifles et de coups de poing sa malheureuse femme, et s'en allait pour ne revenir que le lendemain ou le surlendemain. Elle se rappelait que sa mère, phtisique, crachant le sang, passait des nuits entières à raccommoder le linge d'un pensionnat voisin pour gagner quelques francs. On ne mangeait jamais de viande, et par les froids les plus rigoureux l'on n'allumait pas de feu. L'unique distraction de la petite Lucie consistait en flâneries, sur le boulevard
extérieur, en extases devant les boutiques des pâtissiers et des bijoutiers. À l'âge de neuf ans elle avait commencé à tenir la maison, à balayer, à essuyer, à lessiver, elle allait acheter les quelques pommes de terre dont elles se nourrissaient ; sa mère, chaque jour plus malade, demeurait des journées entières au lit, refusant d'entrer à l'hôpital pour ne pas l'abandonner. Un matin, Lucie en se réveillant l'avait trouvée morte ; seule elle avait accompagné son cadavre au cimetière. Ainsi à douze ans s'était-elle vue sur le pavé de Paris sans un sou, sans parents, sans amis, sans relations. Elle avait mendié, exercé tous les métiers, jusqu'au jour où, pincée dans une rafle, elle avait été balancée de l'Assistance publique à ces œuvres qui, sous prétexte d'élever les enfants, les font travailler douze heures par jour sans les payer.
me Le hasard avait heureusement voulu que M Servin cherchât une petite bonne : l'air honnête, modeste, malheureux de Lucie avait décidé la brave femme à l'engager. Et, depuis, l'enfant pensait vivre dans le Paradis près de cette excellente dame qui lui parlait comme à sa propre fille, qui s'intéressait à sa santé, la soignait lorsqu'elle était enrhumée, exigeait qu'elle ne se fatiguât pas, et l'embrassait maternellement chaque soir. Elle avait coulé, dans cette retraite paisible, quelques années délicieuses, mais, un jour, l'amour, qui ne respecte rien, avait troublé cette conscience si pure : un jeune voisin qui habitait sur leur palier, Léon Vassor, et qui venait de temps en temps rendre me à M Servin de légers services, tels que décrocher un tableau ou déplacer un meuble trop lourd pour les deux femmes, lui était apparu comme le fiancé rêvé. À la vérité il était le premier avec lequel elle causait, qui lui serrait la main, plaisantait, et quelquefois lui apportait, ainsi qu'à sa patronne, un bouquet de violettes.
Au reste, elle aurait pu choisir plus mal : Léon Vassor était gentil, distingué, travailleur, vivant un peu en ours, détestant le monde, couché tous les soirs à dix me heures. De sorte que M Servin qui s'était tout de suite aperçue du manège des jeunes gens en avait souri et l'avait plutôt encouragé. Et cette nouvelle marque de bonté avait achevé de lui attacher Lucie qui, maintenant, l'aimait, en effet, et la vénérait comme sa propre mère.
Et voilà que cette maîtresse chérie se mourait... À cet instant la préoccupation de l'héritage ne troublait guère Lucie ; elle n'y songeait point, elle ne se demandait pas ce qu'elle ferait le lendemain ; elle pleurait la perte de celle qu'en elle-même elle appelait « sa maman », et elle eut donné tout son sang pour qu'un miracle la sauvât.
Du bruit dans la pièce voisine la frappa. Au même moment la porte s'ouvrait, et l'enfant de chœur l'appelait.
me Déjà M Servin portait le masque de la mort, d'une pâleur de cire, la bouche contractée, le nez pincé. Seuls les yeux vivaient encore. Ils aperçurent la jeune fille, le visage parut s'animer, les lèvres s'ouvrirent, prononçant un nom « Lucie », mais les mains étendues sur le drap se crispèrent, les bras battirent l'air et retombèrent.
me M Servin était morte...
Amen! prononça le prêtre.
Lucie, à genoux, regardait le cadavre, disant à Dieu tout ce que la chère morte avait fait pour elle, de quelle tendresse et de quel dévouement elle l'avait entourée, lui demandant de la recevoir parmi ses élues, le suppliant de lui pardonner ses moments d'inattention, lui jurant une éternelle reconnaissance.
Doucement la pièce se remplissait de monde : la concierge, des voisins, Léon Vassor, des amis venaient jeter l'eau bénite, dire un dernier adieu à celle qu'ils avaient tous aimée. Ils serraient la main de Lucie et l'embrassaient tendrement, l'encourageant à supporter patiemment sa douleur, et ils se retiraient un peu consolés à la pensée que me très certainement M Servin lui avait laissé sa fortune, et qu'ainsi des années de sacrifices seraient récompensées. Et les initiés, en reconnaissant Léon, se disaient : « Quel gentil ménage cela va faire ! Pour une fois l'argent tombe en de bonnes mains ! »
Ce fut un enterrement modeste, mais singulièrement émouvant : le corbillard disparaissait sous les fleurs, beaucoup essuyaient leurs yeux, Lucie sanglotait, et vraiment son affliction faisait peine.
Le lendemain, la jeune fille, bien triste, rangeait ses affaires dans une petite valise quand la concierge entra.
— Que faites-vous ? demanda-t-elle, étonnée.
— Hélas... vous le voyez, je prépare mon départ, il faut bien que je m'en aille, je n'attendrai certes pas d'être chassée. La seule chose que je voudrais, c'est qu'on me me permît d'emporter ces photographies de M Servin auxquelles je tiens tant !
— Mais, vous êtes folle, ma petite ! Restez, vous êtes chez vous !
— Chez moi ?
— Mais, naturellement ! M...
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents