Le soulier du mort
139 pages
Français

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Description

À Rocheplate, Garnoulin est mort ! En rentrant du dîner posthume organisé en l’honneur de son défunt ami, Bastidon a la désagréable surprise, sur le chemin menant chez lui, de découvrir une chaussure... avec un pied à l’intérieur. Sans nul doute, la chaussure et le pied appartiennent à Garnoulin.


Après les premiers émois passés, les autorités font ouvrir le cercueil du mort. Horreur ! Le corps trouvé n’est pas celui de Garnoulin, mais d’un jeune homme inconnu poignardé en plein cœur.


Le commissaire ROSIC, chargé de l’enquête, va être confronté à l’une des plus étranges affaires de sa légendaire carrière.


Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 12
EAN13 9782373471793
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Commissaire Rosic
LE SOULIER DU MORT
Roman policier
par Rodolphe BRINGER
D'après la version publiée sous le titre « Le soulier du mort » dans la collection « Criminels et Policiers » aux éditions TALLANDIER en 1932.
I
UNE LUGUBRE TROUVAILLE
Il faisaitce jour-là un temps vraiment délicieux ; on était en mai et le soleil riait dans un ciel d'une pureté indicible et d'un de ces bleus comme on n'en voit que dans le Midi ; un léger vent du nord ondulait doucement les avoines et les blés déjà hauts et sur les mûriers, en chantant, des femmes ramassaient la feuille pour la donner en pâture aux voraces vers à soie.
Vers les quatre heures, par un petit chemin caillou teux bordé de figuiers, de buissons et d'aubépines, Bastidon, tout endimanché, quoique l'on fût un jour de semaine, rentrait joyeusement dans sa grange de la Calamelle : il venait d'enterrer son vieil ami Garnoulin !
Certes, si endurci que l'on soit, lorsque l'on vient d'accompagner un vieil ami à sa dernière demeure, on n'a point coutume de faire montre d'une telle bonne humeur ! Mais Garnoulin n'avait pas été, de son viv ant, un garçon comme tout le monde, et ses obsèques, comme de juste, n'avaient pu se dérouler comme celles d'un chacun !
Garnoulin était né, il y avait une cinquantaine d'a nnées, de braves gens, propriétaires terriens, et vivant largement des rev enus de leurs biens qu'ils confiaient aux bras d'honnêtes métayers. Or, le malheur avait voulu que Garnoulin vînt au monde avec un pied-bot, ce qui l'avait éloi gné de toutes les honorables carrières que ses parents eussent rêvées pour lui !...
— Bah ! avait dit le père Garnoulin, il sera donc p ropriétaire comme nous l'avons tous été !
Et Garnoulin avait vécu de ses terres, ainsi que tous les siens !...
Seulement Garnoulin, pour tout dire, n'avait pas hérité de ses ascendants cette sagesse, ce sens de l'économie, ce besoin de vie so bre qui leur avaient permis d'acquérir du bien au soleil en même temps que de p ouvoir engraisser le petit pécune que l'on confiait au notaire.
Garnoulin avait décidé de conduire sa vie autrement que l'avaient menée ses parents, qui s'étaient privés de tout pour accroîtr e leur petite fortune ! Garnoulin avait estimé que, n'ayant qu'une existence, le mieu x était de la couler le plus joyeusement possible ! Se lever tard, faire de bons repas, passer ses journées au café à jouer à la manille ou au billard, assister à toutes les soirées que venaient donner les chanteuses de la sous-préfecture, ne ren trer se coucher que lorsque Catafion, le patron du café des Platanes, se décidait à mettre ses volets, tel avait été en somme lecurriculum vitæce brave Garnoulin, à partir du jour où sa de famille l'ayant laissé seul au monde, il avait pu v ivre à sa guise et selon sa
fantaisie.
Il n'avait jamais voulu se marier.
— Merci ; pour avoir une femme qui m'empêche de me faire plaisir et des enfants pour qui il faut se priver afin de les établir !
Et il vivait seul dans une petite maisonnette, sur la grand-route, à cinq cents mètres au nord de Rocheplate et, ma foi, il avait v écu le plus heureusement du monde !
Et puis un jour, il avait attrapé un mauvais froid et, comme s'il faut tout dire, sa vie de bamboches et de beuveries n'avait pu qu'altérer sa constitution, il était mort ; et, alors qu'on ne le croyait atteint que d'un simp le rhume, un matin, on l'avait trouvé roide et froid dans son lit.
Or, Garnoulin avait toujours dit :
— Camarades, ayant toujours vécu joyeusement, et détestant les larmes et les désespoirs, je ne veux pas entendre pleurer à mon enterrement !... Heureusement je n'ai plus de famille, pas un seul parent. Et com me mes amis pourraient se lamenter, le jour où ils me mèneront en terre, je v eux, au contraire, que ma mort leur soit un sujet de se réjouir ! Aussi, toutes mes dispositions sont prises, et il y a en réserve, chez le notaire, une somme assez rondel ette pour que, après mes obsèques, mes bons amis, dont j'ai dressé la liste, puissent s'offrir un bon repas à l'hôtel, repas dont j'ai moi-même soigné le menu ! C'est le verre en main que je veux que l'on célèbre ma disparition de ce bas mond e et si, au dessert, chacun chante la sienne, je suis sûr que mes mânes en tressailleront d'aise !
Et ce n'avait pas été là paroles en l'air !
Quand Garnoulin fut mort et bien mort, comme il l'a vait indiqué dans ses dernières volontés, le notaire commanda le déjeuner à l'hôtel de la Colonne et convia les personnes dont il possédait les noms.
Et voilà pourquoi, ce joli jour de mai, vers les quatre heures, Bastidon regagnait sa grange tout joyeux, car il avait été des convives posthumes de Garnoulin, lequel était son conscrit et, de tout temps, le plus intim e de ses amis. Le déjeuner avait été parfait, le menu soigné, les vins délectables e t, ma foi, au café, chacun avait chanté la sienne ! Jamais obsèques n'avaient été célébrées aussi gaîment !
Bastidon habitait, comme nous l'avons dit, la Calam elle. C'était à trois bons kilomètres de Rocheplate, pas loin du Rhône, dans ce quartier que l'on appelle les Îles, une grosse et forte grange dont il était le m étayer. Il vivait là avec sa femme, la Guite, sa fille, la Toinette et deux valets, plu s un petit bergerot. Comme on le voit, c'était une assez belle exploitation. La gran ge était ancienne ; elle était flanquée de quatre tours rondes et découronnées à ses quatre angles, et une belle allée de gros platanes, partant de la route, conduisait à un immense portail par où l'on accédait dans la cour. Au fond, la maison d'habitation, à droite et à gauche les
fénières, écuries, remises et caves.
Or, comme Bastidon venait de quitter la route pour s'engager dans son allée de platanes, il aperçut, non loin de là, ses trois chiens qui se disputaient, se battaient, cherchant à s'arracher un objet assez vo lumineux dont il ne pouvait distinguer la nature.
— Qu'est-ce qu'elles ont encore volé, ces sales bêtes ?... grommela Bastidon.
Et, tout en approchant, il siffla les chiens qui, l âchant la proie qu'ils se disputaient, arrivèrent vers lui en aboyant joyeusement.
Alors, Bastidon reconnut l'objet qui avait causé la chamaillerie des trois bêtes :
— Tiens, c'est un soulier !
Et, tout à coup :
— Coquin de sort ! Mais c'est le soulier de Garnoulin !
Puis, s'étant penché, il se releva, pâle soudain comme un linge et obligé de se retenir au tronc d'un platane pour ne pas défaillir !
Dans ce soulier, il y avait un pied !
Bastidon passa la main sur son front où la sueur co mmençait à perler et il songea :
« Je ne suis pourtant pas soûl, bien que j'aie bu, aujourd'hui, plus que de coutume ! Et je n'y vois pas trouble ! C'est bien l à le soulier de ce pauvre Garnoulin. Et son pied est dedans ! Et pourtant, no us venons de l'enterrer, ce pauvre Garnoulin ! Qu'est-ce que cela veut dire ?
Il pensa encore, secouant la tête :
« J'ai dû me tromper !
Et surmontant sa répugnance, bien naturelle en somm e, il se baissa et ramassa le soulier... Il n'y avait pas d'erreur... C'était bien le soulier de Garnoulin, une chaussure que Rousset, le cordonnier, lui fabri quait spécialement pour son pied-bot et d'après un modèle que Garnoulin avait fait faire, une fois pour toutes, par un orthopédiste de Lyon ! Ah !... Il le reconnaissait bien ! Car c'était un soulier bien particulier !
Et, dans ce soulier, le pied était resté. Coupé à l a hauteur de la cheville et laissant voir un haut de chaussette, de ces chausse ttes de coton rougeâtre que Garnoulin affectionnait et que la vieille Maratoune tricotait exprès pour lui !
Et Bastidon, examinant, ce soulier, murmurait :
— Celle-là, par exemple... Celle-là...
Il était bien évident que cela dépassait sa compréhension.
Enfin, il se dirigea vers son logis ; en passant, d éposa le soulier dans une caisse de la remise, puis rentra dans sa cuisine.
En le voyant, la Guite, qui épluchait des légumes p our le souper, s'arrêta, le couteau en l'air, disant :
— Qu'est-ce que tu as ? Tu es tout pâle ! Serais-tu malade ?
— Ah ! Il m'en arrive une ! répondit simplement Bas tidon en tombant sur une chaise.
— Quoi donc ?
— Je viens de faire une découverte extravagante !
— Explique-toi !
— Eh bien en arrivant, j'ai vu les chiens qui se battaient ! Je me suis approché, et c'était le soulier de Garnoulin que les bêtes se disputaient !
— Le soulier de Garnoulin ?
— Avec son pied dedans !
La Guite regarda son mari, et, hochant la tête :
— Tu es fou ou soûl !
— Je t'assure !
— Comment veux-tu avoir trouvé, ici, le pied de Garnoulin, de Garnoulin que tu viens d'enterrer !
Bastidon haussa les épaules :
— Je ne comprends pas ! Mais je l'ai vu !
— Allons donc !
Alors il se leva :
— Viens voir toi-même ! Je l'ai jeté dans une caisse de la remise.
La Guite se leva et se dirigea vers la remise ; Bas tidon la suivait ; Riquel, le petit berger qui venait de rentrer et Ferdinand qui venait de faire manger les vaches, se joignirent à eux...
— Où ? demanda la Guite quand ils furent dans la remise.
— Là ! répondit Bastidon en montrant une caisse.
La Guite se pencha, regarda, puis se releva toute tremblante :
— C'est vrai, fit-elle, on dirait le soulier de Garnoulin !...
Mais Riquel, le petit berger, s'était penché à son tour et il retira de la caisse le lugubre débris. Ferdinand le lui prit des mains.
— Parbleu ! C'est bien son soulier ! Et son pied qu i est encore dedans ! Qu'est-ce que cela veut dire ! Pourtant, maître, vous venez de l'enterrer !
Bastidon se tut, il était complètement abasourdi ; alors, sa femme :
— Bastidon, il faut aller prévenir les gendarmes ! Tout cela n'est pas clair ! Ferdinand, attelle vite le tape-cul, et tu accompagneras le maître !...
Dix minutes après, point encore revenu de son émoi, Bastidon et Ferdinand roulaient vers Rocheplate.
II
LE BRIGADIER Y PERD SON LATIN
L e brigadier Bartassat, en manches de chemise, ses bretelles remontant son pantalon d'ordonnance jusque sous ses aisselles, était tout occupé à repiquer ses salades, dans le petit jardin de la gendarmerie.
En entendant une voiture s'arrêter devant la porte, il se releva et, reconnaissant Bastidon, il s'approcha, la figure toute hilare et dit :
— Ma foi, vous me paraissez assez d'aplomb, après un déjeuner comme celui que vous venez de faire et où l'on a dû vider force bouteilles !
— Ah ! Brigadier, répondit Bastidon, il s'agit bien de ce déjeuner à cette heure !
Alors le gendarme remarqua la figure du brave granger, et, cessant de rire :
— Que vous arrive-t-il, Bastidon ? Vous n'avez pas l'air dans votre assiette ! Je ne suppose pas que ce soit la mort de votre ami Garnoulin qui vous mette dans cet état ?
— Justement.... Il s'agit de lui !...
Et là, sur le pas de la porte de la gendarmerie, Bastidon raconta par le menu la funèbre découverte qu'il venait de faire !
À mesure qu'il parlait, le visage de Bartassat s'il luminait d'une douce joie et, quand il eut terminé son histoire, se tapant les de ux cuisses, tordu par un rire énorme, le brigadier s'écria :
— Bastidon, mon ami, il faut soigner cela ! Allons, je vois que je ne m'étais pas trompé et que les crus étaient fameux à ce déjeuner des funérailles... Vous avez trop siroté de tavel, mon ami ! Aussi, allez vous c oucher et ne dérangez pas la gendarmerie avec vos ridicules histoires !
Et pour bien montrer à Bastidon qu'il ne lui en voulait pas et que, somme toute, il l'excusait de ne pas avoir les idées plus nettes après un pareil banquet, il lui envoya une solide tape sur l'épaule...
Mais Bastidon secoua la tête :
— Brigadier, je vous assure que je ne suis pas soûl ! D'ailleurs, si je l'avais été, la vue du soulier de ce pauvre Garnoulin était bien capable de me remettre les esprits d'aplomb ! C'est bien sa chaussure que j'ai arrachée à mes chiens, et le pied est encore dedans ! Ma femme l'a vu, le petit Bergerot l'a vu et, tenez, demandez à Ferdinand...
Ferdinand s'approcha et, grave :
— Brigadier, il n'y a pas d'erreur ! Je l'ai vu aussi !
— Diable ! fit Bartassat.
Il songea une seconde, puis :
— Tout de même ce serait fantasmagorique ! Si quelqu'un avait coupé ce pied, cela se saurait ! C'était en somme un pied pas ordi naire et il serait bien possible que quelque médecin... Mais dans ce cas ce médecin l'aurait gardé, et il ne l'aurait pas laissé traîner dans les environs de votre grange !
— Je vous dis, brigadier, c'est extraordinaire !
— Ce ne doit pas être son pied !
— Je vous assure que j'ai reconnu son soulier qui n'était pas le soulier de tout le monde !
— Il n'y avait pas que Garnoulin dans le monde, à être pied-bot.
— Sûr. Mais tout de même...
— Écoutez, nous allons voir !
Et, se penchant à l'intérieur de la gendarmerie, il cria :
— Pichard, préparez la moto.
Puis se tournant vers Bastidon :
— Retournez chez vous ! Dans un quart d'heure nous vous aurons rejoint.
Secouant la tête, Bastidon remonta dans son tape-cu l et, en effet, à peine avait-il gagné l'allée des platanes que sur leur moto les gendarmes arrivaient.
— Voyons ça ! fit Bartassat.
Bastidon, avec une grimace de dégoût, tira de la ca isse où il l'avait jeté le funèbre débris.
Le brigadier le prit et l'examina longuement sans rien dire, puis :
— Sûrement, on dirait la chaussure de Garnoulin. Mais il est impossible que ce soit elle ! Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas que lui de pied-bot. Ce soulier est celui d'un noyé ! D'ailleurs, remarquez que l'on voit bien qu'il a séjourné dans l'eau. C'est un cadavre qui s'est échoué sur les bords du Rhône, dans quelque ramière, et que vos chiens ont retrouvé. Demain, nous ferons les recherches nécessaires et vous verrez que l'on découvrira ce noyé, à qui il manquera le pied ! Car, je le répète, il est impossible, vous entendez, im-pos-si-ble que ce soit le pied de Garnoulin, qui est mort avant-hier, que l'on a veillé pieusement, que personne n'a quitté et que l'on a enterré ce matin !
Et, ayant dit, le brigadier Bartassat allait rejete r la chaussure dans la caisse, quand le gendarme Pichard s'en empara en disant :
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