Les Babouches de Maalem Driss
126 pages
Français

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Les Babouches de Maalem Driss , livre ebook

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Description

Carlo travaille sur des chantiers dans le « bled » marocain. Seul « nézrani » (chrétien en dialecte marocain), il vit au jour le jour avec ses ouvriers arabes ou berbères.
Il aime ce pays, mais il s'interroge pour savoir s'il pourra s'y enraciner.
C'est l'attitude de Driss, un de ses chefs d'équipe, qui prie plusieurs fois par jour après avoir déposé ses babouches à côté de son tapis de prière, qui va alimenter ses réflexions...
La foi de cet homme est-elle si différente de la sienne ? C'est obnubilé par ces babouches qu'il pourra prendre une décision.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 novembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334208604
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-20858-1

© Edilivre, 2016
Chapitre I
Mimoun, le jeune berbère qui accompagnait Tano, n’en revenait pas ; c’était la troisième fois que le « capt’an » ratait son gibier. Quand la première compagnie de perdreaux s’était levée, Tano n’avait même pas épaulé. Rappelé à l’ordre, réveillé, pourrait-on dire, par Mimoun, il avait tiré un doublé au jugé en ratant tout, naturellement. Quant au lièvre qui venait de débo uler, n’en parlons pas : Mimoun s’était retenu pour ne pas lancer son bâton, lancer qui, lui, aurait atteint sa cible. Mais le chasseur, diantre, ce n’était pas lui ; il n’était là que pour signaler, rabattre et, bien sûr, porter gourde, casse-croûte et gibecière.
Non, décidément, quelque chose n’allait pas dans la tête du « cap’tan », surnom que toutes les tribus de l’arrière-pays d’Imouzzer du Kandar avaient attribué à l’entrepreneur italien.
Et pourtant, pour Tano, ce dimanche de chasse avait commencé comme toute journée de joie attendue. La veille, après avoir mis ses comptes en règle, graissé fusil et brodequins, recousu la boucle de sa cartouchière, il s’était couché tôt, pour se lever avant l’aube.
Mais le sommeil n’était pas venu.
Cela ira mieux demain, se disait-il en brassant ses couvertures tout en essayant de ne pas réveiller Rita, sa femme, habituée à avoir à ses côtés un compagnon doté d’un lourd sommeil.
Mais nous étions le lendemain, et ça n’allait pas mieux. C’est presque machinalement que Tano se retrouva dans la plaine du Saïs, après avoir quitté Fez par le sud, en direction de « ses » montagnes. Malgré le problème qui le taraudait, car il y avait bien problème, le scénario habituel se déclencha dans sa tête comme chaque fois qu’il commençait à sentir l’odeur du bled.
Il se revoyait quittant l’Italie en crise après la tourmente de 14-18. Du bateau, une barcasse le débarque à Salé avec femme, caisse à outils, maigres bagages, et une pleine malle de projets.
Petits travaux sur la côte et dans la forêt de la Mamora mais, très vite, il devait se rendre à l’évidence : les chantiers importants étaient toujours octroyés aux entreprises françaises. Après s’être concertés avec espagnols et portugais, logés à la même enseigne, ils décidèrent d’aller en parler au « chef », à savoir le Général Lyautey, qu’ils savaient abordable et soucieux d’équité.
« Mettez-vous à ma place-leur dit sans ambages celui qui avait encore, pratiquement, les pleins pouvoirs.-Je suis bien obligé de donner du travail en priorité aux entreprises de mon pays. Mais si vous suivez la Légion dans ses opérations de « pacification » 1 , l’intérieur est à vous ».
Et c’est ainsi qu’après de courtes haltes à Khemisset et Meknès, Tano décida de s’installer à Fez.
Il ne regrettait pas d’avoir choisi cette ville ; lovée entre le Rif et le Moyen Atlas, elle le mettait à deux pas des montagnes dont il avait besoin pour retrouver les sensations physiques qu’il avait laissées dans son Piémont natal : le regard qui s’appuie sur du relief, un horizon proche et de ce fait plus familier que l’infini de la plaine ou de l’océan, la sécurité d’un paysage fini.
Fez lui apportait en outre un bon équilibre entre l’urbanité du fassi et la rude amitié du berbère. A travers la volubilité du premier, il avait appris l’islam et le négoce ; le second lui avait fait redécouvrir le poids du mot juste, lâché après de longs silences, la détermination d’une décision mûrie dans la solitude de la montagne, la référence au bon sens plus qu’aux préceptes de la foi, quelle que fût cette dernière. Il aimait aussi fréquenter le Mellah 2 ainsi que le vieux Mardoché, épicier-apothicaire à Imouzzer, père de deux rabbins, à qui il osait parfois demander conseil pour ses affaires.
A l’accoutumée, ces réminiscences lui tenaient compagnie jusqu’au lieu de chasse, mais, ce matin là, le cœur n’y était pas.
Il avait pourtant choisi un de ses coins préférés sur les pentes qui descendent doucement du massif du Kandar vers Imouzzer et Sefrou. Il y savait les récoltes rentrées et connaissait bien les compagnies de perdreaux qui iraient glaner les chaumes avant les labours ; quant aux lièvres, il pourrait certainement en « faire » quelques-uns à la lisière de la forêt de chênes-verts qui borde les cultures.
Tout en roulant, Tano ne comprenait pas, ou plutôt il comprenait trop bien pourquoi son esprit n’était pas aussi léger que lors des autres départs de chasse, bien que tous les éléments de son passe-temps favori fussent réunis : l’air finalement respirable après la fournaise de l’été, quelques légères traînées de brume annonciatrices de l’automne, sa saison préférée, les masses mauves des montagnes se détachant à contre-jour du soleil naissant, le sourire des bergers remerciant d’avoir ralenti au croiser des troupeaux. Tout était là, sauf cette paix intérieure sans laquelle toute initiative, même la plus agréable, devient corvée.
C’est que le problème à résoudre était ardu, insolite et surtout nouveau pour lui ; ce qui le gênait le plus, finalement, c’est qu’il ne se sentait pas préparé pour affronter une situation à laquelle il avait pourtant souvent pensé.
Il venait en effet de retrouver son fils, Carlo, après une longue, trop longue, séparation.
La guerre de 1940-45, dans ses convulsions aveugles et ses conséquences inattendues, les avait séparés pendant presque cinq ans, que Carlo avait vécus en Italie. Et pas n’importe quelles années : celles de l’adolescence et des études pendant lesquelles on dit que le caractère se forme, ou pas, les influences bonnes et mauvaises agissent, les fréquentations… Tano savait que, pendant cette période, son fils avait été pratiquement livré à lui-même, malgré ses études et un lointain environnement familial, et ce dans une Europe folle. Il concevait, plus intuitivement que de manière raisonnée, qu’un contexte difficile, des épreuves, voire des dangers à surmonter, peuvent être formateurs. Mais enfin, il n’avait pas été là, lui, son père, aux moments difficiles pendant lesquels Carlo n’avait pas pu ne pas appeler secrètement ses conseils. Arrivées à ce stade, les réflexions de Tano s’embrouillaient quelque peu.
La séparation avait été douloureuse. Peu ou pas de nouvelles, et l’imagination qui construit un homme forcément différent de celui que l’on embrasse le jour du retour sur le quai de la gare. Des projets, des rêves de travail en commun sans pouvoir demander l’avis du principal intéressé. Des qualités, rien que des qualités, notamment celles que l’on n’a jamais eues soi-même.
Et surtout, pendant cette longue, longue nuit, la question angoissante et difficile sur l’opportunité du retour.
Tano n’avait jamais regretté de s’être enraciné dans ce pays qu’il considérait dorénavant comme le sien ; mais fallait-il pour autant inciter son fils à s’immerger à son tour dans ce Maroc en train de basculer du moyen-âge dans la modernité ? Sans pouvoir pressentir l’indépendance, il se rendait bien compte que le grand chambardement mondial qui venait de s’apaiser ferait que les choses ne seraient plus jamais celles qu’il avait connues vingt ans auparavant. Comment Carlo allait-il se faire admettre à défaut de s’intégrer dans ce pays où tout lui était étranger, ou déformé par les souvenirs de l’enfance. Il lui faudrait découvrir des mentalités plurielles qui n’avaient connu la guerre que de loin, les courants politiques naissants, le heurt des générations d’hier et de demain, la divergence des intérêts des diverses communautés et des diverses religions cohabitant dans ce pays. Pire, il ramenait certainement d’Italie des réflexes plus romains que chrétiens qui ne pourraient que le gêner dans l’approche du musulman. Quelle place prendrait-il enfin dans les divers courants qui, déjà, ravinaient les diverses colonies européennes ?
Devant ces interrogations, Tano n’était sûr que d’une chose : ce n’était pas lui, parce que père, qui pourrait lui faire découvrir les embûches de ce chemin qu’ils envisageaient de parcourir ensemble.
Une fois passée l’émotion des retrouvailles, ils entreprirent, tacitement, de refaire connaissance. Dès les premiers jours de vie commune ils se surprirent parfois s’observant, se redécouvrant, mais avec suffisamment de franche intelligence pour éclater de rire lorsque la curiosité de l’un ou l’autre allait trop loin.
Tano fit rapidement le tour extérieur de ce nouveau venu de fils : solide, sympathique aux femmes mais ne sachant pas parler aux hommes ; ingénieur, certes, mais ne connaissant rien aux choses de la vie. Rassuré de constater qu’il avait encore beaucoup de choses à lui apprendre, il n’en était pas moins paralysé sur la façon de s’y prendre. Même leur complicité naissante inquiétait parfois Tano, car comment avoir autorité sur un complice… Mais fallait-il faire preuve d’autorité ?… Sur le fils, oui (son sang cisalpin ne permettait pas le doute) mais sur l’ingénieur non, encore que… Sur l’employé oui (il faut un patron, et un seul, dans une entreprise), mais… employé ou associé ? Par moments la question la plus lancinante refaisait surface : avaient-ils bien fait de décider de travailler ensemble ? A-t-on jamais vu un père réaliser, par enfant interposé, les projets qu’il n’a jamais pu concrétiser lui-même ? À l’ami lui posant cette question Tano aurait répondu par un sourire énigmatique…
Mimoun se rendait bien compte que le cap’tan vivait des heures graves. Après les premières cartouches ratées, il avait tenté quelques plaisanteries, comme pour excuser le chasseur :
« Ce matin, en descendant de voiture, tu n’as pas vu la chouette qui te dévisageait ; du aurais dû l’abattre car tu sais bien qu’elle amène la guigne. »
– Au premier co

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