Piège en Ombrie
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Description



Piège en Ombrie ou les secrets de Montiano, première aventure d’Hélène Fontayne, Française vivant dans un petit village d’Ombrie, en Italie, aux prises avec un double mystère : la mort accidentelle de son voisin, Enzo Valeriani, l’antipathique directeur de la maison de repos et, le même jour, la disparition d’Irina, jeune et jolie Russe, aide à domicile de Gabriella, l’ancienne institutrice du village.



Hélène, qui se débat entre crise conjugale, blues de la quarantaine et « chocolamanie », va enquêter un peu malgré elle, par amitié pour Gabriella mais aussi pour pimenter son existence...


Aldo, le cuisinier de la maison de repos, tentera lui aussi de démêler le vrai du faux tout en préparant de délicieux plats d’Ombrie dont les recettes sont livrées à la fin du roman.





Au centre d’intrigues de plus en plus complexes, des personnages hauts en couleur évoluent avec une certaine indolence qui magnifie l’atmosphère du roman, dans des lieux décrits avec un grand talent. Claire Arnot rend ainsi hommage à l’Ombrie, région méconnue, et à sa gastronomie. Ce polar « culinaire » est aussi un prétexte pour raconter l'Italie d'aujourd'hui en pleine mutation.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 janvier 2017
Nombre de lectures 29
EAN13 9782374532264
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Présentation
Piège en Ombrie ou les secrets de Montiano, première aventure d’Hélène Fontayne, Française vivant dans un petit village d’Ombrie, en Italie, aux prises avec un double mystère : la mort accidentelle de son voisin, Enzo Valeriani, l’antipathique directeur de la maison de repos et, le même jour, la disparition d’Irina, jeune et jolie Russe, aide à domicile de Gabriella, l’ancienne institutrice du village. Hélène, qui se débat entre crise conjugale, blues de la quarantaine et « chocolamanie », va enquêter un peu malgré elle, par amitié pour Gabriella mais aussi pour pimenter son existence… Aldo, le cuisinier de la maison de repos, tentera lui aussi de démêler le vrai du faux tout en préparant de délicieux plats d’Ombrie dont les recettes sont livrées à la fin du roman. Au centre d’intrigues de plus en plus complexes, des personnages hauts en couleur évoluent avec une certaine indolence qui magnifie l’atmosphère du roman, dans des lieux décrits avec un grand talent. Claire Arnot rend ainsi hommage à l’Ombrie, région méconnue, et à sa gastronomie. Ce polar « culinaire » est aussi un prétexte pour raconter l'Italie d'aujourd'hui en pleine mutation. *** Née en 1963,Claire Arnot vit en Italie depuis 25 ans. Assistante de français à Terni (Ombrie) elle a créé une émission culturelle radiophonique bilingue, adapté des spectacles théâtraux en français, travaillé comme interprète ; elle enseigne actuellement le français dans un lycée linguistique à Rome. Elle se consacre avec plaisir à l’écriture. Passe-temps chronophage… mais épanouissant puisqu’il lui a permis de gagner le 1er Prix de la Nouvelle dans les Baronnies en 2012 pour son récit Alicudi qui prête son nom au recueil comprenant d’autres nouvelles primées, se déroulant toutes en Italie. Elle a remporté le Logo d’Or 2014, 1er Prix littéraire national de la ville de Terni pourRetour à Piazza Clai/Ritorno a Piazza Clai, roman bilingue franco-italien où petite et grande histoire d’Italie se rencontrent, de 1940 aux années de plomb. Elle a créé le personnage légèrement autobiographique d'Hélène Fontayne, quadragénaire, gourmande et paresseuse mais habile caricaturiste à ses heures.
Piège en Ombrie
Claire Arnot
Les Éditions du 38
Avertissement
Ce roman s’inspire de lieux existant réellement en Ombrie, comme la charmante ville d’Amelia ou Orvieto la majestueuse ; cependant, poussée par la nécessité du récit et par ma propre fantaisie, j’ai pris quelques libertés avec la géographie et l’histoire locales… En espérant que cela attisera votre curiosité, je vous souhaite, chers lecteurs, d’apprécier l’Ombrie, « le cœur vert de l’Italie », comme j’ai appris à l’aimer
Il n’est point de secrets que le temps ne révèle. Jean Racine inBritannicus.
Qui non piove mai, o siamo troppo buoni o siamo troppo cattivi… Ici il ne pleut jamais, soit on est trop gentil, soit on est trop méchant… (Expression populaire d’Ombrie)
1.
LUNDI 6 JUILLET Le chien de chasse grogna sourdement : un renard… un sanglier ? La nuit avait été douce : deux lapereaux et une grosse hase délogés du terrier, plus une fouine prise au collet. Il en revendrait la peau. Le gibier pesait dans son sac et Antonio Antonelli marchait aussi vite que ses vieux os le lui permettaient, courbé en deux, toujours à l‘affût de quelque trace dans ce fond de vallon dense et boisé. Les aiguilles de pin craquaient sous ses gros souliers. Il faisait encore sombre dans le sous-bois et il humait le sentier plus qu’il ne le voyait, en symbiose avec son chien qui, lui, fouinait nez contre terre. Le vieux braconnier compensait une surdité croissante par un odorat exceptionnel : il savait distinguer le parfum léger du lièvre, thym-serpolet, de l’odeur acide du renard ; dès septembre, il percevait la délicatesse des cèpes naissants sous les premières feuilles d’automne ; en novembre, il « sentait » le terrain à truffes avant même que son chien ne creuse au pied des chênes pubescents. Mais l’odeur qu’il reconnaissait entre toutes était le musc puissant du sanglier, le prince du maquis. Celle qui venait de sa bauge, de la terre fraîchement labourée par son groin : une odeur d’humus, de cuir et d’urine mêlés à la résine de pin. Alors son setter s’arrêtait net, poil hérissé. Antonio Antonelli ne chassait pas le sanglier tout seul, trop dangereux pour un homme âgé et sans fusil – chaque hiver les chasseurs organisaient des battues contre ces ongulés devenus trop nombreux en Ombrie –, mais il tombait parfois sur un marcassin égaré pris dans les mâchoires de ses pièges. Sa chair tendre était bien payée. Alors il fallait faire vite, achever le petit avant qu’il ne donne l’alarme à une mère de cent kilos… Excité par l’odeur des sangliers, le chien grognait puis disparaissait dans les buissons de buis et d’arbousiers. Antonio, sur ses traces, se fondait dans le ventre du maquis comme dans les replis d’une femme : les fourrés de lamacchia de ce petit coin d’Ombrie n’avaient plus de secrets pour lui. Il l’avait arpentée toute la nuit – toute la vie – à la recherche de bêtes prises dans ses pièges de braconnier. Il était tard maintenant ou plutôt très tôt : au-dessus des massifs de chênes verts, le ciel pâlissait. Les rapaces de nuit fatigués se posaient lourdement sur les branches des hêtres. De petits écureuils gris sautillaient dans les pins, et, dans l’aube fraîche de l’été, s’élevait le chant clair de l’alouette du matin. C’était l’heure de rentrer au village. Le plus discrètement possible, c’est-à-dire par le souterrain au fond du ravin. Curieusement, le braque croisé setter hésita : au lieu d’aller plein nord vers le rocher moussu qui cachait si bien l’entrée du passage, il se dirigea à l’est sous le remblai de la route départementale, sortant ainsi à découvert sur de grosses pierres plates et grises. — Ulysse ! siffla l’homme entre ses dents, reviens ici ! Antonio Antonelli agissait illégalement, mais avec une grande prudence. Il savait que les carabiniers soupçonnaient les villageois de Montiano. Par équipes de quatre, les militaires avaient quadrillé lamacchia,trouvé ses pièges, interrogé les Montianesi pas plus tard qu’au printemps, sans jamais l’interpeller, lui, trop vieux, trop invisible. Et c’était tant mieux. Il s’était tenu tranquille quelques nuits et avait poursuivi son innocente activité diurne sous les yeux de tous. On le savait sans fusil depuis sa chute d’un toit et on le croyait trop mal en point pour courir dans le maquis toute la nuit. Ses « clients » ne l’avaient pas trahi : ils risquaient gros eux aussi. Et pourtant il avait été un grand chasseur à l’époque où on ne chassait pas par plaisir, mais pour
améliorer le quotidien ; sans voiture tout-terrain, sans fusil à lunette ni à infrarouge, sans téléphone portable et surtout sans permis de chasse exorbitant… Antonio ne pouvait se le permettre. Pour lui le braconnage n’était que la continuité d’une chasse ancestrale du paysan dans son milieu. Il était né dans cette région, au cœur de ses collines, il y mourrait probablement, après avoir bu son eau de source, mangé ses truffes, ses asperges sauvages et tué son gibier. Parce que c’est dans l’ordre de la nature. Parce que la terre nourrit l’homme. Maintenant Ulysse avait disparu. Le braconnier craignait de sortir à découvert même s’il était difficile d’être vu par un automobiliste en contrebas de la route si tôt le matin. Le vieil homme siffla un coup bref et s’avança prudemment jusqu’à la lisière du bosquet. Il s’accroupit au pied d’un genêt et chercha des yeux son chien noir sur fond gris. Et soudain il la vit. À 50 mètres de lui, encore fumante, en position grotesque. Son beau nez arrêté par un chêne déraciné. La Mercédès Coupé gris métallisé de Valeriani. Élégante, racée. Elle avait basculé, tel un gros jouet, et avait glissé le long du remblai jusqu’à ce que la nature l’arrête. Elle ronronnait encore, pas trop cabossée, le coffre avant chiffonné, comme le visage d’une femme mûre au réveil… L’homme sortit de sa cachette en rampant. Comment se faisait-il qu’il n’ait rien entendu ? Il devenait de plus en plus sourd,porca miseria ! Un obstacle, un malaise, et la belle allemande avait glissé sans bruit au fond du ravin ? Ulysse gratta contre la portière avant : il l’avait reconnu lui aussi. On ne voyait pas le visage du conducteur, affaissé, les bras sur le volant, son torse nu et gras dépourvu de ceinture de sécurité. En s’approchant tout près de la fenêtre ouverte, Antonio l’entendit geindre doucement. Il leva les yeux vers la chaussée : on voyait bien, dans ce morceau de route sans protection, les branches cassées par l’accident. Tout était silencieux. Cependant le car de 5 heures qui accompagnait les ouvriers aux aciéries de Terni n’allait pas tarder à passer. Il n’avait que quelques minutes devant lui. Son pire ennemi évanoui et à sa merci… Il ouvrit lentement la portière et souleva la tête d’Enzo Valeriani qui empestait l’alcool. Il avait les yeux fermés et le visage couvert de sang, mais il respirait encore. — Ben, mon cochon… Encore un de tes festins qui a mal tourné. Une longue plaie ouverte partait de la racine des cheveux, un peu trop noirs pour un homme de 55 ans, et finissait sur l’arête du nez. Elle saignait abondamment. — Rien de grave… C’est pas ça qui va te tuer, salopard. Le vieil homme relâcha sans ménagement la tête du blessé sur le volant. La grosse chaîne en or pendue à la poitrine velue cliqueta un instant. Antonio jeta un coup d’œil sur le siège du passager : il y vit une chemise blanche roulée en boule et un dossier bleu, aux coins fatigués, fermé par un élastique. Il allongea le bras pour le prendre et le fourra sous sa veste. — Le temps presse maintenant, finissons-en. Le braconnier sortit un gourdin de sa besace : une arme en chêne, dure et lisse, qu’il avait polie lui-même les soirs d’hiver. Une seconde en l’air puis il en asséna un grand coup sur la nuque du blessé, comme pour achever un marcassin pris au piège. Le blessé sursauta, émit un gargouillis et retomba lourdement sur le volant. Maintenant il gisait immobile, les bras ballants, gros pantin désarticulé. Le vieux contrôla la jugulaire de deux doigts experts, puis rempocha son bâton. Il avait agi rapide et précis, comme quand il relevait ses collets au petit matin. Il voulut conclure de façon spectaculaire et se libéra de sa gibecière. En quelques secondes il ramassa un peu de brindilles, de feuilles sèches et les plaça autour du conducteur, puis sous le réservoir et le moteur encore allumé ; il en disposa d’autres sous les roues avant et sortit son briquet qu’il régla sur flamme haute. Le chien bondissait, curieux et intéressé par le
anège de son maître. — Ulysse, éloigne-toi ! Les flammes crépitèrent, d’abord hésitantes puis un peu plus grandes et enfin les premières langues bleues léchèrent la voiture. Une nuée d’oiseaux s’envola d’un seul battement d’ailes. Les cimes des pins se balancèrent dans le vide. Le vieil Italien se retira à l’abri du bosquet pour observer quelques instants ce tableau mouvant, fascinant. Puis le feu s’engouffra d’un coup dans l’habitacle enveloppant le mort en tourbillonnant. Une fumée âcre et noire monta épaisse jusqu’à la route. — Voilà ce qu’on appelle un feu de joie, mon chien, tu vois, un vrai feu de joie. Antonio rajusta sa besace puis s’enfonça dans le bois, l’échine secouée d’un rire silencieux. Quelques pas au fond du vallon et la paroi du souterrain engloutit l’homme et son chien.
2.
Il était à peine 8 heures du matin ce premier lundi de juillet, et la confiture d’abricots cuisait déjà à gros bouillons embaumant toute la maison. Hélène Fontayne, perdue dans ses pensées, finissait de rincer ses pots à l’eau bouillante. Cela faisait dix-huit ans qu’elle vivait en Italie et beaucoup moins à Montiano, ce petit village d’Ombrie agrippé à la colline. Un semblant de brise du matin entrait par la porte-fenêtre. Sa maison, à flanc de coteau, surplombait un paysage de carte postale. Aux pieds du Terminillo encore enneigé, ondulaient les contreforts de l’Ombrie sombres et boisés, puis venaient les collines argentées d’oliviers, de blé blond et de vignes, parsemées de villages miniatures. Quelques cyprès élégants s’élançaient de loin en loin jusqu’aux majestueux remparts d’Amelia tous proches à vol d’oiseau, alors que 8 km de route sinueuse les séparaient de Montiano. La coupole dorée de la cathédrale brillait au soleil et à ses pieds des dizaines de toits s’étalaient comme un manteau scintillant dans la lumière du matin. L’Ombrie, moins connue et moins chère que sa voisine la Toscane, attirait cependant de plus en plus de monde ces dix dernières années. Elle avait comme grand atout la proximité de Rome à 50 km et offrait nature et culture en abondance. Des espaces encore sauvages, une sorte de maquis méditerranéen qu’on appelait lamacchiapullulait du gibier, et ses cascades bondissantes, la faisaient où surnommer « le cœur vert de l’Italie ». Sa gastronomie de terroir, riche et variée, à base de viande grillée, de cèpes et de truffes, se dégustait dans de petits restaurants familiaux nichés au cœur de bourgs fortifiés. Et partout, au détour de ses routes escarpées, se dressaient des forts médiévaux, des abbayes perchées aux fresques fanées et autres trésors religieux relatant la vie de Saint François d’Assise. La plupart des villes d’Ombrie étaient bâties sur des vestiges celtes, étrusques puis romains. Elles proposaient quelques rendez-vous annuels renommés comme le festival de théâtre de Spolète ou celui deUmbria Jazzà Pérouse et Terni, laCorsa all’Anellode Narni, une sorte de course équestre en costume médiéval. Bon nombre de VIP s’entichaient d’un pan de vigne ou d’un village abandonné qu’ils retapaient en faisant monter les prix de l’immobilier. Quelques acteurs italiens, dont Roberto Begnini, avaient acheté de beauxpalazziAmelia et ses environs. Ces à people demeuraient toutefois discrets et l’on vivait encore avec sérénité et grande cordialité dans le sud de l’Ombrie. Le balcon de la cuisine était le havre de paix d’Hélène Fontayne : calée dans un fauteuil fatigué, la rambarde chargée de pots de persil et de basilic à portée de la main, elle lisait ou dessinait le jour puis y prenait le frais le soir en écoutant les porcs-épics grignoter les fruits du verger. Au matin, on découvrait leurs longues aiguilles striées de noir et blanc qui amusaient tant les enfants. De nature contemplative, Hélène s’appuyait volontiers à la balustrade en fer forgé. Des hirondelles criardes et de gros martinets fendaient l’air en sifflant. Elle adorait ces longs moments de rêve éveillé où elle s’imprégnait du paysage, de la lumière, des parfums qui montaient du jardin, des sons de la nature et des échos du village. Elle mêlait ainsi souvenirs d’enfance et désirs d’adulte. À 22 ans, Hélène Fontayne était venue finir ses études d’Histoire de l’Art à Rome, une thèse sur l’architecture de la Renaissance qu’elle n’avait jamais terminée… Marco fréquentait le même Resto U et avait tout fait pour la séduire. On l’avait avertie avant de partir : Méfie-toi, les Italiens sont des charmeurs, ils te draguent et puis te laissent tomber ! Elle avait repéré sa tignasse brune dès les premiers jours de son arrivée. Il riait fort et parlait bien en faisant de grands gestes avec les mains. Futur avocat, il
arbitrait et organisait des matchs de foot entre universités. Ils s’étaient fixés dans les yeux, juste une seconde de trop. Il l’avait remarquée. Elle lui avait souri. Et quelques jours après, il s’était imposé à sa table avec son plateau à la main. Elle n’était pourtant pas la plus jolie : de taille moyenne, un peu épaisse… mais elle avait un regard vif et d’abondantes boucles dorées qui créaient un halo lumineux autour de son visage. Elle l’écoutait en souriant, la tête penchée sur le côté. Elle s’extasiait, gourmande, devant un plat inconnu aussi bien que pour une expression italienne. Marco ne sut résister à l’arrondi du bras qui, dans un cliquetis de bracelets, ramenait la masse de cheveux blonds autour du visage. Elle n’utilisait aucun maquillage, contrairement aux jeunes Italiennes de son âge qui se fardaient trop et cachaient leurs yeux derrière de grosses lunettes de soleil. De son côté, Hélène céda au beau parleur aux yeux noirs qui lui inventait des surnoms français et italiens – Lilène, Léna, Nina – la faisait rire et la promenait en scooter dans des décors millénaires. Ils s’étaient embrassés debout contre un arbre de Villa Borghèse durant l’été de la Saint Martin… ces fameux jours de redoux en plein mois de novembre. Un signe pour les amoureux. Quand elle repensait à cette période d’insouciance, elle la sentait déjà bien loin, comme un vieux classique en noir et blanc, genreVacances romaines… Très vite, elle s’était rendu compte que la désinvolture de Marco cachait quelque chose. Il partageait un appartement près de l’Université de La Sapienza avec trois autres étudiants en droit issus de la bonne bourgeoisie de province, il sortait beaucoup en semaine, mais disparaissait chaque week-end. Intriguée par son manque de disponibilité le vendredi et le samedi soir, Hélène le suivit. Elle le vit entrer à la Trattoria du Colosseo. Marco travaillait secrètement comme pizzaïolo. Elle le héla. Il la fusilla du regard. Hélène en eut les larmes aux yeux : elle avait été indiscrète, il allait l’engueuler, l’abandonner peut-être… Elle l’attendit toute la nuit éveillée dans leur lit. À la vue de sa mine dépitée, il ne résista plus. Il avait envie de faire confiance – il poussa un profond soupir et commença à parler. Timidement d’abord, entre deux bouffées de cigarette, puis peu à peu, comme une rivière en crue. Les mots envahirent toute la chambre. Il s’était enfin libéré : il raconta l’enfant trop sérieux et surdoué qu’il avait été, le manque d’argent dans le sous-sol humide du centre-ville, le bac avec mention, la bourse pour continuer ses études et devenir l’avocat dont rêvaient ses parents. L’aide précieuse de Sandro, son frère aîné, ouvrier aux Aciéries de Terni dès l’âge de 18 ans, fier de voir son cadet s’inscrire à la faculté de droit alors que lui n’avait que son certificat d’études, comme son père et sa mère avant lui. Marco parla longtemps, sincèrement, dans la chaleur de leurs corps emmêlés. Et c’est là que tout bascula. D’un simple flirt à une réelle histoire d’amour. Après, ils avaient beaucoup mieux fait l’amour. À cœur et à corps ouverts. Elle en avait été émue et impressionnée. Elle, elle n’avait rien à raconter. Une enfance simple et choyée dans une famille d’hôteliers du sud de la France. Peu d’expérience sentimentale : une passion stérile avec un homme marié, des amants gauches et infidèles… et un grand amour à Rome qui commençait. Du coup, l’Architecture de la Renaissance ne l’intéressait plus du tout. Maintenant elle l’accompagnait volontiers à la Trattoria, donnait un coup de main à la vieille Maria qui l’appelaitBellissimaet attendait que Marco finisse son service pour rentrer dormir dans leur lit à une place. Hélène ne mettait plus les pieds à la Cité U et avait réussi à sous-louer sa chambre à une Uruguayenne qui lui écrivait encore ! Elle risquait gros, mais elle vivait sur un petit nuage. Elle passait de temps en temps à la bibliothèque pour envoyer quelques chapitres à son professeur d’Histoire de l’Art. Cependant elle préférait flâner dans les rues de Rome, se remplir de voix et de couleurs, peaufiner son italien au lieu de travailler sérieusement. Elle avait même dégotté une petite école privée où elle enseignait le français aux enfants deux fois par semaine en improvisant
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