Quand les spectres assassinent

Paul Tossel

Description

Edward Warency alias « L’Ange » est fort étonné de reconnaître, dans la danseuse vedette du music-hall dans lequel il est venu assister à un spectacle, une jeune femme qu’il sauva, il y a dix ans, des griffes d’un terrible gangster.

L’artiste ayant repéré « L’Ange » dans le public, lui fait parvenir une invitation à la rejoindre dans sa loge.

Là, elle lui avoue son soulagement de le voir, car elle pense que sa vie est en danger et elle compte une nouvelle fois sur son aide.

Sujets

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Informations

• Publié par: Oxymoron Éditions
• Date de parution: 20 janvier 2023
• Nombre de lectures: 1
• EAN13: 9782385011024
• Langue: Français

Extrait

QUAND LES SPECTRES ASSASSINENT

Par
Paul TOSSEL
CHAPITRE PREMIER
 
Dans la pénombre de sa loge, invisible, mais voyant tout, Edward Warency détaillait le public garnissant le parterre et les balcons du Moonstruck. Lui qui fréquentait peu les théâtres cherchait encore à expliquer l'impulsion qui l'avait poussé à entrer dans ce music-hall. Il ne parvenait pas à trouver la cause du curieux sentiment fait de trouble et d'attendrissement l'ayant pénétré devant la grande affiche de la vedette.
Il ne s'agissait pourtant que d'une affiche comme toutes les autres de ce genre, représentant, par les combinaisons habituelles de couleurs voyantes, une femme élancée et belle, à la chevelure brune, aux yeux habilement agrandis qui, vêtue comme une danseuse espagnole, esquissait le pas classique d'une séguedille en faisant claquer ses castagnettes. C'était ce chromo grossièrement brossé qui hantait encore son esprit tandis qu'il promenait sur les spectateurs un regard indifférent... Sandra Sanderling, tel était le nom de l'étoile de la revue et ce nom n'évoquait aucun souvenir dans les tréfonds de la mémoire du jeune homme.
Les trois coups traditionnels résonnèrent dans la coulisse. Le rideau se leva sur un décor de désert mexicain où rien ne manquait : ni les cactus, ni la piste sablonneuse, ni les rochers tourmentés couleur d'ocre. Une amazone parut, escortée de deux cavaliers en costume de gaucho portant un banjo en bandoulière. Le trio mit pied à terre et les chevaux disparurent dans la coulisse. S'accroupissant sur le sol, les gauchos jouèrent de leur instrument tandis que Sandra Sanderling, magnifique dans ses atours mi-mexicains mi-espagnols, entamait une chanson nostalgique d'une voix émouvante et grave.
Warency souriait : il comprenait maintenant ce qui l'avait attiré dans ce music-hall sur la seule vue du portrait de la vedette. Ce n'était que le sentiment obscur de retrouver quelque chose ou quelqu'un que l'on a déjà vu. Or, Sandra Sanderling n'était pas une inconnue pour lui.
— Jane Holt ! murmura-t-il. Que d'années écoulées entre ce soir et le jour où je la conduisis au bateau du capitaine Cork... C'était un embarquement clandestin : il fallait non seulement la faire échapper aux griffes de la police qui la recherchait pour une histoire de stupéfiants montée de toutes pièces, mais surtout l'arracher à l'emprise de Big John qui exploitait à outrance sa jeunesse et son amour de la vie facile... Cela doit remonter à dix ans ! Elle a fait son chemin en Europe !... Elle ne manque pas de talent et est toujours aussi belle !
Il avança son siège, s'accouda à la balustrade couverte de velours cramoisi pour mieux détailler la jeune femme. Son éternel sourire aux lèvres, ses yeux bleus noyés dans les profondeurs d'un rêve ouvert sur le passé, celui que l'on appelait l'Ange s'abandonnait à la douceur de quelques charmantes évocations.
Soudain, comme cela arrive fréquemment dans de pareils cas, la personne longuement fixée se tourne instinctivement vers celle qui la regarde. La pseudo Sandra Sanderling leva les yeux sur l'Ange et le reconnut aussitôt. Son jeu de scène s'en ressentit ; la désespérante nostalgie de son chant se mua en un élan expressif d'espoir et de joie amère. Le débit des paroles devint plus saccadé, les gestes furent nerveux, les mains se joignirent quelquefois dans une attitude de prière muette, mais éloquente. Warency fut surpris de cette transformation ; en outre, l'expression d'angoisse du regard accroché au sien, la supplication désespérée qu'il y lisait, le bouleversèrent.
— Comme jadis, murmura-t-il en se retirant légèrement dans l'ombre. Jane Holt est aux abois, elle se souvient que je l'ai sauvée et me renouvelle son appel... Curieuse femme ! Il n'y a cependant plus de Big John à ses trousses, puisqu'il s'est fait tuer par les policiers l'an dernier.
Il se promit de rendre visite à la vedette dans le plus court délai.
Le cerveau, le cœur et l'âme de Warency étaient ainsi constitués ; il suffisait qu'une détresse obscure et poignante se révélât, qu'un danger grave menaçât un faible pour que ces trois principes de sa personne entrassent en mouvement au mépris des règles de prudence les plus élémentaires. Chevalier d'un genre nouveau, il défendait ceux que l'armée du crime choisissait pour victimes. De telles batailles constituaient un rude sport dans lequel l'intelligence, le courage et la force physique de l'homme devaient donner leur maximum. En outre, les profits n'étaient pas à dédaigner et rapportaient parfois des sommes considérables : les princes du crime, les rois du trafic clandestin ; en un mot toutes les têtes couronnées des multiples gangs ravageant l'Amérique possédaient des richesses supérieures à celles des banquiers ou des capitaines d'industrie les plus en vue.
On l'avait surnommé l'Ange en raison de son sourire plein de naïveté et de l'expression enfantine de son visage. Cette candeur apparente dissimulait une force de caractère et une ténacité exceptionnelles alliées à une vigueur insoupçonnable. Il n'hésitait jamais à se lancer dans les aventures les plus hasardeuses, puissamment aidé dans son action par la fidèle et séduisante Diana Deel, son amie et compagne de toujours. De telles entreprises lui valaient la haine des mauvais garçons du territoire, mais c'est en vain que les tueurs les plus habiles s'étaient lancés sur sa piste. Son adversaire le plus acharné demeurait cependant l'inspecteur Kenneth Hartling du F.B.I. qui se trouvait perpétuellement sur les mêmes sentiers que lui et enrageait de voir le succès couronner ses efforts tout en étant parfois contraint d'utiliser l'expérience et l'habileté de ce singulier ennemi.
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