Tokyo Veritas
170 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
170 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Christian, le narrateur, revient au Japon après une longue absence. Cet esthète se promène de musée en galerie, de café en jardin zen, de rencontre en rencontre, dans le néant confortable d'une vie profondément solitaire. Jusqu'au jour où apparaît Angelo, le bodhisattva, un jeune garçon d'une grande beauté, qui se présente comme une sorte d'ange gardien venu le protéger de lui-même. Christian n'avait pas conscience d'être en danger. La suite des événements dans lesquels il sera entraîné le convaincra rapidement. Bientôt, Angelo lui est indispensable, mais sa présence permanente ne laisse pas de lui peser. Angelo est-il une véritable créature venue d'une sorte d'au-delà ? A-t-il une réalité ? Est-il un rêve ? Le fruit d'une forme de schizophrénie ? Christian a l'impression de vivre le Japon dans une sorte de brume lumineuse qui projette sur toute chose et sur ses expériences une aura d'irréalité. Jusqu'à la fin de son séjour, qui sombre dans un chaos apocalyptique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 octobre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342056396
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tokyo Veritas
Christian Soleil
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Tokyo Veritas
 
 
 
 
« La vérité est trop nue,
elle n’excite pas les hommes. »
Jean Cocteau
 
 
 
« Il n’est pas une vérité qui ne porte
avec elle son amertume. »
Albert Camus
 
3   août
Je faisais souvent le même rêve. Je débarquais à la gare de Ueno par le train Skyliner de la compagnie Keisei, sans doute en provenance de l’aéroport de Narita. Mais c’est moi qui rajoute cette réalité logique dans un souci de cohérence globale. Dans le rêve, c’était plus simple : j’arrivais à Tokyo un peu comme le nouveau-né paraît, inconscient d’exister, ni même que je n’existais pas l’instant précédent, mon apparition sur le trottoir de Ueno constituant le début formel de cette nouvelle vie. Avant : rien. Après : tout. Tout, c’est-à-dire le bruit de la circulation sur Chuo Dori, les enseignes au néon recouvrant une bonne partie des immeubles aux façades géométriques et claires, la musique du jingle de la gare JR 1 de Ueno qui réveillait dans ma mémoire des émotions depuis longtemps enfouies, sorte de madeleine de Proust sonore.
 
Dans mon rêve, j’étais avec ma valise Samsonite, debout sur le trottoir, à me demander si je devais prendre un taxi pour gagner mon hôtel ou s’il était préférable de marcher. En taxi, ce serait plus reposant, mais il faudrait expliquer au chauffeur la route à suivre jusqu’au Sakura Ryokan, en plein cœur du district de Taito-ku voisin. Pas si simple, et les chauffeurs de taxi à Tokyo ont toujours du mal à trouver les adresses qui n’indiquent pas la présence d’un lieu public, d’un parc, d’un musée, d’un monument connu. Parcourir le trajet à pied me détendrait mais supposait de gravir la colline de Ueno puis de traverser le parc éponyme pour redescendre ensuite de l’autre côté, vers Kototoi Dori et l’arrondissement d’Asakusa.
 
C’était loin d’être un cauchemar, juste un doute qui m’étreignait, une question qui me taraudait la cervelle et que je ne parvenais pas à trancher. La plupart de mes amis considèrent probablement que je suis un homme de décisions, et même de décisions rapides, nettes, définitives, le plus souvent efficaces. Dans mon rêve, rien de cela ne persistait. J’étais un autre, et cet autre ne parvenait pas à se décider malgré la simplicité et la banalité du problème à résoudre. Le réveil mettait en général fin à mes interrogations métaphysiques.
 
Mais aujourd’hui, il n’en est pas question. Je viens de remettre les pieds pour la première fois à Tokyo depuis de longs mois. Je ne saurais même plus dire combien de temps… Trop longtemps en tout cas. Plus qu’une naturelle tolérance peut rendre acceptable. Je n’aurais jamais dû m’éloigner de Tokyo. C’est là qu’est ma vie, après tout. Là qu’elle était en tout cas, avant les événements.
 
Ma décision est vite prise. Après toutes ces heures de vol depuis Lyon, cinq heures d’attente à l’aéroport de Francfort, des films avalés à la suite, deux romans dévorés entre la Sibérie et la Mer de Chine, je ressens un besoin de mouvement qui ne me laisse pas l’ombre d’une hésitation. Oui, je vais terminer à pied mon voyage pour Tokyo.
 
Le quartier de Ueno est typiquement ce que l’on appelle le shitamashi de Tokyo, autrement dit le quartier populaire. Aujourd’hui, il s’articule autour du parc et de la gare. Le parc a été ouvert en 1973, mais offert en 1924 par l’empereur Taisho à la municipalité de Tokyo, d’où son nom de Ueno-Onshi Koen, ou « parc de Ueno, cadeau impérial ». Il abrite plusieurs musées, parmi les principaux du Japon, des temples et sanctuaires, un zoo, et surtout de très nombreux cerisiers sous lesquels les Tokyoïtes viennent, au moment de la floraison, boire, rire, manger et chanter lors du traditionnel hanami .
 
La gare de Ueno est l’un des principaux nœuds ferroviaires. C’est notamment là que se trouve le terminus du Skyliner arrivant de l’aéroport de Narita. Au pied de la gare se déploient les rues piétonnes d’Ameyoko, bazar à ciel ouvert né de la pratique du marché noir par les soldats américains après la Seconde Guerre mondiale, et où l’on trouve aussi bien des produits alimentaires que des T-shirts à prix bradés.
 
Je gravis deux à deux les escaliers qui mènent à l’entrée du parc au-dessus de la gare. Quel plaisir de retrouver les grandes allées paisibles de Ueno Park bordées de cerisiers majestueux. Sur ma gauche, en contrebas, l’étang de Shinobazu est couvert de fleurs de lotus. Sur sa presqu’île centrale, le petit temple semble relié en direct avec le ciel par la fumée d’encens très dense qui monte au-dessus de ses toits. Mais le ciel est vide et le Bouddha lui-même ne s’est jamais posé la question vaine d’une hypothétique présence divine, que je sache. L’homme a bien trop de soucis à gérer sur terre pour ne pas s’encombrer l’esprit de préoccupations oiseuses.
 
Je passe successivement le temple Kan Eiji et le temple Kiyomizu, le sanctuaire Gojoten, le sanctuaire Yushima Tenjin, le zoo de Ueno et le sanctuaire Toshogu pour me retrouver à la sortie nord du parc, du côté des musées : musée national des Sciences, musée national d’Art occidental, musée national de Tokyo. Je redescends en passant devant la gare d’Uguisudani, suis la passerelle métallique qui surplombe les voies ferrées et dégringole rapidement les escaliers qui me mènent jusqu’à l’avenue Kototoi Dori. Là, je retrouve mes repères : le café Doutor au carrefour d’Iriya, le café Colorado plus loin sur l’avenue et le salon de coiffure Nice Marna où officie toujours, je suppose, mon jeune ami Hirotsuke.
 
Je suis envahi par le sentiment de me retrouver chez moi. Les odeurs caractéristiques qui émanent des petits restaurants de ramen 2 , les bruits des p achinko 3 , la lenteur de la démarche des Japonais et leur flegme en toutes circonstances, tous ces petits riens et quelques autres, qu’il serait inutile et vain de vouloir citer tous, contribuent à réactualiser au fond de moi un ensemble de sensations déjà enregistrées et les émotions qui leur sont liées. Je suis bel et bien au Japon. Ce n’est plus un rêve. À moins que Virginia Woolf n’ait eu raison : « La vie est un rêve. C’est le réveil qui nous tue. »
 
À la hauteur du salon Nice Marna, je quitte Kototoi Dori pour prendre une ruelle qui part en biais. Comme la grande majorité des rues de Tokyo, elle n’a pas de nom. Pour les adresses, à Tokyo, on se situe par cercles concentriques : arrondissement, district, pâté de maison. On finit par s’y retrouver, comme dans la jungle, non pas grâce à un arbre caractéristique mais en fonction d’un immeuble ou d’un monument spécifique.
 
Le Sakura Ryokan est un étroit bâtiment de cinq étages coincé entre deux immeubles un peu plus hauts que lui. Un étroit escalier extérieur permet d’accéder au premier étage, le niveau deux, où se situe la réception. On quitte ses chaussures sur le balcon pour enfiler dans le hall une paire de chaussons marron ou verts, selon son goût. Quand il me voit débarquer, M. Suzuki père, le fondateur de l’établissement, est animé d’un grand éclat de rire. C’est sa manière à lui de me reconnaître à chacune de mes visites à Tokyo. Il est assis dans la salle à manger, juste en face de la réception, à regarder la télévision. Son fils, qui a surgi comme par enchantement derrière la banque de l’accueil, me donne une fiche à remplir : « Seulement le nom, insiste-t-il, seulement le nom. » Je m’exécute et il me donne la clef de la chambre 402, qui est prête, malgré l’heure matinale. Il n’est en effet que 10 h 30.
 
Je m’allonge quelques instants sur le futon de ma chambre japonaise pour souffler après ce long voyage. Enfin à Tokyo ! Il m’avait semblé que je n’y arriverais jamais, que mes obligations professionnelles ne me permettraient plus jamais de m’échapper pour quelques semaines dans la mégapole de la courtoisie et de l’harmonie.
 
Une douche et quelques notes rédigées plus tard, je ressors dans les rues de Taito-ku écrasées de chaleur moite. Presque personne dehors : à la flânerie de plein air, on préfère se terrer dans les galeries marchandes en sous-sol, les grands magasins ou au pire l’habitacle de sa voiture individuelle. On dira ce qu’on veut, la climatisation, dans l’été tokyoïte, est une question de survie.
 
En marchant dans Kototoi Dori en direction du carrefour d’Iriya, pour y prendre le métro dans la station éponyme, je tombe nez à nez avec Hirotsuke, mon jeune ami coiffeur. Ce n’est pas inattendu : le salon où il travaille, Nice Marna, est à quelques mètres, et le hasard, qui n’existe peut-être pas, nous a déjà réunis à plusieurs reprises, y compris à l’autre bout de Tokyo, dans une boîte de Shibuya ou sur un trottoir de Shinjuku Ni-Chôme. Hirotsuke est un garçon de vingt-cinq ans environ, originaire de Shizuoka, sur la péninsule d’Izu si chère à Kawabata Yasunari. D’allure androgyne, avec son extrême minceur, ce coiffeur et mannequin à ses heures – comme en attestent ses dents d’une blancheur hors du commun et son sourire permanent qui pourrait à tort le faire passer pour superficiel –, m’a accompagné dans ma chambre il y a cinq ou six ans, après ma première visite chez Nice Marna, pour prolonger la séance de massage qu’il venait de m’octroyer bénévolement à l’issue de ma coupe de cheveux. Il n’en est reparti que le lendemain, ce qui – on l’admettra – constitue un facteur créateur de liens. Je prends la main qu’il me tend dans la mienne et la serre longuement et chaleureusement, chose rare dans un pays où l’on garde ses distances physiques

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents