Toutes les neiges ne sont pas éternelles
406 pages
Français

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Toutes les neiges ne sont pas éternelles , livre ebook

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Description

Chaliers, petit village de Haute-Auvergne en 1949. Les tourments de la guerre sont encore vivaces et lorsqu'un valet de ferme tue son employeur, les vieilles rancœurs ne tardent pas à se raviver. La victime était résistant et père d'un héros des combats violents dont le pays a été le théâtre. Mais qui a pu ainsi laisser le meurtrier s'illusionner sur ses chances de séduire la fille de sa victime ? Une fille qui s'apprête à quitter le pays pour des horizons lointains. La petite communauté villageoise réagit à ce crime en fonction de sa sensibilité mais aussi de ses intérêts, de son passé et des rivalités qui ont opposé les uns et les autres.

Un jeune juge d'instruction est en charge de l'enquête judiciaire. Lui-même dissimule secrètement une part d'ombre qu'il voudrait exorciser. Que s'est-il donc passé dans ce village reculé du monde pendant les années noires ? Ceux qui ont payé de leur vie leur engagement méritent-ils tous les honneurs ou l'opprobre dont ils sont l'objet ? Une vérité que le jeune magistrat devra s'efforcer de mettre à jour tout en amorçant parallèlement la guérison de ses propres blessures...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 novembre 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332818874
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-81885-0

© Edilivre, 2014
Dédicace


Benjamin, ce livre est pour toi, parce que tu es mon fils et parce que tu es toi-même.
Chapitre 1 Le crime d’Antonin
C’est le lundi vingt trois janvier mille neuf cent quarante neuf, aux alentours de dix huit heures, à la ferme de Jean Amarger à Chaliers, un petit village du Cantal qui tourne la tête en direction des montagnes de la Lozère toute proche, qu’Antonin Roudil massacra à la hache le propriétaire des lieux. Son crime, voilà au moins trois jours qu’il y pensait. La veille, il avait commencé à sentir tout autour de lui, l’haleine froide de la mort qui rôde et qui lui lançait des appels insistants. Le matin, il avait essayé de lutter en lui même contre cette submersion de visions morbides, toujours plus incandescentes et qui mettaient tout son corps sous tension comme s’il recevait un choc électrique. C’est à la mi-journée que tout s’était précipité et qu’arrivées à un point de non retour, ses pulsions destructrices avaient définitivement pris le dessus, emportant au passage toutes les digues que sa conscience d’homme fruste avait sommairement édifiées. Ce qui était sorti de lui à ce moment là était un fleuve de violence sous pression qui jaillissait de lui en cataracte comme après l’ouverture d’un barrage.
Le maître ne s’était douté de rien. Ces jours-ci, c’est sa fille Francine qui occupait toutes ses pensées. Depuis le départ de celle-ci pour Orléans, il prenait un soin méticuleux à reproduire les petites manies de sa benjamine comme si ses gestes inlassablement imités devaient finir par ressusciter charnellement sa présence. Une boite à sucre disposée à demeure sur la table, un parfum entêtant qui flottait toujours près du cantou et qu’on ne respirait que dans le cou des bigotes à l’heure des vêpres, quelques épingles à cheveux éparpillées sur le buffet, jouaient au jeu des fausses apparences et criaient le nom de l’absente. Sans elle la maison devenait un immense reliquaire où chacun devait compter ses pas pour ne pas effaroucher le souvenir de celle à qui il était dédié.
Voir ce grand corps en lutte contre lui-même, aux prises avec ce mal invisible qui le mettait au supplice avait inquiété Agathe. En domestique consciencieuse, elle avait recommandé au maître, sur un ton grave, surprenant chez elle, de faire bien attention, de ne pas brusquer son valet de ferme dont elle s’inquiétait ces derniers jours de l’humeur ombrageuse qui n’augurait rien de bon. Surtout que la veille, Antonin s’était entaillé l’avant bras avec la lame d’une faux corrodée par la rouille. Elle l’avait suivi au sang épandu sur le sol comme une bête noire à la rembuche. Elle l’avait surpris en train de nettoyer sa plaie sous l’eau du robinet. Il pleurait, le pauvre Antonin. Ses yeux accouchaient de grosses larmes pareilles à des perles de rosée, et on aurait dit que ce chagrin puéril évacuait ainsi de cette masse de chair compacte tous ses composants liquides.
Elle le lui avait dit, mais Jean Amarger avait l’esprit ailleurs. Il avait aussitôt dédramatisé l’incident en l’assurant que lui-même avait été plus de fois blessé en réparant et nettoyant les instruments aratoires que sous les bombardements de Verdun. Elle avait insisté, mais quand il la regardait, c’était pour qu’elle voie dans ses yeux les reproches qu’il s’économisait en paroles. Toujours la même litanie de griefs égrenés à longueur de journée comme un chapelet. Si elle s’était occupée un peu mieux de son promis comme c’était convenu au lieu d’aller voir ailleurs un homme dont le destin matrimonial était déjà scellé, Antonin ne se serait pas mutilé, au cas jugé improbable où sa maladresse ne puisse être mise en cause. Elle n’avait rien à répliquer à ça, d’autant que le maître en imposait. Par sa stature, par sa position sociale, par l’emprise naturelle qu’il avait sur les choses et sur les êtres. Un peu à l’image de cette maison où tout semblait agencé à sa dimension, où l’emprise qu’il exerçait sur les objets semblait naître d’une connivence secrète entre eux et sa physionomie massive, plantée là comme un axe autour duquel toute chose était en révolution. Cette pièce en particulier, avec son mobilier en chêne grossièrement ouvragé, disposé dans la tradition, mais qui portait l’empreinte de ces gestes d’appui où la main fatiguée cherche le réconfort du bois et y laisse, inconsciemment peut être, une bénédiction. Dans le silence de sa dévotion domestique, elle le désignait incontestablement comme le maître.
Jean Amarger avait entrepris alors de rouler une cigarette avec du tabac fort dont un journalier de Ruynes, expert en contrebande, lui faisait profiter. Une fois parvenue à sa forme consommable il l’avait approchée du chaleil, où brûlait l’huile de chènevis qui donnait la chasse à l’odeur de suie qu’exhalait le cantou. Il avait tiré une bouffée avant de se retourner vers Agathe et l’interroger sur ce qui, au fond, était le seul objet de ses préoccupations.
– Il pourra quand même s’occuper des veaux, demain ?
Il était prévu que les jeunes bovins, nés un mois plus tôt, soient rapidement livrés à un maquignon de Haute Loire qui s’était arrogé un monopole sur les ventes de veaux et de broutards à cause d’un camion Berliet, récupéré Dieu sait où, aménagé en bétaillère et par lequel il fournissait les abattoirs de Lyon et même de Paris. Pas question donc de laisser les bêtes sans soin, avec le risque qu’elles ne se mettent au fourrage, entraînant le rosissement de leur chair encore tendre, et pourquoi pas, provoquer une météorisation.
– Ça ira, je m’en suis occupée.
C’était les paroles qu’il attendait. Il pouvait fumer tranquillement, sans se soucier davantage du sort de son ouvrier. Il s’était assis comme à son habitude sur le coffre à sel plaqué contre la pierre réfractaire du cantou. Une attitude d’apaisement. Là il avait allongé ses pieds déchaussés devant les quelques braises rougeoyantes qui conversaient entre elles avec de petits craquements. Le monde était ailleurs, loin de sa retraite champêtre. Les soucis, les inquiétudes, les désagréments faisaient une trêve. Il pouvait fumer tranquille.
Tout allait bien, parce que pour ce qui était de soigner, il pouvait faire confiance à Agathe. Elle tenait de quelqu’un de sa lignée le savoir de guérir par les plantes, et par quelques autres mystérieux artifices que la tradition impute généralement à un commerce avec le diable. Au village de Saint Poncy, sur la route de Massiac en direction du nord, où elle était née et avait vécu jusqu’au terme d’une maternité assumée pendant quelques jours seulement, personne n’avait été mécontent de la voir partir sans se soucier de sa destination. D’autant qu’on tenait à préserver la paix des ménages, que quelques adultères où elle était mêlée, avaient un temps compromis.
Antonin avait soulevé sa victime et l’avait prise dans ses bras comme un marié emporte son épouse le jour de leurs noces. Pour lui ça ne pesait pas plus lourd qu’une botte de paille. Il avait l’habitude de porter à l’épaule des sacs de blé d’un quintal et plus, sans jamais montrer la douleur que lui infligeait la charge, sans fléchir l’épaule ni même pousser un râle d’effort. Par des gestes précautionneux, il avait transporté le corps sur le lit de la chambre à l’étage. Bientôt, la couverture en dentelle du Puy, tout en motifs minutieusement découpés comme des myriades d’écume laissées par le ressac, allait être poissée de sang. Il s’était pourtant appliqué à disposer le corps longiligne et puissant de son maître de manière à le soustraire à la posture humiliante que donne la mort quand elle entreprend son œuvre de dépérissement des chairs. Il avait poussé le scrupule jusqu’à bien ajuster la tête sur les oreillers de plume de crainte qu’elle se désolidarise du cou, juste à l’endroit où il avait frappé avec la force qu’il aurait mise pour assommer un bœuf d’Aubrac.
Calmement il avait nettoyé la cognée meurtrière dans l’évier de la cuisine, là où la veille il avait nettoyé sa plaie. Un évier en émail, pas en pierre basaltique comme dans toutes les fermes du pays. Un matériau qui le rebutait, trop lisse au toucher, à la blancheur trop luisante, et symbole d’une modernité à laquelle il estimait que sa condition ne lui donnerait jamais accès. Le sang, sous l’impulsion du jet d’eau froide, se diluait en déployant sur l’émail une corolle vénéneuse qui finissait par être emportée en un tourbillon maléfique. La bonde devenait ainsi la bouche édentée d’un démon des profondeurs. Et ce démon prenait et digérait tout depuis que la souillarde, qui emportait résidus et immondices dans la soue aux cochons, avait été supprimée. On ne faisait d’ailleurs plus de cochon chez les Amarger, rien que du bovin dur, de muscle et de caractère, en réplique à l’image de ce pays indocile et ingrat, un peu à l’image du propriétaire aussi.
L’eau s’écoulait lentement du robinet de fonte à cause de la glace qui devait encore prendre en bonne part l’épaisseur de la réserve de la cuve et de la tuyauterie. Il gratta la masse métallique avec ses doigts calleux prolongés d’ongles noirs pour enlever le sang coagulé qui s’y accrochait en filaments rougeâtres comme de la végétation moussue au fond d’une rivière. Il avait alors l’impression d’effleurer le corps de son maître alors que de son vivant il n’avait jamais transgressé la limite d’une poignée de main. La mort les ramenait ainsi au rang d’une égale condition. Il replaça l’outil aux crochets de la solive qui traversait le plafond de la cuisine en une longue colonne vertébrale. Puis il donna un coup de serpillière sur le carreau devant le cantou là où s’était produit le geste criminel. P

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