Vert comme l’enfer
121 pages
Français

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Description

Années 1980. Désirant oublier une trahison douloureuse, Alice part à l’aventure au cœur de la jungle amazonienne. Trente ans plus tard, à Québec, Flora tente de découvrir la vérité sur ses origines. Quelles eaux troubles relient les deux femmes?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 septembre 2022
Nombre de lectures 4
EAN13 9782764447673
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

De la même autrice
Fille de fer , Québec Amérique, 2019 ; nouvelle édition, Éditions Le mot et le reste, 2022.
Sault-au-Galant , Québec Amérique, 2014.



Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice

Conception graphique et mise en pages : Audrey Guardia
Révision linguistique : Sabrina Raymond
En couverture : Montage réalisé à partir des œuvres de Aleksandar Mijatovic / shutterstock.com, berry2046 / shutterstock.com et yulianas / shutterstock.com
Conversion en ePub : Fedoua El Koudri

Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.


Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Titre : Vert comme l’enfer / Isabelle Grégoire.
Noms : Grégoire, Isabelle, auteur.
Collections : Collection Littérature d’Amérique.
Description : Mention de collection : Littérature d’Amérique
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20220015864 | Canadiana (livre numérique) 20220015872 | ISBN 9782764447659 | ISBN 9782764447666 (PDF) | ISBN 9782764447673 (EPUB)
Classification : LCC PS8613.R44525 V47 2022 | CDD C843/.6—dc23

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2022

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2022.
quebec-amerique.com



Pour Francis, Julien et Malika


La jungle est l’ennemi loyal et sûr, qui frappe en face, qui prend à bras-le-corps. L’adversaire hideux et bête, qui torture et qui fuit, le plus redoutable ennemi dans la jungle c’est l’homme …
Blaise Cendras, Rhum : L’Aventure de Jean Galmot


1
La jungle rugit
Guyane française, années 1980
Tendue dans son hamac humide, Alice ne cherche plus à s’endormir. La nuit est encore là, pourtant, ténébreuse et tentante. Mais la jungle s’en fout : noirceur ou pas, elle rugit tout ce qu’elle a à rugir. Les bêtes s’appellent et se répondent dans un tintamarre de tous les diables. Leurs cris se faufilent dans l’air moite, se répercutent de liane en liane jusque dans les tympans d’Alice. Depuis trois jours qu’elle crapahute en Guyane, elle commence à en discerner certains. Le coassement du crapaud-buffle. Les lamentations du singe hurleur. Le sifflement du paypayo… Des bestioles dont elle ignorait tout avant d’atterrir ici.
Un nouveau bruit écorche soudain ce concert nocturne. Agacée, Alice n’a aucun mal à le reconnaître, celui-là. Même pas la peine d’ouvrir les yeux. Philippe et ses maudits ronflements, aussi sonores en forêt amazonienne que dans leur appartement de Québec. À leurs débuts, elle trouvait ça attendrissant, elle flattait sa joue râpeuse, il levait une paupière, s’excusait, l’embrassait et ils finissaient par faire l’amour. Mais nulle tendresse n’amollit son cœur cette nuit. Franchement, il s’attendait à quoi, en venant jusqu’ici ? Elle n’aurait jamais dû lui dire où elle partait. À croire qu’elle espérait qu’il la suive.
Elle se redresse pour prendre son walkman, qui doit être à ses pieds. Bernard Lavilliers la bercera. Alice écoute en boucle la cassette d’ O gringo depuis qu’elle a quitté Québec, elle connaît Sertão par cœur. Les pales du ventilateur coupent tranche à tranche l’air épais comme du manioc. […] Y’a guère que les moustiques pour m’aimer de la sorte. Leurs baisers sanglants m’empêchent de dormir. Mais son walkman est mort, les piles sont à terre. Philippe doit en avoir apporté une provision mais pas question de lui demander quoi que ce soit.
Alice extrait ses jambes du hamac, qui grince au moindre mouvement. Rien pour réveiller l’homme qui dort à côté – son homme , comme elle l’appelait encore il n’y a pas si longtemps. Allongé sur le dos dans son filet de toile, éclairé par un maigre rayon de lune, il semble sourd à tout ce qui l’entoure, inconscient de l’effet qu’il produit sur elle. Alice scrute le front brûlé de soleil, la mèche blonde collée à sa joue, la salive qui fuite de sa bouche entrouverte… Six ans de sa vie – six ans ! – avec lui. Six ans de faussetés, de tricheries, de mensonges. Et il ose s’amener ici, comme si elle pouvait tout oublier. Elle n’a qu’une envie : décamper.
Le fleuve Maroni n’est qu’à quelques mètres, une petite saucette lui ferait du bien. Alice n’a jamais eu froid aux yeux, l’inconnu l’attire plus qu’elle ne le craint. Elle retire l’élastique qu’elle a gardé au poignet et y entortille ses cheveux, éclair roux dans la pénombre. Elle attrape ses espadrilles et les frappe l’une contre l’autre : un squatteur non identifié en profite pour s’échapper à toutes pattes. Enfin, « squatteur » n’est pas le bon mot. Dès l’arrivée de son groupe de voyageurs en forêt, Fred Barbieux, le guide, leur a conseillé d’inverser leur façon de penser. « Les intrus, ici, c’est pas les insectes, c’est pas les animaux : c’est vous. Vous êtes sur leur territoire. N’oubliez jamais que c’est vous, qui dérangez. Pas le contraire. »
Quelque chose, chez ce baroudeur originaire du nord de la France, a tout de suite déplu à Alice – sa suffisance de « maudit Français » qui s’ignore, sans doute. Un phénomène qu’elle connaît bien, son propre père étant Français, de la même région qui plus est. Mais elle doit admettre que ce grand brun n’est pas désagréable à regarder avec sa peau tannée, ses traits à la fois doux et virils et ses yeux vairons – un gris clair, un brun foncé – assez troublants, merci.
Une dizaine d’autres hamacs sont accrochés sous le carbet, comme les gens d’ici appellent cet abri de bois sans murs. Ils sont occupés par les voyageurs, de purs inconnus il y a quelques jours à peine, dont Alice partage désormais l’intimité, les odeurs et les humeurs. Une petite troupe hétéroclite de touristes français et québécois en quête d’aventure « hors des sentiers battus », dans cette Guyane « dotée d’une nature exubérante » et « encore vierge », vantait le catalogue du voyagiste. Pour l’heure, dans la lumière blafarde, ces apprentis Indiana Jones ressemblent à de gros cocons, bercés par des mains invisibles.
À petits pas, Alice se glisse entre eux, soucieuse de n’éveiller personne. Mais tous roupillent aussi dur que Philippe. Comme s’ils en avaient pris pour cent ans, sous le charme d’une mauvaise fée, et qu’elle était la seule à entendre les bêtes qui continuent de s’époumoner. Il faudra raconter ça à ses élèves, une nouvelle version de l’histoire qu’elle appellera La belle au bois hurlant . Plutôt qu’au fuseau d’un rouet, la princesse se piquera le doigt à l’épine d’une fleur vénéneuse. Piégée dans son palais par une végétation devenue folle, elle s’en sauvera non pas grâce au baiser mouillé d’un prince surgi de nulle part mais par son esprit toujours en éveil, affûté comme une serpe.
En attendant, l’esprit de ladite belle au bois hurlant semble aussi vaseux que le sentier où elle s’est engagée en sortant du carbet. Alice ne reconnaît rien. Elle est pourtant passée tout près d’ici, hier matin, avec le groupe, quand ils ont débarqué de leurs pirogues. La lune chétive ne lui est d’aucun secours : le village autochtone wayana qui les accueille s’est fondu dans la pénombre. Et le groupe électrogène est au point mort à cette heure de la nuit.
Alice avance à tâtons sur ce chemin qui mène au fleuve. Philippe lui a prêté un t-shirt pour dormir, car les siens, lavés dans le Maroni en début d’après-midi puis étendus sur une roche, ont refusé de sécher. Elle s’empêtre dans ce vêtement trop grand, qui dégage une déplaisante odeur de transpiration. Dire qu’avant, ce parfum pouvait l’étourdir de désir. Elle manque de glisser sur un tapis de feuilles gluant, se retient à un arbre au tronc mou qui poisse sa main. Mousse barbue, champignons baveux ou pourriture spongieuse ? Elle ne cherche pas à savoir.
À cet instant précis, la jungle se tait. Alice retient son souffle, l’oreille tendue sur ce silence brutal. A-t-elle dérangé quelque chose ? L’envie est forte de rebrousser chemin et de se terrer dans son hamac. Elle regrette de ne pas avoir pris son canif, laissé dans son sac. Mais les clapotis moelleux du fleuve et l’entrechoc des pirogues, maintenant audibles, l’appellent. Dans sa poitrine, la magie du lieu l’emporte sur son appréhension. Elle poursuit sa marche dans la terre noire et pâteuse, colonisée par des organismes lilliputiens dont elle croit entendre les couinements étouffés.
Des lucioles jaillissent d’un pied de fougères arborescentes ancré dans le sable. La plage apparaît dans un rayon vert. Sous les yeux d’Alice, le fleuve s’étire comme un serpent piqueté d’écailles lumineuses. Soudain, un mouvement agite la surface des eaux et une légère brise rafraîchit l’atmosphère. Alice voit alors une silhouette émerger du Maroni. Une jeune femme. Sa peau nue semble nacrée et son ventre rond est tendu comme un tambour. La présence d’Alice ne semble pas la gêner : elle lui sourit de toutes ses dents, étincelantes de blancheur. À deux mains, la nageuse essore sa longue chevelure noire puis, d’un geste gracieux malgré sa grossesse avancée, elle ramasse son pagne sur le sable et le noue au-dessus de sa taille.
— L’eau est douce, baigne-toi, moi je vais dormir, murmure-t-elle dans un français traînant, avant de se diriger vers le village.
Tout danger oublié, Alice ôte son t-shirt, le suspend à une branche, puis retire ses espadrilles, dont elle noue les lacets avant de les accrocher au même arbre. Elle hésite une seconde puis enlève aussi sa culotte. Entre ses orteils nus, la vase tiède boudine, grasse comme du c

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