Rue du Vide-Gousset
340 pages
Français

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Rue du Vide-Gousset , livre ebook

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Description

« Ce qui surprend Paul, en entrant au Moulin de la Vierge, c’est l’absolue immobilisme des âmes. Il y a pourtant du monde, comme une agglomération consensuelle de silences, de personnes, de gens, d'inconnus portés jusqu’à ici par un flot.
Au-dehors, le temps est épouvantable. Un vent tempétueux se fracasse contre les vitres du bistrot, l’eau hésite entre pluie et neige, l’humidité transperce jusqu’à la moelle, et certains clients se disent, désabusés, qu’avant peu, ils seront enrhumés.
Ce silence est singulier. Tant de personnes réunies dans un calme inquiétant, comme prêtes à subir un drame. Heureusement, le bruit des bocks interfère. À eux seuls, ils assurent un fond sonore qui rassure Paul, photographe. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 juillet 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414340187
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194 avenue du Président Wilson – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-34019-4

© Edilivre, 2019
1 Comment le photographe découvre son lieu de travail
Ce qui surprend Paul en entrant au Moulin de la Vierge , c’est l’absolue immobilité des âmes. Il y a pourtant du monde, comme une agglomération consensuelle de silences, de personnes, de gens, d’inconnus portés jusqu’à ici par un flot. “D’abord, dira-t-il plus tard à Armand, le policier, je perçus des dos. Oui, c’est bien cela, des dos. Des hommes attablés et recouverts de manteaux épais”.
Au-dehors, le temps est épouvantable, un vent tempétueux se fracasse contre les vitres du bistrot, l’eau hésite entre la pluie et la neige, l’humidité transperce jusqu’à la moelle, et certains clients se disent, désabusés, qu’avant peu ils seront enrhumés.
Ce silence est singulier. Tant de personnes réunies dans un calme inquiétant comme prêtes à subir un drame. Heureusement, le bruit des bocks interfère. A eux seuls ils assurent un fond sonore qui rassure Paul, photographe.
Paul, valise à la main, s’avance vers le comptoir. Celui-ci, en étain, est poinçonné. Atelier Nectoux Paris-Dax. Remarquablement entretenu. Pourtant à y regarder de plus près, il y a de micro rayures. Il a vécu. Dans ces rayures, Paul imagine des verres, des rires, des ouvriers, des femmes joyeuses, des colères et peut-être même des brèves de comptoir. C’est ainsi que Paul le voit.
L’objet, pense-t-il, a plus de mémoire qu’un homme, il garde avec pudeur le silence de ce qu’il a vu et entendu mais sa chair, sa matière, parfois cognée, dévoile des vies : “Je vois une femme blonde au corset rouge et noir, terriblement resserré sur la poitrine. Certes belle quoique peut-être un peu vulgaire. A son côté, un homme en guenilles, barbe noire comme le jais, couvre-chef, cane épée, concentré, le goutte-à-goutte de l’eau dilue un sucre posé sur une cuillère. Celle-ci est ajourée. L’eau s’écoule et touchant la liqueur verte, par éclats, dessine dans le verre de troublants nuages.” La femme d’un autre siècle s’approcherait de Paul, et lui taperait dans le dos. Leurs yeux s’écarquilleraient. Leurs bouches s’ouvriraient.
Paul est un rêveur. Il photographie les lieux comme un palimpseste d’histoires. Parfois pour s’amuser, il va chercher ici ou là des ombres du passé, peu importe qu’elles aient existé c’est ce qui est pratique avec le passé. Parfois aussi les ombres portent des souvenirs tenaces, elles le mettent face à ses hontes, le 1 er jour où il se présenta à un emploi de cariste chez Carrefour, les refus des maisons d’édition, les sourires de pitié des femmes qui l’ont éconduit, et à ce moment, souvent, la pulsation de son pouls se transfère en petits scintillements noirs sur sa cornée.
2 Comment le jeu réduit le hasard ?
Le bistrot du Vide-Gousset avait été monté naguère par l’actuel oncle d’Albertine, un brave homme qui avait préféré fuir le charbon du nord et se lancer dans l’aventure parisienne. Si le oncle avait maintenant disparu depuis un certain temps, Albertine tenait l’affaire avec rigueur.
Depuis quelque temps, le matin particulièrement, ce qui fonctionne au Moulin de la Vierge , c’est la loterie. Elle assure une file en continu. Les gains espérés sont mirobolants, à coup de dizaines de milliers d’euros, les gains réels, plus près des 2 €. L’espoir de bonheur se vend 2 €. Ticket en main, en place, les hommes se concentrent. Sur l’écran, des boules vertes puis rouges sont projetées et contaminent de leur couleur des numéros. Et puis rien. Le chrono indique le prochain tirage. Assez de temps pour une dernière partie. 2 €, c’est peu. Après tout, pour gagner il faut jouer. Cela passe le temps.
Les clients sont sages. Ils repartent à leur place, en se parlant à l’économie.
A une extrémité du comptoir, caché derrière un présentoir, l’homme au béret rouge, asiatique, encaisse les pièces et rend un reçu. Chen a quelque chose de comminatoire, à se demander s’il distingue les clients, si les visages ne se fondent pas en une masse incolore.
C’est souvent le lot de ceux qui ont trop vu et beaucoup souffert.
Un client s’approche, commande un banco, le gratte sur l’étain, “On ne gratte jamais sur un comptoir, dit son voisin, tu peux être sûr qu’il sera perdant”.
La lumière du néon s’écoule verte sur sa peau mal rasée.
La zone de travail de Chen est délimitée par une devanture en plastique, posée sur le comptoir, où sont rangés les jeux de grattage. Classés par couleurs, ils éprouvent le client, lui font miroiter des sommes confortables, une autre vie.
A l’abris de regards, Chen observe sa carte postale. Une carte usée, cornée sur les bords, les couleurs passées. On reconnaît tout de même la Tour Eiffel.
AHMED. –
Un café, chef !
Ahmed joue tous les matins, dix minutes. Ensuite, il part sur le chantier Bouygues de la Poste du Louvre. Il y supervise les travaux. Dans quelques mois, un nouveau palace verra le jour dans la Capitale, des dames, des messieurs, de belles voitures. Les ouvriers et contremaîtres leur laisseront la place. A ses côtés, Calixte, le marchand d’art de la Place des Vosges, boit son café. Ils sont souvent rejoints par Sidney, le gardien et jardinier de ce dernier.
Les trois hommes sirotent leur café. Ce sont les habitués du matin.
Albertine, la patronne, n’est pas encore rentrée. Elle charge sa fourgonnette à Rungis avec M. Traboulet de la boucherie rue Montorgueil. Elle n’est pas réellement obligée de se rendre à Rungis tous les matins, mais comme elle est seule, et insomniaque, elle aime partager ce moment avec son camarade boucher. De retour, elle passe saluer Miguel, le boulanger, il est environ 10 heures. Elle lui achète une dizaine de croissants. C’est son plaisir du matin, être celle qui apporte le parfum du croissant dans son bistrot.
Ahmed se réjouit de connaître un Calixte , marchand d’arts qui plus est. Ces deux particularités, son nom et son travail, le séduisent, lui qui fréquente sur les chantiers des hommes rudes, aux noms râpeux, aux accents forts.
Calixte joue peu. Il affirme que la chance est d’avoir un travail et qu’il crèverait d’une pneumonie que de rester en jogging devant la télévision. Son rêve, un voilier en Normandie. Les embruns, le vent. Voilà à quoi il pense pour s’endormir, le soir. Parfois, il fouille sur le Bon Coin . Il épluche les annonces. Et il s’endort. Sur son visage, l’écran de son Pc lui lance une lumière bleue qui bat, au rythme de son souffle. Le sommeil est nasal. Le menton repose sur les poils du torse. Au matin, il en garde les traces.
AHMED. –
Je joue toujours les mêmes numéros.
PAUL. –
La date de naissance de tes mômes ?
AHMED. – ( souriant )
Non, des numéros que je trouve optimistes !
Il faudrait se pencher sur l’histoire de chacun d’eux. Chercher l’ensemble des circonstances qui les a menés à se trouver ici. Par exemple Alix, un jeune homme brillant, élevé dans l’amour de ses deux parents – est-ce rare ? Et bien tel qu’il est devenu, il a l’œil pâle, comme les vieux, – le cercle blanc entoure la prunelle. De son index, il parcourt le périmètre du verre de cognac, pour accompagner son café. Le cercle le rassure. Il a bien besoin d’être rassuré. Car, entrons dans le vif du sujet. A dix-huit ans, il obtient un baccalauréat littéraire avec une mention très bien. dix ans plus tard, c’est une thèse en littérature comparée. Le jury lui octroie ses félicitations. Il épouse une jeune et jolie femme, vendeuse. Elle s’élève. Il s’élève. Ils s’installent à Mandelieu. Et puis… plus grand-chose. Ils s’emmerdent, s’engueulent, se séparent. Il occupe maintenant un poste de libraire à une librairie de quartier dans le onzième. Sa vie se résume à des allées et venues entre le Moulin de la Vierge et la librairie.
Et Ahmed ?
Ahmed c’est une autre histoire, plus compliquée.
3 Quand Albertine accueille le photographe
Paul s’approche avec embarras. Son veston est mal ajusté. Il se sent gauche. Il s’accroche à sa valise. Elle est lourde. Si la nécessité devait le pousser à partir, Paul prendrait strictement le contenu de la valise. Tout ce qu’elle contient pèse aux phalanges de sa main droite. Ces mêmes phalanges, sans gants, rougies par le froid.
La femme le dévisage.
L’hiver s’est insinué par les interstices et glace les hommes, les femmes, de ce café parisien. Au Moulin de la Vierge , sur la Place des Petits-Pères, juste en face de la très belle Eglise Notre-Dame des Victoires.
Les clients se réfugient, emmaillotés d’épais manteaux, recherchent à l’intérieur la chaleur qui les a fuis dehors. Ici, ça sent le café, le croissant aussi. Sur les coups de 10 heures, de retour de Rungis, Albertine, la patronne rêvasse.
Albertine est distante.
L’homme inspire peu confiance, sa dégaine est douteuse et son regard fuyant. Pourtant, Calixte le lui a recommandé. Calixte est un homme si charmant, un marchand d’art, alors quand il sollicita Albertine pour l’accueillir quelques nuits, elle annula les autres réservations. C’était peu à faire, il n’y a que trois chambres à l’étage.
ALBERTINE. – ( sèche )
Vous désirez ?
Paul se tétanise, une sensation qu’il connaît bien et comme à chaque fois, il aimerait être ailleurs. Souvent, il se sent mal à l’aise et ne parvient pas comme tant d’autres à faire illusion. Alors il toussote, et lui répond qu’un ami lui a réservé une chambre, pour un petit travail.
En mimant la vérification de sa carte de paiement, Albertine bougonne, Calixte a déjà tout réglé. Elle inscrit son nom dans le registre, le referme, et le range sous le comptoir. Il contient très peu de noms, l’hôtel accueille des gens de passage, sans publicité. Des habitants du quartier sont peut-être même ignorants de la présence d’un hôtel, place des Pe

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