Save and Continue
208 pages
Français

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Save and Continue , livre ebook

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Description

Qui n'a jamais rêvé de revenir en arrière pour corriger ses erreurs, comme lorsqu'on perd dans un jeu vidéo ?


Il suffirait de Sauvegarder chaque instant de sa vie, et de Charger un point fixe dans le passé pour recommencer.


Hélas, le système S&C connaît une défaillance, il altère la mémoire. Malgré certains dispositifs pour se souvenir de quelques événements à venir, rejouer une partie n'apporte pas toujours une entière satisfaction.


Mais si quelqu'un réussissait à se rappeler du futur qui l'attend... que se passerait-il ?


Et en a-t-il seulement le droit ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 juillet 2021
Nombre de lectures 33
EAN13 9782819101857
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

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Save and continue

 

 

 

 

 

Du même auteur aux Editions Sharon Kena

 

 

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« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). « Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. »

 

 

© 2017 Les Editions Sharon Kena

www.leseditionssharonkena.com

 

 

 

« Les gens pensent que le temps est une simple progression de cause à effet. Mais, en vérité, d’un point de vue non-linéaire, d’un point de vue non subjectif, c’est plutôt une sorte d’énorme boule où le temps s’enchevêtre comme un méli-mélo très complexe. » – Le Docteur, « Les anges pleureurs », Saison 3 de Doctor Who ?

Nous courons tous après le temps, car nous n’en avons que très peu en réalité. Dès notre naissance, un compte à rebours se lance. Le voyage temporel m’a toujours fascinée, et bien plus encore l’opportunité de pouvoir changer notre propre passé. Il était normal qu’un jour j’écrive quelque chose en rapport avec les paradoxes. Ainsi, ce roman est destiné aux fans de science-fiction, aux passionnés temporels, aux curieux, aux idéalistes, aux adeptes du Carpe Diem et du YOLO.

Chaque minute compte, et chaque minute gâchée est perdue à jamais.

 

 

 

Table des matières

Partie 1 : Morgan Nery

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Partie 2 : Ripley Taggle

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Partie 3 : Morgan Nery

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Partie 4 : Ripley Taggle

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

 

Partie 1 : Morgan Nery

Il faut savoir se perdre pour un temps si l’on veut apprendre quelque chose des êtres que nous ne sommes pas nous-mêmes.

– Friedrich Nietzsche

Chapitre 1

Je n’ai jamais considéré la vie comme un jeu de rôle massivement multi-joueurs. Je fais partie de la mince poignée à encore m’amuser à ce type de divertissement, mais sur un ordinateur et non dans le monde réel. Quoiqu’il n’y a rien d’attrayant à côtoyer des badauds ayant perdu toute leur humanité et qui, par conséquent, ont plus d’attributs communs avec une IA numérique qu’avec une véritable personne. C’est à se demander parfois s’il existe une différence entre la naissance et insérer un disque dans une console. À qui la faute ? Car il faut bien qu’il y ait un coupable à mon constat navrant qui n’est pas de l’avis du citoyen lambda. Qu’Émile Zola m’excuse de m’approprier sa citation, mais : J’accuse… Wilhelm Blical. Le fondateur disparu de la firme perchée dans l’immense bâtiment qui se dresse sous mes yeux, et devant lequel je passe chaque jour pour me rendre au lycée sans y prêter la moindre attention. Un édifice phénoménal qui mesure, à vue de nez, deux ou trois stades de rugby mis bout à bout qu’on aurait alignés verticalement. Environ. Je n’ai jamais eu le compas dans l’œil pour affirmer un tel calcul. Tout ce dont je suis certain, c’est que je n’aimerais pas travailler comme laveur de vitres pour la grande tour de la Reset Corporation, là où tout a commencé. Là où tout a changé…

Une sonnerie binaire émise par ma montre à cabochon me sort de mes rêveries amères. Aujourd’hui, je suis à nouveau en retard, le proviseur va sans doute me tomber dessus à bras raccourcis. Je remonte la capuche de mon sweat sur mon front et cours jusqu’à mon établissement scolaire. Je frôle les murs du grand hall ovale pour rejoindre l’escalier B menant à ma salle de cours de philosophie. Les élèves de ma classe sont encore tassés en rang d’oignons devant l’entrée. Je ne suis pas aussi à la bourre que je l’ai estimé. Tant mieux ! Ça évitera une crise de nerfs à mes parents en lisant mon carnet de correspondance blindé de commentaires désobligeants sur mon manque d’assiduité et mon problème récurrent avec la ponctualité. Ce n’est pas comme si je connaissais déjà le programme de terminale, puisque je suis en train de redoubler suite à mon échec au bac l’année dernière. Je balaie le couloir du regard, à la recherche d’une personne en particulier : Samantha. La petite nouvelle, qui est arrivée il y a trois semaines, à la silhouette en forme d’amphore romaine et au visage pâle de sylphide. Avec sa prestance, son port altier, sa longue chevelure dorée qui retombe sur sa chute de reins aussi bombée qu’un dos d’âne routier, il n’y a pas à tortiller ; elle possède tous les atouts pour que mon pantalon me paraisse trop étroit. J’arrange mon allure, passe une main brouillonne dans mes cheveux châtains en prenant place dans la file d’attente. Un à un, mes camarades s’arrêtent devant le lecteur rétinien de la borne afin de Sauvegarder. Il s’agit d’une des rares écoles – car elle se trouve dans le quartier du siège de la Reset Corporation – où l’on peut Sauver ce qu’on a vécu avant de s’installer à notre bureau. C’est très utile, parait-il, pour retenir ses leçons. Ce lycée détient un pourcentage de réussite de quatre-vingt-dix-neuf virgule quatre-vingt-dix-neuf. En effet, je suis le zéro virgule zéro un qui obscurcit le prestige de cette institution, mais très sincèrement, je m’en tamponne le coquillard. L’ombre de mon bulletin trimestriel peut bien s’étaler sur le renom éclatant de ce bahut, c’est le cadet de mes soucis. De toute façon, le directeur peut m’envoyer en retenue indéfiniment, mais il n’a pas la possibilité de me virer ; mon père est l’un des principaux donateurs. Pour une fois que l’usage outrancier du pognon sert à quelque chose d’intelligent. Même si mes parents n’approuvent pas l’utilisation des Points de Sauvegarde en milieu scolaire, ils tiennent à ce que leur fils unique ait la meilleure éducation qui soit. Concept que j’éparpille en cendres à cause de mon attitude de fumiste. Je ne suis pas fait pour les études, mais je me promets une grande carrière dans la glandouille.

Je lorgne le galbe du fessier de Samantha avant qu’elle pénètre dans la classe. Il ne reste que deux gars devant moi en train de scanner la mémoire résiduelle présente dans leur lentille Check-Point qui enregistre continuellement leur existence. Ce qui me rappelle que je n’ai pas mis la mienne ce matin, un réflexe qui ne fait pas partie de mon quotidien, à l’inverse du monde entier. Précipitamment, je soulève le couvercle de ma montre et pince la fine capsule légèrement bleutée qui va se connecter à mon cerveau via le nerf optique. Je cligne de l’œil droit tandis que la puce miniature pille déjà mes véritables souvenirs au grand complet, et pire que tout, mon implication dans mon espace-temps. Aussitôt, une migraine s’insinue au point que je sens mes tempes gonfler sous mes doigts qui les massent. Je supporte mal cet implant amovible, ma famille, d’ailleurs, s’est toujours montrée conciliante à ce sujet et ne me force jamais à le porter. Ils sont même plutôt contre cette habitude. Il faut croire que mon corps en personne refuse que je m’intègre et que je me fonde dans le moule. J’ai dû naître avec un gène rebelle, hérédité de mes parents si influents et pourtant si réfractaires à la vie régie par la Reset Corporation sur la totalité du globe. Mais depuis plusieurs générations, les hommes se sont pris au jeu malsain de la Sauvegarde. Je suis de l’avis de ma famille. L’existence n’est pas un divertissement où l’on peut avoir la lâcheté de ne pas assumer ses actes et d’obtenir une seconde chance continuellement. C’est d’autant plus vrai si on n’a pas l’argent pour se rappeler de l’erreur commise dans le passé qu’on a désiré réinitialiser. Voilà à quoi la populace en est réduite. Le grand Wilhelm Blical a offert la capacité de titiller nos propres lignes temporelles pour recommencer là où nous jugeons avoir échoué. Toutefois, la défaite n’est-elle pas un aléa relativement normal pour chaque être vivant ? Comment peut-on apprendre de nos boulettes si on revient dans notre passé dès la moindre embûche ? Peut-on seulement évoluer ?

Je m’assois à ma table, celle collée au fond, près de la fenêtre et du radiateur. Un vrai cliché du cancre ! Puis, je jette mon sac à dos sur le siège libre d’à côté. Ces questions harassantes ne cessent de s’entrechoquer dans mon esprit. Hélas, bien que je me trouve dans le cours approprié pour émettre des doutes sur le programme de la Reset Corporation, jamais mon professeur de philo ne se lancera dans un tel débat. Même s’il le faisait et qu’il Charge antérieurement à cette discussion, celle-ci sera stérile, car l’oubli l’avalera à l’instant où il recommencera la partie. Les gens chutent souvent dans cet engrenage ; charger une Sauvegarde particulière affecte la mémoire. Il parait logique qu’en revenant dans le passé on ignore son futur. Ils peuvent alors rejouer leur fiasco indéfiniment sans se rendre compte qu’ils tournent en rond, sans avancer plus loin dans leur vie, alors que les heures continuent de filer pour les autres. L’unique moyen de contrer ce cycle affligeant, c’est d’allonger la monnaie. L’individu qui Charge pour revenir à un moment précis recevra alors un indice ou une lettre venant de sa propre main sur les évènements à éviter.

Théophraste Renaudot dit : la plus coûteuse des dépenses, c’est la perte de temps. De nos jours, moduler notre espace-temps est un commerce florissant. Les deux tiers du PIB des Nations Associées, qui rallient tous les pays de la planète sous la régence d’un seul état – à savoir la France – sont générés par l’utilisation du système S & C et des multiples services sous-jacents. Du jamais vu dans l’histoire avec un grand H. Ce gouvernement d’hypocrites qui assermentent les populaces de pouvoir prendre part démocratiquement à la gérance de leur contrée n’est qu’un assemblage de bourses pleines à craquer. Un simulacre sénatorial de grands directeurs de la Reset Corporation et d’actionnaires aux dents longues. Imaginez une seconde une politique basée sur la vente de cartes à l’effigie de Pop-Star, réglant ainsi tous les soucis internes avec l’argent gagné qui atterrit directement dans les caisses du Trésor Public. Le fric appelle le fric. Voilà à quoi nous en sommes réduits et ce que sont les Nations Associées ; des chefs d’entreprise jouant aux technocrates à l’échelle mondiale. Si le grand créateur du voyage temporel trainait toujours dans les parages, aurions-nous eu un président de la Terre ? Un dictateur se roulant dans un amas de biftons holographiques ? Un fou se prenant pour un roi ou un dieu ? En un sens, qu’il ait vendu son brevet nous offre l’illusion d’être dirigés par une véritable Assemblée. J’avoue que je ne suis pas très branché dans ce domaine, en réalité, j’y porte autant d’intérêt qu’à mon premier slip. Néanmoins, il doit y avoir un type ou deux avides de puissance – dont je n’ai pas retenu les noms parce que je m’en balance – qui se démarquent des autres pour mener à bien cette apothéose du capitalisme. En gros, les mecs qui manipulent la manette de cette grande console, qu’est la Reset Corporation, sont, sans nul doute, les rapaces et les plus ignobles fourbes de la Société.

Blasé par un tel constat, je fixe placidement le décor grisâtre par la fenêtre. Mon regard se perd dans ce paysage de béton qui écrase les petits consommateurs que nous sommes. Au final, les citoyens sont tous logés à la même enseigne, vivants dans l’espoir d’entrevoir un futur plus chatoyant. Je peux alors comprendre la pauvre femme décharnée qui troque son gramme de dope contre un Chargement, pour effacer sa vie misérable, pour tenter de la recommencer. Qui n’a jamais rêvé de s’octroyer une seconde chance ? C’est ce que nous attendons tous du système S & C ; l’obtention d’un avenir meilleur.

Chapitre 2

Je sursaute lorsque la sonnerie retentit dans les couloirs. Je relève la tête, qui s’était écroulée de sommeil sur mon bureau, avec une feuille de cours collée contre ma joue.

– Trop généreux, monsieur Nery, de nous faire part de votre présence, me raille le professeur de philo, suivi d’un éclat de rire général.

– Oh, mais de rien ! Tout le plaisir est pour moi, baragouiné-je, en me frottant le visage vigoureusement.

J’ignore ses remontrances en rassemblant mes affaires pour me rendre au cours suivant. Je suis vanné, j’emboîte mollement le pas de mes camarades qui se divisent dans le corridor. Certains partent en espagnol, italien, allemand, pour ma part, c’est le russe que j’apprends où je retrouve mes deux meilleurs potes – Hugo et Marlon. Le premier est un adepte de la théorie du complot dans toute sa splendeur. La semaine dernière, il a accusé la cantinière d’être une terroriste lorsqu’il a décrété que la sauce de la salade de pommes de terre était empoisonnée. En réalité, il a fait un scandale juste parce qu’il goûtait pour la première fois le vinaigre balsamique. Imaginez sa crise d’hystérie à chaque réunion parents/profs où il clame que tout le corps enseignant s’est ligué contre lui et la Société. Ses plaidoyers compliqués, composés des métaphores les plus tordues qui soient, parviendraient aisément à vous envoyer derrière les barreaux s’il se tenait à une Cour d’Assises. Il persuaderait un innocent d’avoir commis un crime sans s’en rendre compte. Son tempérament naturellement stressé lui cause bien des déboires. Hugo trimbale sans arrêt à la main un petit carnet où il reporte absolument tout ce qu’il fait, comme si sa propre mémoire et ses Sauvegardes ne suffisaient pas. Jusqu’à ce que je comprenne pour quelle raison ce toqué est aussi maniaque.

Il faut savoir que lors d’un Chargement, rien ne demeure. Il est impossible à la Reset Corporation de restaurer la mémoire d’un sujet qui revient dans son passé, puisque logiquement les événements ne se sont pas encore produits à l’instant antérieur sélectionné. Excepté en utilisant des microcapsules de Stase. Le sujet insère dans le compartiment les indices qu’il retrouvera après son Chargement. Ceux-ci sont projetés individuellement de leur possesseur jusqu’à la Sauvegarde choisie. Ainsi, les données contenues ne s’effacent pas, elles sont déjà présentes avant que la personne retourne en arrière sur sa ligne temporelle. Bien évidemment, ce service coûte une blinde. Je sais que certains dispensaires de Chargement le proposent également, à un prix défiant toutes concurrences, mais sans certitude que la capsule de Stase arrive à bon port… ou plutôt au bon moment.

Cependant, les parents d’Hugo ont les moyens de lui payer la panoplie complète du parfait Joueur, d’où l’utilité de son carnet qui retrace tous ses faits et gestes. Mon ami s’assoit à son bureau et pivote sur sa chaise pour nous fixer, Marlon et moi, avec sévérité.

– Tout est rentré dans l’ordre ! déclare-t-il.

– Quoi donc ?

– Quelque chose que j’ai commis il y a sept jours à la cantine, j’ai refait la partie une dizaine de fois jusqu’à ce que j’en sois satisfait.

J’arque un sourcil suspicieux. Hugo estime donc que péter une pile en plein milieu du réfectoire était le meilleur scénario ?

– T’es encore passé pour un cinglé ! lui rappelle Marlon qui s’affale sur le siège à côté de moi.

– Peut-être ! Mais au moins, ils savent que j’ai un œil partout et qu’ils ne seront jamais tranquilles.

– Tranquille par rapport à quoi, Hug-hug ?

– Cette école est un nid de parvenus et de magouilleurs ! Les autres fois, mon intervention n’est pas restée dans les annales.

– Ce coup-ci, si, vu que t’as botté les fesses d’un pion, blagué-je.

– Exactement ! revendique Hugo avec emphase. Ils savent maintenant que je sais qu’ils préparent un truc. Un truc monumental. Ma petite crise va les freiner et ce sera plus facile de les faire échouer. Un jour, ils feront une erreur, et je serai là ! Je verrai tout ! Je saurai tout ! Et je les dénoncerai aux autorités. Non ! Eux aussi, ce sont des pourris. Je les balancerai aux médias !

– Tout un programme ! se moque Marlon en bâillant. Mais totalement stérile.

Hugo grimace, car il se rend compte que notre pote a raison. Si tant est que ce qu’il étaye soit véridique, les responsables n’auront qu’à Charger une Sauvegarde pour ne pas se faire prendre la main dans le sac la fois suivante. Et comme il pense que n’importe qui peut être complice d’un complot qu’on ignore, il ne nous révèle rien de ses soupçons grotesques. Néanmoins, je ne le blâme pas et le laisse croire en ses théories. Certes, Hugo est un peu dérangé du ciboulot, mais il reste un bon ami qui dans un sens approuve que je ne me serve jamais de mes Sauvegardes. Si nous nous entendons si bien tous les trois, c’est parce que nous sommes des anarchistes nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Le pire d’entre nous est, sans conteste, ce cher Marlon de la Filutière. Ce mec au look de voyou est en pleine rébellion, même contre la météo puisqu’il s’entête à sortir en débardeur en plein mois de janvier. Il déclare d’ailleurs haut et fort :

– C’est moi qui décide si j’ai froid ou non !

Je ne lui fais jamais de remarque, quelles que soient ses lubies stupides. C’est ainsi que notre lien d’amitié reste solide ; on ne se juge pas et on respecte les idéaux des autres.

Nous ne sommes que cinq dans tout le lycée à suivre des cours de Russe. Là encore, nous avons nos propres raisons. Hugo pense que les Soviets dirigeront bientôt le monde, car leur technologie pourrait surpasser celle des Français. Ils tenteraient, d’après lui, de créer une nouvelle firme qui concurrencerait le fer de lance de la Reset Corporation, afin de reprendre la gouvernance de leur pays en main. Cette idée me parait grotesque. Les Soviets ont accepté en toute connaissance de cause d’être fédérés par les Nations Associées. Leur condition de vie a grimpé en flèche ; baisse conséquente du chômage, baisse du seuil de la pauvreté, augmentation du pouvoir d’achat et j’en passe. Ils n’ont aucun intérêt économique à réclamer leur indépendance. Marlon, lui, souhaite juste se démarquer en prenant l’option la moins fréquentée. Quant à moi, la version officielle est que je désire devenir négociant en vodka. Officieusement : la flemme. Je suis déjà bilingue. Héritage maternel. Enfant, c’était ma grand-mère Ida qui me gardait et qui me parlait dans sa langue natale. Je suis une quiche en anglais, mais en russe, je gère le pâté ! Au moins une matière dans laquelle j’excelle. Il m’arrive même parfois de corriger notre professeur sexy en diable. Le petit bonus, sauf en hiver où elle abandonne ses mini-jupes pour des pantalons et des gros pulls. Ultime avantage : la petite nouvelle, Samantha, suit également ce cours. J’ai l’occasion rêvée de frimer lorsque l’enseignante m’interroge. La jeune fille, à ce propos, s’installe dans la colonne de droite, pile dans mon champ de vision. Marlon me flanque un coup de coude dans les côtes qui n’a rien d’un geste complice.

– Change de cible, Morgan, tu ne sortiras jamais avec elle.

– Et pourquoi ça ? grommelé-je en me frottant le flanc.

C’est que ça fait mal, nom d’un chien !

– Parce qu’elle préfère les meufs.

– N’importe quoi ! m’esclaffé-je.

– Si, j’te jure ! Regarde ça !

Marlon tourne sa paume devant son œil en se concentrant. La lentille Check-Point projette une séquence enregistrée dans sa mémoire résiduelle, se servant de la main de mon pote comme écran. Samantha apparait sur ses doigts en image holographique, en compagnie d’une fille d’une autre classe. Elle se dandine, se trémousse, badine, ce qui, à mon sens, ne prouve absolument rien. Jusqu’au coup de grâce où la belle blonde enroule lascivement ses bras autour de la taille de cette gonzesse avant de lui rouler la pelle du siècle.

– C’est plutôt excitant ! commente Hugo, en rougissant jusqu’à la racine de ses cheveux plus frisés qu’une salade.

– C’est bien ma veine, tiens ! ronchonné-je, déçu. Ça me fout les glandes ! Retour à la case départ de mon célibat.

– Bah, mon vieux, ce n’est pas comme si tu avais lancé le dé et avancé ton pion, me taquine Marlon.

– Merci pour ta considération, rappelle-moi de t’enfoncer au prochain râteau que tu te mangeras.

– Je ne me mange jamais de râteau, rétorque Marlon. Si ma drague foire, je Charge, je me préviens avec une petite capsule de Stase et je n’aborde pas de nouveau cette fille, point final !

– Solution de facilité, murmuré-je. Tricheur de mes deux !

– Je t’ai entendu, sale anarchiste ! me rabroue-t-il sur le ton de la rigolade.

– Sur une échelle de un à dix, se lance Hugo dans ses statistiques, je dirais que Morgan a raison à hauteur de…

Sa phrase est tuée dans l’œuf à l’entrée fracassante de notre prof. Doutant toujours de la vidéo de Marlon, j’étudie du coin de l’œil la réaction de Samantha qui se fait sans appel. Elle dévore des yeux la silhouette élancée de Mademoiselle Notwen. C’est vraiment dommage ! Il n’y a pas à dire, je suis maudit niveau relationnel. Je m’entiche toujours des filles inaccessibles. Je m’apprête à m’accouder avec nonchalance sur ma table lorsque l’enseignante plaque brutalement ses mains dessus pour m’interpeller.

– Monsieur Nery, vous êtes convoqué de toute urgence dans le bureau du proviseur.

– Qu’est-ce que j’ai encore fait ? soupiré-je.

– Il s’agit de…

Sa bouche se fige en une grimace peinée. Une ombre étrange traverse son regard émeraude tandis qu’elle se penche pour me parler à l’oreille.

– Il s’agit de votre mère. Vous devriez vous dépêcher.

J’avise, perplexe, quelques secondes Mademoiselle Notwen avant de réagir aussi brusquement que si je venais de me faire piquer par une guêpe. Je me lève d’un bond. Je ne prends pas la peine de ranger mes affaires et sors en trombe de la salle de classe. L’inquiétude me frappe si bien que je ne maitrise plus mes mouvements. Je cours désormais pour rejoindre le rez-de-chaussée le plus rapidement possible. Sans ménagement, j’ouvre la porte du bureau du Principal avec fracas, le cœur battant la chamade. D’ordinaire, je ne lis sur son visage que du dédain à mon égard. Je n’aime pas du tout cet air empathique qu’il m’adresse.

– Assieds-toi, mon garçon, bafouille-t-il.

Mon garçon ? Un sobriquet qui ne m’inspire aucune confiance de sa part. Mes doigts tremblent sur le dossier avant que je m’installe sans me départir du malaise qui me tord les boyaux.

– Ton père vient de nous prévenir, reprend le directeur. Il est arrivé quelque chose à ta mère, Morgan.

– C’est grave ?

Je n’ai pas besoin d’entendre la réponse, elle vibre déjà à l’intérieur de mon crâne avec autant de violence que la pire des sentences. Les lèvres du proviseur remuent, mais je n’entends plus rien. Mon corps est bloqué sur pause, dans l’espoir que cette révélation n’atteigne jamais la réalité. Mon esprit refuse d’accepter que le Temps s’est arrêté pour celle qui m’a mis au monde.

Chapitre 3

J’étouffe dans mon costard trois-pièces entièrement noir, bien que je ne sois pas certain que cela vienne du col serré de ma chemise, mais plutôt du poids qui pèse sur mon cœur, m’empêchant de respirer sainement. Des flocons tombent mollement sur le couvercle en granit qui vient de se refermer sur une part de mon être. Une couche poudreuse fige à jamais les bouquets parsemés devant la pierre arrondie. Je garde les yeux rivés sur ces lettres d’or gravées qui me narguent. Mon regard retrace indéfiniment la date fatidique. Je suis ancré dans une torpeur si assommante que je m’aperçois à peine des innombrables mains qui se posent sur mon épaule en signe de soutien. Après tout, leur présence n’y change rien, aucune ne me la ramènera. La foule s’éloigne, j’entends au loin le sanglot de mon père qui me prend encore aux tripes. Plusieurs membres de notre famille tentent de l’apaiser. Lorsqu’enfin le silence s’étend dans le cimetière, je m’autorise à m’effondrer à genoux devant la dernière demeure de ma mère. Mes larmes me brûlent les joues dans le froid mordant de cette journée macabre. Ces dernières heures, j’étais détaché de mon corps, je vivais au ralenti, je n’ai rien compris à ce qu’il m’arrivait. J’ai l’impression que mon entretien avec le proviseur de mon lycée s’est produit il y a quelques minutes seulement. J’ai mis un temps infini à réaliser qu’elle s’était bel et bien fait renverser par une voiture, alors qu’elle se rendait au marché, comme tous les matins. À l’hôpital, je n’assimilais toujours pas la réalité lorsque je me suis retrouvé devant sa dépouille à la morgue. Elle est morte sur le coup, et un décès de ce genre est irréversible. Il est impossible de Charger à la place d’une tierce personne dix minutes après son ultime souffle. Les secours ne sont pas intervenus assez rapidement. Quand bien même, Thalie détenait une carte refusant tous Chargements contre son gré s’il lui arrivait malheur. Elle nourrissait de fortes convictions sur le déroulement normal d’une vie. Elle avait sa propre vision de l’existence. Aujourd’hui, je ne sais plus quoi en penser. Mon regard est biaisé par la peine. Il me faudra du temps pour me reconstruire, c’est là que je comprends que personne n’en possède vraiment. Celui-ci nous est compté. Lorsque je ferme les yeux, je vois presque les secondes défiler dans ma cervelle pour me mener à l’échéance inextricable. Mes jours peuvent être fauchés d’un instant à l’autre. L’unique avantage des Sauvegardes s’esquisse tout doucement à mes songes éplorés. J’entrevois une partielle issue à la fatalité. Je secoue la tête que j’enserre entre mes mains. Le chagrin me fait divaguer. Céder à une telle extrémité, ce serait bafouer la mémoire de ma mère.

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