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Lorsque le docteur Ian, psychiatre, reçoit pour la première fois sa mystérieuse patiente Agrippine et qu’il cède à sa requête de ne se consacrer qu’à son cas personnel pendant toute une semaine, il est loin d'imaginer qu'il ne sera pas simplement le témoin du récit fantastique de la jeune femme mais également l'un de ses principaux acteurs. Car, tel qu’elle le déclare, Agrippine est l'objet de réincarnations successives qui remontent jusqu’à la Mésopotamie ancienne, où son bien-aimé et elle, citoyens du royaume d’Uruk, furent condamnés pour l’éternité. Devant les arguments et la précision de son histoire, le docteur commence peu à peu à douter et ses certitudes vacillent.


Et si depuis l’antiquité, tous les amants maudits n'avaient été qu'un seul et même couple?

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Publié par

Date de parution

01 mai 2013

Nombre de lectures

62

EAN13

9791090627253

Langue

Français

Véronique Ajarrag AMULETTES Editions du Chat Noir
à Jamal
I Ordre des médecins - lundi 23 décembre - 9 heures J’attendais, patient. Les cinq hommes s’étaient emp arés des documents que j’avais apportés et les inspectaient à présent avec une attention affectée. Aucun d’eux n’avait daigné me saluer. Ma main était restée aérienne, puis elle était retombée le long de mon corps. Leur hostilité à mon égard était palpable. Que faisais-je ici ? Cette commission n’avait pas de sens. Dès mon arrivée, j’avais senti qu’il aurait mieux valu pour moi ne pas venir. J’étais entré dans cette sinistre salle d’audience. J’avais croisé une femme en imper, sur le seuil, qui m’avait bousculé au passag e. Sur ses lèvres, les quelques mots d’excuse bredouillés s’étaient épuisé s aussitôt qu’elle m’eût reconnu et avaient cédé leur place à l’effarement. Elle s’était enfuie en toute hâte sans me quitter des yeux. Sans doute la veuve de mon patient. Je m’étais retourné, découvrant la longue allée cen trale qu’il me faudrait traverser sous le regard inquisiteur des anciens di gnitaires pendus aux murs, défunts émérites de cette prestigieuse institution, impassibles dans leurs cadres cirés. À l’extrémité, cinq paires d’yeux braqués su r moi attendaient que je parcoure la distance qui me séparait de l’imposant bureau derrière lequel ils officiaient. La solennité du silence m’avait paru g laciale, les quelques mètres restants, infiniment longs. — Très bien. Docteur Ian, je présume ? D’un geste de la main, l’homme qui venait de disperser mes songes m’invita à prendre place à la table face à eux. Je m’assis. Après ce que je venais de vivre, cette commission était déplacée, absurde, dérisoire. Mais je n’avais pas le choix. Je ne pouvais m’y soustraire. — Parlez-nous du jour où vous avez reçu cette patie nte…, mademoiselle Agrippine Rossigny, si je ne m’abuse… Comment ont débuté vos troubles ? L’invite n’était pas dépourvue d’ironie. Je compris qu’il ne me serait laissé aucun droit à l’erreur. L’exercice serait fastidieux. Rien ne me serait épargné. Alors que j’étais sur le point de leur faire le réc it de cette mystérieuse journée, tout me revint en mémoire. « Le premier jour, le lundi 9 décembre, quand j’ava is commencé à prendre conscience de ce qui se passait, elle était en train de me parler d’instantanés, d’interruptions du temps, de points phares qui ponc tuaient ou suspendaient sa vie, autrement que chez les autres personnes. Une d ouce lumière matinale incendiait sa chevelure et laissait le reste de son visage dans l’ombre. Légèrement de profil, je devinais juste le contour de ses lèvres. J’avais volontairement disposé mon cabinet en fonction du c ontre-jour pour ne pas être perturbé par l’apparence physique de mes patients, leurs expressions, tous les signes qui auraient pu fausser mon appréciation de leurs confidences. Dans ce contre-jour, elle avait l’air d’une jeune femme trè s séduisante et j’étais perturbé, en effet.
« C’est comme au cinéma, avait-elle dit alors, les séquences sont souvent délimitées par des détails-clés, des lieux, des obj ets essentiels, des visages, des moments... Moi, je m’accroche à des instants tr ès brefs, instants ou instantanés, si vous préférez, qui sont les miens, à moi seule ; les autres ne comprennent pas… Des signes qui balisent mon existe nce, et qui n’interviennent cependant pas par hasard ; les scie ntifiques appelleraient cela des espèces de biorythmes, simplement là pour gradu er mon histoire, me rappeler à moi-même... — Des biorythmes. Intéressant. Vous connaissez les travaux d’Albert Jacquard ? lui avais-je alors demandé, histoire d’e ntendre ma propre voix, histoire d’évacuer le trouble qui me gagnait, de me sentir encore vivant, en totale possession de mes moyens, bien présent, là, devant elle. — J’étais journaliste il y a peu, avait-elle repris , c’est facile pour moi d’être calée dans différents domaines sans pour autant êtr e une spécialiste ; la culture-confiture, vous voyez ce que je veux dire… » « Continuez. » La voix était sèche, claquante. Le médecin placé au centre, le docteur de Carbonière, une pointure dans le domaine de la psyc hanalyse, était bien décidé à mener seul cet interrogatoire et continuait de co nsulter mon dossier, refusant de me regarder dans les yeux. Je compris qu’il exam inait avec une attention particulière les notes que je lui avais confiées af in d’étayer mes dires. Les quatre autres membres de la commission qui l’encadr aient me regardaient avec cette complaisance particulière qui n’a pour seule légitimité que celle de faciliter les aveux. Je n’avais pas le choix. Je repris : « Des instants au-delà desquels il est impossible d e revenir, avait-elle poursuivi, où l’ordre des choses paraît immuable, les décisions que l’on prend, irréversibles. Même si tout le monde pense le contraire, moi je sais que quand je ressens cela, c’est définitif, il n’y a plus de retour, de correction possible. Vous comprenez ? » Oui, je comprenais, je comprenais même plus qu’elle ne pouvait l’espérer, mais j’ai fait l’imbécile, je n’ai rien dit, je me suis contenté d’afficher une légère moue dubitative pour qu’elle ne puisse rien détecte r d’autre que ma carapace professionnelle. Elle avait continué sa démonstration, convaincue qu’il n’y avait pas d’autre interprétation possible. Elle paraissait à l’aise dans cette confidence. Les mots, le ton étaient volubiles. Elle savait ce qu’elle faisait, elle savait qui j’étais. Mais ceci, je ne le sus que bien plus tard. « Ce ne sera pas facile de me cerner. Autant que le s choses soient claires dès le départ. Je peux illustrer mes impressions à l’aide d’exemples cinématographiques si ceci peut vous aider à compre ndre ce que je ressens. Ne dit-on pas que le cinéma est le miroir de l’âme ? — Vous aimez le cinéma ? — Disons que ça me permet de retrouver des sensatio ns... des ambiances qui ne me sont pas inconnues. J’ai apprécié le filmOut of Africa. L’époque m’a plu. — Qu’entendez-vous par « l’époque m’a plu » ?
— Je vous expliquerai. C’est justement l’objet de m a visite. Vous connaissez ce film ? — J’en ai un très vague souvenir. — L’important, c’est le Kenya, le dix-neuvième sièc le, l’ambiance coloniale. J’ai oublié le nom du cinéaste, mais dans le scénar io, il y a un moment-clé qui m’interpelle. Puis-je vous résumer l’histoire ? — Je vous en prie. — Karen Blixen possède une ferme, elle cultive du c afé. Elle a tout misé sur sa dernière récolte. Une nuit, un petit boy vient r éveiller Karen en pleine nuit alors que la ferme brûle… — Oui… — …il dit« Je crois que Dieu arrive. » Tous les spectateurs pensent que c’est ici que tout se termine ou bien encore, que c ’est la mort de Denis, l’homme de sa vie, qui boucle le film. Pour moi, l’histoire décline juste à l’instant où Denis lui propose de venir vivre chez elle. Elle dit alor s :« Quand les dieux veulent vous punir, ils exaucent vos prières. » — Intéressant. Vous sentez-vous proche de cet exemple ? — Bien plus que vous ne pouvez l’imaginer. Denis ét ait le paradigme de l’homme libre. On peut même se laisser aller à croire que sa véritable mort est conditionnée par le choix qu’il a fait, celui d’occ ulter tous les autres, en d’autres termes, le choix de ne plus avoir le choix. — « Le choix de ne plus avoir le choix », vous me p arlez de l’engagement ? Il vous effraie ? » Elle se tut. Je pense qu’elle devait encore réfléch ir à la façon de me présenter les choses. Prendre des exemples dans les films lui permettait de raisonner sur des situations qui n’étaient pas la s ienne. C’était, d’une certaine manière, le moyen de repousser davantage le moment de sa véritable confidence. Je décidai de reprendre la discussion s ur le cinéma, puisque c’était avec ce sujet qu’elle l’avait introduite. « Vous me dites que certains films vous donnent l’impression de retrouver des sensations, des ambiances. Vous voulez parler d e ce qu’on appelle communément des expériences de « déjà-vu » ? » Elle me fixa avec une intensité qui me fit frissonn er. Je venais sans aucun doute de toucher une corde sensible, mais je sentis que ce n’était pas là l’entrée en matière qu’elle avait choisie. « L’engagement, oui. D’abord, c’est de cela que j’aimerais vous parler. Vous connaissez le filmLe dernier empereur? — Je ne pense pas l’avoir vu. Pourquoi ce film ? — C’est encore une époque qui m’a plu, le début du vingtième. La Chine... Il s’agit de la biographie du dernier empereur de Chin e, Pu Yi. Quand il entre dans la cité interdite, il est très jeune encore, trois, quatre ans. Dans ce film, le moment qui détermine toute sa vie, c’est juste quan d le vieil eunuque lui donne le grillon. Juste avant, il y a un choix possible : celui de rester dans le monde de l’enfance. Le don du grillon, c’est l’aveu que le j eune Pu Yi n’a pas sa place d’enfant dans cette cité interdite et c’est lui don ner l’illusion qu’il en est toujours un, alors que personne n’est dupe, pas même lui. Le grillon est un prétexte, une
préfiguration ; il signifie : « Tu es prisonnier de ton destin et lui aussi, regarde ! Nous sommes tous prisonniers ! Mais toi, tu es en p lus prisonnier du pouvoir que tu as sur lui, sur nous ». L’enfant accepte le grillon. Après… » Elle baissa la voix, la tête, puis reprit : « La fin est dans le commencement. Tous l’ignorent. Moi j’apprends à reconnaître mes propres commencements ; je n’y parv iens pas toujours. Si j’y parvenais, je n’aurais pas vécu l’histoire qui est la mienne, je n’aurais tout simplement pas eu d’histoire… Et je ne serais pas ici. — Vous me parlez du renoncement dans l’engagement ? » hasardai-je. »
II Premières notes du Docteur Ian / lundi 9 décembre – 13h30 « Arrête… » Le ton est à la fois sec et détaché. El le enlève sa main et aussitôt, de son index, trace des cercles sur la na ppe à carreaux. Lui, nerveux, tourne la tête et allume une cigarette. Le garçon intervient : « C’est interdit ici, monsieur. » À peine un regard ; il écrase sa cigare tte dans le cendrier qu’on lui tend et lui reprend la main : « Alors, c’est fini ? Ça se termine ici ? Comme ça ? Dans un café ? C’est pitoyable ! » Elle retire à nouveau sa main, plus rapidement, et la cache dans la poche de son manteau. « Oui, c’est comme ça. Ne complique pas les choses.» Il la fixe ; il sait qu’il est trop tard pour agir, que c’est perdu d’avance, mais il sait aussi qu’il n’y est pour rien. C’est peut-être la seule chose qui la rassure : savoir qu’il ne lui en veut pas, que tout est toujours clair ; pas de faux espoirs. Pourtant, il continue de la fixer, avec son regard océan si clair, si profond, qui s’est attardé plus que de coutume, si bien qu’elle a cru en le rencontrant que c’était Lui… Elle le regarde à présent pour la dernière fois. Si elle n’avait pas cette histoire à élucider, pourrait-elle en être vraiment amoureuse ? Elle soupire ; peine perdue de se poser de telles questions. Il sort un trousseau de clés de sa poche de veste, s’apprête à les déposer, mais se reprend, joue quelques instants avec elles, pour les rattraper toutes dans sa main et les réempocher ; il se lève et sort. Elle sait qu’il a encore besoin de temps. Que lui déposer les clés sur la table aur ait fait trop symbole de rupture. Elle sait qu’il retentera sa chance. Plus tard. En deux étapes, il souffrira moins. Ça ne changera rien. Elle baisse les yeux, finit son café, sort un carnet et un stylo, se met à écrire. Et moi, son psy, je vois tout, je lis, exactement c omme si j’étais penché au-dessus de son épaule : Lundi 9 décembre - 13 heures 30 «Où es-tu, mon bien-aimé ? Où es-tu ? Je t’ai cherché partout, partout où je pouvais. Je suis perdue, épuisée, désespérée. Je te cherche encore, mais mon espoir me quitte. Ton silence m’assourdit, ton abse nce m’aveugle, ma solitude me ronge. J’ai parcouru des foules et des places, d es assemblées, des meetings. J’ai cru cent fois te reconnaître au déto ur d’un regard, vert, gris ou même sombre, à la courbure d’une joue, la carrure d’une épaule, le timbre d’une voix… mais jamais ce n’était toi.  J’ai suivi des centaines d’hommes, visité des diza ines de villes, attendu dans les gares des trains indifférents, perdu des m illiers de pas dans les terminaux d’aéroports…
Où es-tu ? Les fois précédentes, ça avait été tellement plus simple, il y avait moins de monde, les autres contrées étaient moins f aciles à atteindre et à quitter, et tu étais, de fait, toujours à proximité . Mais ce monde-ci est fou, trop rapide, bouillonnant, les distances sont si longues et si courtes à la fois… Comment te retrouver dans cette immensité ? Comment être certaine que tu ne t’es pas enfui à l’autre bout de la terre ? Nous serions-nous croisés sans nous voir ? Nous ser ions-nous vus sans nous reconnaître ? M’aurais-tu reconnue ? Et, lassé , aurais-tu passé ton chemin ? Non, c’est impossible. Tu n’aurais jamais été capab le d’une telle déloyauté, capable de me laisser ainsi, égarée... C’est impossible. Tu ne sais pas encore qui tu es. Tu t’es sans doute installé dans l’une de ces petites vies confortables que tou s ces mortels d’aujourd’hui affectionnent tant… Peut-être même es-tu marié, as-tu un, des enfants… Je suis la seule à posséder la clé de notre passé. Il suffirait seulement que nos regards se croisent ; le voile du souvenir se l èverait pour toi à l’instant même, et de la même façon qu’il se levât pour moi à l’âge de quinze ans, l’âge que j’avais lors de notre premier amour… » « Encore à écrire ce satané journal ! Si je ne te c onnaissais pas depuis un bon bout de temps, je dirais que tu es complètement folle ! » À présent, c’est cette jeune femme à peine entrée qui parle. Je ne sais comment ce prodige s’est produit en moi mais je perçois toutes les pensées d’Agrippine. Je sais que l’inconnue se nomme Clara et qu’elle la considère comme sa meilleure amie, sa seule véritab le amie, semble-t-il. C’est pour cela que le commentaire ne la choque pas. Cette Clara pense qu’elle est juste un peu décalée, un peu anachronique, pleine d e ce tourbillon brutal qui creuse davantage sa propre mélancolie.  « Je vois un psy. J’ai décidé de raconter toute mo n histoire. Après… tout me sera égal. J’en ai marre, je suis crevée. Je com mence à me demander si je vais bien, si je n’ai pas tout inventé. J’ai besoin d’authentifier les choses. Qu’on me discrédite, qu’on m’enferme dans un asile pour s chizophrènes en attendant la fin ou alors qu’on m’aide vraiment à Le retrouver. Toi, d’ailleurs, je ne suis pas sûre que tu me croies vraiment… — Tu es un peu toquée sur les bords, mais pas plus que moi. Dis-moi, ça te sert à quoi d’écrire sans arrêt ce journal ? Tu per ds ton temps. Tu ne préfères pas consacrer plutôt tes journées à vivre ? — Je viens de rompre aussi…, dit-elle sans prêter a ttention à la question de Clara. — Oh ! Alors, l’heure des grandes décisions est enfin venue ? » Elle ne répond pas. Elle range le carnet et le stylo dans son sac, saisit sa monnaie et va sortir du café en compagnie de Clara.
J’ai conscience de tout ce qui se passe en elle et autour d’elle. Je sais à présent que je vais la revoir dans un court instant.
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