Bébert et le Vicomte
102 pages
Français

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Description

« Je regarde la photographie de ces onze hommes à leur arrivée en Russie, entourant leur chef, le commandant Tulasne, avec leurs uniformes dépareillés, émouvants dans leur improvisation : vestes d'aviateurs français, bottes iraniennes, culottes de cheval empruntées aux Russes, gants de cuir dépareillés, chapkas, écharpes anglaises, et déjà, à la ceinture, un TT 7,65. Sur cette photo, personne ne sourit. Ils ont raison. Aucun ne survivra dans l'année qui vient, sauf ces deux-là, agenouillés au premier rang. » Dans un récit foisonnant servi par une belle écriture, l'auteur nous livre quelques souvenirs familiaux attachés à l'histoire du Normandie-Niémen - le régiment de chasse le plus glorieux de l'aviation française. Ce récit est aussi une étude psychologique attachante sur les motivations et les états d'âme de cette poignée de pilotes qui ont choisi de servir la France Libre au sein de l'immense armée rouge.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 septembre 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342167832
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Bébert et le Vicomte
François d'Aulan
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Bébert et le Vicomte

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
À Jean de Suarez d’Aulan,
mon père,
pilote de chasse à l’escadrille La Fayette,
mort au combat
(1900-1944)
 
 
 
À François de Geoffre de Chabrignac,
mon oncle,
pilote de chasse à l’escadrille Normandie-Niémen
(1917-1970)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le vrai tombeau des morts
C’est le cœur des vivants.
 
Tacite
 
Ils sont onze.
 Onze pilotes venus des quatre coins du monde – France, Angleterre, Maroc, Cyrénaïque, Indochine, Canada – pour former à la demande du général de Gaulle un régiment de chasse au sein de l’Armée rouge.
 
Je regarde la photographie de ces onze hommes à leur arrivée en Russie, entourant leur chef, le commandant Tulasne, avec leurs uniformes dépareillés, émouvants dans leur improvisation : vestes d’aviateurs français, bottes iraniennes, culottes de cheval empruntées aux Russes, gants de cuir dépareillés, chapkas, écharpes anglaises, et déjà, à la ceinture, un TT 7,65.
 
Sur cette photo, personne ne sourit. Ils ont raison. Aucun ne survivra dans l’année qui vient, sauf ces deux-là, agenouillés, au premier rang.
 
Avant leur départ pour Moscou, il a été accordé aux pilotes quelques jours de repos, à Téhéran, à mi-chemin de leur périple. Dans le conflit qui déchire l’Europe, l’ancienne Perse est un havre de paix. À la nuit tombée, la ville s’illumine avec des boutiques achalandées, regorgeant de produits venus du monde entier, un bazar animé où se presse, dans une cohue tout orientale, une population bruyante et bigarrée.
 
Une vie mondaine intense agite la haute société iranienne. Ces pilotes, qui ont choisi la France Libre, sont accueillis comme des héros. Les belles orientales ne sont pas insensibles à leur charme. Au bord des piscines, sur les courts de tennis, les terrains de golf, les idylles se forment au hasard des rencontres : serments échangés, billets doux et, pour les plus chanceux, de grands lits ouverts.
 
Des marraines de guerre se déclarent. Tout au long du conflit, elles resteront fidèles au souvenir des premiers pilotes du Normandie dont l’Iran fut la dernière halte sur le chemin de la guerre.
 
Mais avant de se battre, une instruction solide s’impose : deux mois d’entraînement au Liban, à Rayak, dans la plaine de la Bekaa, sur une base édifiée par les Allemands lors de la Première Guerre mondiale.
 
Plus tard, pour se différencier des nouveaux arrivants, les anciens adopteront le nom de Rayak comme signe de ralliement. Dans le grésillement de leurs écouteurs, ils entendront : « Allô les Rayaks ! Cap au 90. 2 500 tours/minute. Espacement 100 mètres. Objectif 12 heures ». Et lorsqu’apparaîtront Focke-Wulfs, Messerschmitts et autres Stukas, de nouveaux commandements, secs, précis : « Contact armement. Compresseur enclenché. Collimateur allumé. 480 au badin. Basculez carburant sur réserve. L’œil sur le wing-commander . Bonne chasse les Rayaks ! »
 
Sur le terrain d’Ivanova, près de Moscou, les Français font connaissance de leurs premières machines : des Yak-1. Ce sont des avions robustes, faits de toile, de bois et d’acier, rapides mais mal protégés. Pour ceux qui ont volé en Angleterre sur des Spitfires ou des Hurricanes, c’est une déception. Cependant, passé la surprise d’une manette de gaz qu’il faut pousser au lieu de tirer, les Français vont découvrir l’extraordinaire maniabilité du Yak, sa facilité de manœuvre, son aptitude à virer sec, son manche si sensible qu’une simple pression du doigt suffit à incliner l’avion pour dégager l’axe de tir.
 
Commencera alors une longue histoire d’amour entre les Français et leurs Yak.

Un attachement qui durera toute la guerre, se poursuivra quand les Yak-1 seront remplacés par des 9 et des 3, au moteur surpuissant, à l’armement électrique, avec un canon de 37 mm, deux mitrailleuses synchro et des protections en plaques de blindage.
 
15 décembre 1943.
 
Les chefs de l’aviation militaire soviétique – chapkas en astrakan et bottes de feutre – se pressent sur le terrain d’lvanova. Devant eux, le commandant Tulasne fait une démonstration éblouissante. Montées en chandelle, piqués vertigineux, passes sur le dos, virages à 360 degrés, tonneaux, renversements loopings, Immelmanns. Trente minutes de haute voltige pendant lesquelles le fransuski major a su convaincre les Russes que les pilotes français formés sur Dewoitine ou Spitfire sauront s’adapter aux spécificités du Yak.
 
Mais pas encore au climat !
 
Avec des températures qui descendent la nuit à moins 30 degrés, un nouvel équipement s’impose : bottes fourrées en poil de chien montant jusqu’aux genoux, irvin jackets molletonnées, passe-montagnes en laine, casques serre-tête doublés de feutre.
 
Ainsi déguisés, ils ressemblent à des Lapons. Ils en rient, même si se battre au milieu de l’hiver russe reste une souffrance. Les doigts sont gourds, maladroits. Dans la zemlianka, les poêles à bois chauffés à blanc n’effacent pas les morsures du froid. Supplice permanent, surtout pour ceux qui arrivent d’Afrique du Nord. Enfiler une tenue de vol, agrafer un parachute, tenir un porte-cartes sont une épreuve. Mettre des gants, ajuster des lunettes, se moucher exige de l’aide.
 
 
Les hommes de piste ont déblayé la neige qui s’est accumulée pendant la nuit autour des Yaks. Les mécaniciens procèdent aux derniers réglages. Pour se réchauffer, ils ont installé des poêles à côté des carlingues. Stravonski, adjoint politique à la division, en tournée d’inspection en Normandie, rechigne : ces poêles allumés, grogne-t-il, une dépense inutile !
 
Tulasne lui explique que sans ces poêles, les mécaniciens français ne peuvent pas travailler. La peau de leurs mains colle au métal. Stravonski en convient, mais quelques jours plus tard, obtient de Moscou l’autorisation de remplacer les mécanos français par des Russes, plus habitués au grand froid.
 
Le mécanicien de François de Geoffre s’appelle Lockin. Il admire le Français et le Français l’admire. Le premier est costaud, râblé, toujours en mouvement. Le second, originaire de Mongolie, est passif, silencieux. Avec ses pommettes saillantes, typiques d’une race qui, pendant des siècles, a enduré des froids excessifs et des chaleurs torrides. Lockin est solide, discipliné. Son travail est d’entretenir la machine sur laquelle le Français se bat. Avec un respect réciproque et une admiration qui, pour le Russe, frôle la dévotion. Leur couple est fusionnel, leurs actions complémentaires. Ils élèvent ensemble un enfant qui leur ressemble, solide et conquérant.
 
Lorsque l’enfant est malade, que son moteur tousse, que ses instruments sont déréglés, Lockin, inquiet, va consulter l’infirmier-chef du Normandie, l’ingénieur Agavelian, chargé de la bonne santé de son troupeau de Yaks.
 
Un soir, en rentrant d’opération, de Geoffre fait part à Lockin des vibrations ressenties au-delà de 2 000 tours.
 
— Faut me régler ça pour demain !
 
Alors, toute la nuit, à la lumière des lampes de poche, Lockin et ses camarades vont trouver un moyen radical de remédier au problème des vibrations… en installant un nouveau moteur.
 
Trois heures de travail par un froid sibérien.

Chaque matin, Lockin se présente au garde-à-vous devant le sous-lieutenant de Geoffre.
 
—  Tovaritch leitenant usio gotovo motor radio pouchka kharacho.
 
De Geoffre/Lockin, Risso/Ougromatov, Lefèvre/Meteev, de Seynes/Bielozoub : couples dépareillés, vivant en totale harmonie, ne se disputant jamais, partageant les mêmes émotions, les mêmes peurs., le russe se cachant pour pleurer quand son patron ne rentre pas, le Français s’inquiétant si son mécanicien est souffrant.
 
Lorsqu’un Yak effectue un tonneau lent avant de se poser, signe de victoire, Russes et Français se congratulent. Ils savent que la victoire d’un pilote, c’est aussi celle de son mécanicien.
Yves B izien
Yves Bizien a ouvert la liste des morts.
 
C’est un ancien apprenti mécanicien engagé à 19 ans dans l’armée de l’air. Formé à Ivanova sur un Yak-1B à double commande, il faisait partie du premier contingent du Normandie.
 
Son avion s’est écrasé dans les lignes ennemies. Sur son corps, les Allemands ont découvert ses papiers d’identité, imprudemment cachés dans une poche de son blouson.
 
La Gestapo se vengera sur sa famille. Père, mère, frère seront déportés à Buchenwald et n’en reviendront pas.
 
 
 
Le soir, dans le calme de la zemlianka , les pilotes retrouvent leurs habitudes, leurs petites manies de célibataires. Au pied de leurs bat-flanc ont été posées des caisses de bois qui leur servent de tables de chevet. Sur ces carrés grossièrement équarris, ils ont installé un décor familier, devant lequel ils s’attardent avant de gagner leurs sacs de couchage : photos de famille, presse-papier (Littloff), dessin d’enfant (Albert), chapelet (de Seynes), coquillages (Prezioci), fleurs séchées (de Pange), paquets de lettres usées à force d’être lues et relues.
Ceux qui ne possèdent rien, car sans famille, s’agacent de cette exposition. Combien de coups de pied sournois pour ébranler cette belle ordonnance ! Cris. Protestations.
 
— Tu ne peux pas faire attention ? T’es bigleux ou quoi ?
 
Ces chahuteurs (souvent les derniers arrivés) se moquent de ces récrimina

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