Jolies Mary
64 pages
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Jolies Mary , livre ebook

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Description

Vous la trouverez au bord d'une route déserte, faisant du stop à minuit. Elle se fait appeler Rhee, mais tout le monde connaît son autre nom : Resurrection Mary. Et quand elle rentre chez elle à l'aube, dans un manoir décrépi au milieu de nulle part, elle n'est pas seule.
Dans le miroir ancien, Bloody Mary apparaît si vous prononcez son nom trois fois. Dehors, erre Mistress Mary dans son jardin de fleurs vénéneuses, une chansonnette qui a pris vie d'une sinistre manière. Et dans la cave, une autre comptine - Mary Mack - est obligée de fabriquer son propre cercueil jusqu'à la fin des temps. Enfin, ruminant dans son coin, il y a Mari Lwyd et son crâne de cheval.
Elles sont les Mary, l'incarnation des légendes urbaines et des peurs enfantines. Chaque matin, elles se réunissent autour de la table pour partager les cauchemars comme s'il s'agissait d'un bon vin, savourant la saveur de ceux qu'elles ont terrifiés. Jusqu'au jour où leur existence même est menacée...


«J’aime les histoires comme ça. Celles qui mettent en scène des filles tourmentées et sont racontées d’une manière originale, pleines d’images horrifiques, mais narrées d’une façon tellement lyrique qu’elles en deviennent étrangement belles. Des contes sur des filles oubliées, perdues, brisées, victimes d’une violence souvent ignorée. Cette histoire renferme TOUT cela, et bien plus encore.» YOLANDA on GOODREADS


«Une lecture divertissante et rapide qui rappelle Neil Gaiman et Cherie Priest. (...) Jolies Mary marque une année mémorable pour Gwendolyn Kiste, une année où elle a planté son étendard à la vue de tous. Il flotte, annonçant une nouvelle voix. » LOCUS MAG


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 avril 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782375681862
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Gwendolyn Kiste
Jolies Mary
Editions du Chat Noir


1
Les cris d’orfraie des deux étudiants résonnent comme de la musique à mes oreilles.
Leur mélodie horrifiée ricoche sur les sièges en cuir de la voiture et le conducteur au visage poupin me dévisage dans le rétroviseur, moi, le spectre dans l’habitacle. Ses yeux exorbités refusent de regarder la route et il est sur le point de braquer le volant, de nous envoyer contre un arbre. Personnellement, cela ne me dérange pas tant que ça – cela briserait un peu la monotonie de cette soirée – mais pour eux, le résultat risquerait d’être un peu sanglant. Tout ce métal tordu et ces os brisés… Ce ne serait pas beau à voir.
Heureusement pour eux, il se contente de frissonner, continue à hurler et appuie sur l’accélérateur comme s’il pouvait me distancer, comme si je n’étais pas assise sur la banquette arrière. À côté de moi, son ami se rencogne contre la portière et cherche la poignée à tâtons. Il se cache les yeux d’une main et, au-dessus de son petit bouc, sa bouche béante ressemble à un puits sans fond. Lui qui espérait une séance de batifolage. Mais je n’ai jamais embrassé les hommes comme ils aiment qu’on les embrasse.
L’air scintille de leurs cris, un courant argenté que je suis seule à voir. Satisfaite, j’entrouvre les lèvres et je bois leur terreur comme on savoure un bon vin.
Quand je pense que je craignais de m’ennuyer ce soir... Hanter n’est pas une science exacte et je n’ai pas trouvé mieux que ces deux couche-tard, ces deux idiots partis en virée dans la Lexus de papa. Mais ils sont plus savoureux que ce à quoi je m’attendais. Leur mélodie terrorisée me rappelle l’élégance d’un morceau de Glenn Miller, la malice d’un clin d’œil de Frank Sinatra, la classe inégalée de Bobby Darin. Elle a le goût des soirées d’été passées, du gâteau aux pêches avec un tourbillon de crème fouettée, si suave et sucrée que j’en ai mal aux dents.
« Merci », leur dis-je avant de me tourner vers l’obscurité. Je n’ai pas besoin qu’ils arrêtent la voiture pour descendre et c’est une bonne chose, parce qu’ils crient si fort qu’ils ne m’entendraient pas demander. Je baisse les paupières et la nuit se referme sur moi. Lorsque je rouvre les yeux, ces pauvres jeunes gens sont loin. Leurs feux arrière disparaissent après une courbe et je suis seule.
La route, ma compagne éternelle, s’étend comme un ruban de satin noir devant moi. Je me tiens droite, en son centre exact, mes talons posés sur sa ligne jaune. Je sais que je devrais rentrer, maintenant. J’ai trouvé ce que j’étais venue chercher. Je n’arrive pas à m’y résoudre.
J’ai encore faim.
Les étoiles dans la voute céleste m’envoient des clins d’œil amicaux ; je commence à marcher. Aucune maison alentour. Il n’y a que ce bas-côté qui ourle le ruban d’asphalte plein de nids de poule ; personne ne se donne plus la peine de les combler depuis au moins vingt ans.
Chênes et épicéas forment une canopée complexe dont les branches pleurent des gouttes de sève comme autant de larmes. Sommes-nous au printemps ? Les fantômes n’ont aucun moyen de garder la trace du temps qui s’écoule  ; pas de calendrier, de lignes gravées dans le bois chaque soir. Pas d’agenda pour noter les rendez-vous. Mon seul impératif, c’est de venir sur cette route, de retrouver la nuit lorsqu’elle m’appelle. Et la nuit peut m’appeler n’importe quel jour.
J’hésite un instant. Une voiture pleine de jeunes gens – même si entre eux, ils s’appellent des hommes – ivres de whisky-soda n’est plus très loin. Je salive. Mes doigts se courbent comme des serres. Même s’ils sont à plus d’un quart de mile , je les sens exploser dans mon sang. Ils seront des proies faciles. Les plus savoureuses sont celles qui ne s’attendent à rien. Et à quoi pourraient-ils s’attendre, eux ? Je suis là, avec mon sourire avenant, dans ma belle robe de soie, avec mon collier de perles, aussi attirante qu’un rayon de lune dans l’obscurité. Un camouflage à toute épreuve.
Le pick-up s’arrête à ma hauteur et je suis si impatiente que j’ai du mal à rester au sol.
« Salut, poupée, chantonne l’un d’entre eux, répugnant et mielleux, penché par la fenêtre arrière. C’est combien ? »
Trop cher , ai-je envie de répondre, mais ils ne m’entendraient pas, occupés comme ils le sont à pousser des cris d’animaux en rut. Ils ne sont pas ce que j’espérais. De plus près, ils ont le goût de la cendre et du fer, alors je me détourne et je les laisse repartir. Je ne les regarde pas s’éloigner, cela ne sert à rien. Ce qui est passé est passé et le passé est mort.
En réalité, rien, pas même le passé, n’est aussi mort que moi.
Et pourtant, quel dommage pour eux qu’ils ne soient pas restés. Ces mecs qui boivent attendent toujours des soirées inoubliables et c’est exactement ce que j’aurais pu leur offrir. Je pourrais les rejoindre en un clin d’œil. Je me laisse glisser vers eux, prête à me matérialiser sur le plateau de leur pick-up – ça les toucherait vraiment que je m’approprie, même pour un instant, ce qui leur appartient – mais derrière moi, quelqu’un d’autre s’arrête. Un vieux break rouge cabossé, au parechoc piqueté de rouille. Je sens mon cœur s’emballer et ma main se porte à ma gorge, le geste d’une lady sous le choc, afin de cacher le tremblement de mes doigts.
La portière du côté passager s’ouvre et la veilleuse illumine un visage que je connais bien.
« Bonsoir, Rhee, me salue David avec un sourire. Je te dépose ? »
Volontiers, comme toujours , pensé-je, mais je ne lui réponds pas. Il ne devrait pas être ici. Il devrait être chez lui, loin des fantômes et des routes désertes. Quant à moi, je devrais chasser, attendre un nouveau conducteur acceptable, quelqu’un dont je me délecterais de la peur.
J’inspire profondément pour cacher un soupir. Je devrais lui demander de s’en aller, mais David me sourit et je sais que c’est peine perdue.
Les mains tremblantes, je me glisse à la place du mort. Le siège n’est pas en cuir comme dans la voiture des étudiants. Le revêtement est vieux, usé et taché comme un sac de jute. L’intérieur est décoré de dizaines de pochettes d’allumettes ; leurs cartons fluo, pastel, chamarrés colorent l’habitacle et leur odeur soufrée imprègne discrètement l’air ambiant. Je ris sous cape. David ne fume pas, mais il collectionne ces pochettes comme autant de souvenirs de vacances, même s’il ne part jamais loin ni longtemps. Un bar un peu louche, un bal country, le restaurant italien au centre-ville. Tous ces endroits qui vivent dans la nostalgie, regrettent leurs fumoirs et leurs femmes fatales, avec leurs fume-cigarettes, en quête d’un homme prêt à craquer une allumette pour elles.
Je m’installe plus confortablement pour le trajet et je frôle quelques pochettes. Elles devraient bruire à mon contact, mais je pèse moins qu’elles et elles, comme les détritus, ne remarquent pas ma présence.
David, lui, la remarque. Il se penche au-dessus de mon giron pour refermer la portière.
« Où va-t-on ? » demande-t-il, alors qu’il conna î t très bien la réponse. Trois miles nous séparent de notre destination. Trois miles , ni plus, ni moins.
La route défile, les buissons pleins de ronces, les saules, les entrepôts désaffectés, taches indistinctes et furtives sur l’encre de la nuit.
David serre les doigts sur le volant et il me jette un regard en coin.
«  Ç a faisait longtemps, dit-il et je me demande depuis combien de temps, mais ce soir, je préfère ne pas poser la question. Comment vont tes sœurs ? »
Je retiens un rire chagrin. Ce ne sont pas mes sœurs, pas au sens propre du terme, mais je ne le corrige pas.
« Toujours pareil, dis-je enfin sans le regarder. Et toi, comment tu vas ? »
Il hésite quelques secondes.
«  Ç a va.  »
Le léger tremblement dans sa voix prouve qu’il ment. C’est l’une des choses qui nous unit, David et moi. Nous n’avons pas toujours envie d’être à la maison. Je ne connais pas grand-chose de sa vie lorsqu’il n’est pas sur la route, si ce n’est ces quelques instantanés collés au scotch jauni parmi les pochettes d’allumettes. Il ne les regarde pas, alors je ne les regarde pas non plus. J’essaie de me convaincre qu’il n’existe rien d’autre que lui, moi et la route.
Nous avons déjà emprunté ce trajet des centaines de fois. Chacune est différente.
Certaines nuits, il me raconte des blagues, fait des jeux de mots et je ris.
Ou alors, il me parle du monde, qui pour lui ne se limite pas à la route. Je suis presque soulagée, dans ces cas-là, d’être déjà morte.
D’autres fois, nous roulons en silence. Nous nous adossons à nos sièges et nous écoutons le bruissement des pneus sur l’asphalte, berceuse mélancolique.
Et il y a les nuits où il ne vient pas. Mais je ne lui en veux pas, je ne suis pas là non plus tout le temps. Il ne sait pas quand il me verra et j’ignore quand je le croiserai. Ce qui rend les nuits où nous nous rencontrons encore meilleures.
Les piquets rouillés de la clôture se dessinent au loin et ma gorge se serre de déception. Cette enceinte de métal met fin à mon trajet. Il est toujours trop court.
David se gare sur le bas-côté. Je contemple la plaque gravée suspendue à quelques mètres.
Resurrection Cemetery .
Il para î t que c’est le lieu de mon dernier sommeil. Je ne pense pas. Mille fois, j’ai arpenté les allées du cimetière, traversé ses pelouses bien entretenues, contourné ses obélisques que le temps a penchés, exploré ses mausolées en ruines. Jamais je n’ai trouvé une tombe qui ressemblait à la mienne. Je ne sais plus comment je m’appelais, mais je suis certaine que je reconna î trais mon nom si je le voyais. Ce serait comme retrouver un vieil ami.
En attendant, Resurrection Mary est un surnom comme un autre. Il a un certain rythme. Bien entendu, il n’est pas aussi joli que Rhee, mais tout le monde ne conna î t pas mon petit nom. Je n’aimerais pas que cela soit le cas.
Au loin, ma maison m’appelle, elle m

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