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L'Élu de Milnor
Sophie Moulay
L'INTÉGRALE DES 5 TOMES DE LA SAGA La fuite d'Almus L'ombre de l'Ennemi L'Empire hargor Le pays des morts Le miroir du Sage
Collection du Fou
LIVRE 1 LA FUITE D’ALMUS
La Prophétie
Lorsque la constellation du Dragon entra dans la maison du Guerrier, nous sûmes que de grands bouleversements s’annonçaient.
Nous, les sept Sages de Milnor, nous réunîmes et entreprîmes de consulter les Oracles. Nous formâmes le cercle sacré et psalmodiâmes les paroles rituelles. L’un des Oracles daigna nous apparaître. Il nous expliqua qu’un grand péril nous menaçait. L’Ennemi s’apprêtait à asservir Milnor. Il entendait fondre sur toutes les contrées connues et réduire l’ensemble de la population à l’état de bétail. Sa première cible serait, bien entendu, les magiciens. Pire que tout, nul ne savait quoi que ce soit au sujet de cet Ennemi sans visage. Comment alors se préparer à l’affronter ?
Nous nous lamentâmes. Mais l’Oracle nous enjoignit de cesser nos jérémiades. Par bonheur, nous révéla-t-il, l’Élu venait de naître. Doté de pouvoirs magiques dépassant l’entendement, lui seul pourrait sauver Milnor de l’Ennemi.
Nous nous réjouîmes et demandâmes à l’Oracle où trouver cet enfant miraculeux. Il nous répliqua d’un ton sec que ce n’était pas son travail, mais il consentit à nous donner des détails qui nous permettraient d’identifier l’Élu.
En premier lieu, l’Élu aurait l’index droit légèrement plus long que le gauche.
Une minuscule tache bleue ornerait son œil droit.
Son nombril serait légèrement concave.
Nous nous risquâmes à l’interrompre et lui fîmes remarquer que ces indices étaient bien maigres : une vie entière pourrait s’écouler avant la découverte de l’Élu. L’Ennemi nous aurait certainement asservis d’ici là.
Agacé, l’Oracle rétorqua qu’il nous avait donné largement de quoi identifier l’Élu, mais que puisqu’il fallait vraiment tout faire soi-même, pour le bien de Milnor, il consentait à nous éclairer davantage. Nous trouverions l’Élu à proximité d’un village aux tuiles multicolores, il aurait les cheveux noirs et les yeux verts et posséderait trois grains de beauté disposés en triangle équilatéral sur la face interne de la cuisse gauche.
Sur ce, l’Oracle disparut.
Malgré ces précisions, il nous fallut deux précieuses années pour trouver l’Élu.
Extrait des Chroniques de l’Élu , par le Sage Santos.
1. L’imposteur
Almus, renfrogné, referma brutalement son livre d’arcanes. Son maître, le Sage Lero, leva les yeux au ciel et réprima de justesse le soupir qui lui venait aux lèvres. Il s’efforça de se montrer patient et demanda d’un ton calme :
Qu’y a-t-il ?
Almus haussa les épaules, croisa les bras sous ses aisselles et se tourna vers la fenêtre d’où montaient les bruits des préparatifs de la Célébration d’hiver. L’irritation de Maître Lero se dissipa. Un sourire fleurit dans sa barbe grise.
« Après tout, ce n’est qu’un gamin » songea-t-il à part lui.
Comme en écho à ses pensées, Almus, les joues très rouges, lâcha soudain :
Travailler, toujours travailler ! Tout le monde s’amuse en bas et moi, je suis coincé là avec un bouquin poussiéreux et autres vieilleries.
Merci, rétorqua le précepteur, un peu piqué.
Oh ! Pardon, je ne voulais pas vous manquer de respect, Maître ! s’empressa de s’excuser le jeune garçon, confus. C’est seulement que…
À court de mots, Almus se tut et désigna d’un geste du bras la salle ronde, située dans la tour ouest du palais des Sages. Il jeta un regard implorant vers son mentor qui continua à sa place :
Tu aimerais, juste une fois, oublier qui tu es et te mêler aux autres.
Oui, s’écria avec force Almus. S’il vous plaît ! Juste une fois ! Personne n’en saura rien !
Pensif, Maître Lero étudia longuement son élève. Âgé de treize ans, les cheveux ébène, comme tous les natifs des Vieilles Terres, le jeune garçon avait hérité de la haute taille et des yeux verts de sa mère, descendante d’une prestigieuse lignée de guerriers d’Haïg, et des traits réguliers de son père, le duc de Varsh. Pour l’heure, Almus se penchait sur sa chaise, suppliant. Le Sage inspira profondément, étouffa la pitié que l’adolescent suscitait en lui et répondit, pontifiant :
Tu es l’Élu et tu dois prendre conscience…
De mes différences et de mes responsabilités envers tous les habitants de Milnor, coupa Almus avec colère. Je sais tout cela ! Vous et vos semblables passez vos journées à me le rabâcher sur tous les tons. Parfois, la nuit, je me surprends à me le répéter, quand je rêve de liberté. Rendez-vous compte ! Vous m’avez volé mes songes ! J’en ai assez !
Le jeune garçon se leva avec brusquerie, renversant sa chaise, et quitta la pièce sans un regard derrière lui.
Resté seul, le Sage remit le livre d’arcanes à sa place. Mais son esprit était ailleurs. Les éclats d’Almus se faisaient plus fréquents depuis quelques lunes ; le jeune garçon revendiquait de plus en plus âprement le droit à n’être qu’un adolescent de treize ans et, en tant que tel, à s’amuser. Il devenait difficile à contrôler.
Dire que le salut de Milnor dépendait de cet enfant ! Comment Almus pourrait-il accomplir la Prophétie s’il rechignait à travailler ? Ce n’était pas de gaieté de cœur que ses mentors le privaient de liberté : toute distraction lui aurait fait prendre un retard considérable dans ses études.
Lorsque l’Oracle avait révélé la Prophétie, il avait livré des détails qui permettaient d’identifier à coup sûr l’Élu tout juste né. Malgré cela, les Sages avaient mis deux ans à trouver Almus. Deux précieuses années ! Un retard impossible à combler ! Et pourtant, il le faudrait bien, pour sauver Milnor.
Almus, les joues et les oreilles en feu, monta en tapant des pieds les marches menant au sommet de la tour. Lorsqu’il émergea à l’extérieur, le froid lui fit du bien, et après quelques minutes passées à bougonner dans la neige, il fut bientôt trop transi pour ruminer encore sa colère. Il envisagea un bref instant de transformer sa tunique de laine en un épais manteau, mais la dépense d’énergie nécessaire le poussa à renoncer. Cinq minutes à l’air libre ne le tueraient pas ! Et s’il tombait malade, ce serait la faute des Sages. Peut-être que s’il passait à deux doigts de la mort, ils réfléchiraient la prochaine fois qu’ils lui refuseraient une distraction.
Almus se reprocha sa puérilité, puis sa colère revint quand il songea que les Sages lui avaient tellement bourré le crâne qu’ils n’avaient même plus besoin de le gronder : il s’en chargeait désormais tout seul.
Et puis zut ! Il avait treize ans et il pouvait bien se permettre des réactions infantiles. Le jeune garçon façonna quelques boules de neige et bombarda les merlons de la tour en imaginant qu’il visait la tête des sept Sages. Il eut la satisfaction d’atteindre cinq de ses cibles ; seuls Maître Lero et le Grand Maître Zad en réchappèrent.
Enfin calmé, Almus s’assit sur un créneau et regarda en bas. Des hommes érigeaient contre les murs du palais des tentes aux couleurs des guildes de l’île d’Obélane : vertes pour les magiciens, garance pour les voyants, moutarde pour les guerriers, et d’autres encore. Tout au bout du champ de toile bigarrée, Almus aperçut même une tente noire, couleur des assassins.
Dans deux jours, au solstice d’hiver, on fêterait la Célébration. Ce serait l’occasion de réjouissances, de banquets et de danses. Les habitants d’Obélane, d’Haïg et des Terres Pourpres amèneraient leurs enfants dans l’espoir qu’ils seraient remarqués par les chefs des guildes les plus prestigieuses. Les parents d’Almus feraient le voyage depuis Varsh, dans les Vieilles Terres. Un an qu’il ne les avait pas vus ! L’adolescent enragea derechef à l’idée qu’il ne pourrait pas arpenter avec eux les avenues de la ville de tissu qui se dressait à ses pieds, qu’il ne pourrait, cette année encore, choisir lui-même les cadeaux destinés à ses parents ou à sa sœur. Il faudrait qu’il reçoive sa famille ici, à l’intérieur du palais, et toujours en présence d’au moins un Sage.
La rencontre serait guindée au possible, comme d’habitude.
Almus eut les larmes aux yeux en songeant à l’expression torturée qu’arborerait inévitablement sa mère.
La Célébration durerait trois jours, à l’issue desquels l’Élu ferait son apparition, ovationné par la foule. Il opérerait quelques petits tours de magie, que n’importe quel membre de la guilde des magiciens pourrait reproduire. Mais peu importait ! La masse serait satisfaite, se sentira