Le grand sablier à la renverse
394 pages
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Le grand sablier à la renverse , livre ebook

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Description

Raphaël et Joana sont séparément absorbés par la Mnémosphère réceptacle d’espaces-temps. Insensible au temps, Mnémos secondé par Cursus en contrôle le fonctionnement. D’après Mnémos les absorptions de terriens sont involontaires mais qui est absorbé, ne peut être libéré. Affamé, Raphaël est intégré dans un espace-temps du XVIème siècle, tandis que Joana sale et frigorifiée est intégrée dans un espace-temps préhistorique. Raphaël et Joana se rencontrent. L’un des Observateurs en charge de l’Ordre cosmique leur apprend que Yakis violeur assassin s’est enfui de son espace-temps naturel pour un tout autre lieu. Par crainte de désordres catastrophiques intolérables l’Observateur contraint Raphaël et Joana à pourchasser et neutraliser Yakis. La traque se déroule à travers siècles et espaces-temps près d’Amsterdam, de Maëstricht, de Guilin (ville chinoise) ; jusqu’aux arènes de Capoue un siècle avant Jésus-Christ.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 mai 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332675576
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright
Cet ouvrage a été composé par Edilivre 175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50 Mail : client@edilivre.com www.edilivre.com
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN numérique : 978-2-332-67555-2
© Edilivre, 2014
Le temps n’est pas une réalité objective mais une façon de penser.
Spinoza
Lechemin
Ciel bleu, soleil au zénith, brise légère, un pinson chante. Jour d’Août. Le lac n’est que le calme et scintilla nt reflet du camaïeu vert des montagnes boisées environnantes sous le bleu profon d du ciel. A peine frissonne-t-il lorsqu’un souffle balance mollement les longues bra nches du saule pleureur de la maison de campagne des Jeansac. C’est par l’étroite et courte allée de lauzes qui p rolonge la terrasse à demi couverte, que Raphaël et son frère Igor quittent la maison de pierres blanches au toit d’ardoise. Portail de fer en bordure de route atteint, Igor qu estionne : – Et maintenant que faisons-nous ? Le tour du lac a u petit trot, le tour du bourg à petits pas ? – A quelques minutes de midi, nous disposons encore de trois bons quarts d’heure avant d’aller déjeuner, donc assez de temps… – Pour contourner le patelin sans nous presser. – Approuvé ! Allons-y, go ! – Zut et zut ! Eh bien non, je ne l’ai pas, s’écrie presque aussitôt Igor en tâtant nerveusement jusqu’aux plus petites poches de son j ean. – Que cherches-tu, un mouchoir ? – Non, mon portable. J’ai dû l’oublier sur la table de la cuisine. – Et moi, j’ai oublié ma montre dans ma chambre. Tu me la rapportes ? – D’accord, je vais récupérer montre et portable. V a, va ! Ne m’attends pas ! Je te rejoindrai bientôt sur le chemin. A pas lents pour ne pas trop distancer son frère, R aphaël se dirige vers le chemin qui encercle à demi les maisons du bourg. Un pinson souligne si joliment la douceur du jour de sa chansonnette, que s’essayant à l’imiter, Raphaël se met à siffloter gaiement. Trente ans, un mètre quatre vingt, long de jambes, cheveux blonds rares, taillés courts, yeux bleus piqués de reflets cuivrés, bouch e large prête à sourire, Raphaël Jeansac de joyeuse humeur se félicite d’être à l’ai se dans les chaussures basses de cuir noir qu’il porte pour la première fois. Mains dans les poches d’un jean qui ne sort pas de l’arrière boutique de quelque fripier et don t un ample T-shirt blanc frappé d’un Don’t forget memasque plus que la ceinture, il pense à c elle qui l’a écarlate récemment accaparé tout entier de corps et d’esprit . Il pense à Clara dont les yeux noirs aux lumineux éclats sous les arcs sombres de ses sourcils l’ont ensorcelé trois amoureuses semaines durant. Clara dont il a mordill é les lèvres à petites dents jusqu’à les écarter d’une langue fébrile. Clara nue, sensue lle, adorable, adorée. Clara comme au bout de ses doigts. Clara abandonnée, gémissante . Clara… Troublé, Raphaël ferme les yeux, s’arrête un instant, chasse de trop hard pensées, pivote sur ses talons et s’engage sur le chemin herbeux distraitement dépass é qui contourne le bourg. Ciel bleu. Soleil au zénith. Brise légère. Le pinso n ne chante plus. Dans l’ombre d’un chêne en bordure de pré un cheval blanc se tient immobile. Adossé à l’arbre, un homme assis dans l’herbe sembl e dormir. Aucun oiseau ne sillonne le ciel. Silencieuse, tranquille, la campagne paraît figée. Entre les éboulis de pierres sèches et moussues du chemin, Raphaël avance à petits pas, cueille un coquelicot sur le flanc d’un talus, en mordille distraitement la queue, regarde alentour, s’arrête. Soudain, de loin, Igor se manifeste : – Raphaël ! Attends-moi ! J’arrive ! » Raphaël se retourne vivement alors que les cloches de l’église sonnent en branle l’Angélus de midi…
* * *
Mnémos
Etalé, à plat ventre sur le sol, c’est dans cette p osition que Raphaël récupérant le siècle retrouva ses esprits. Difficilement car il s e tenait sur quelque chose de bizarre, d’inattendue, d’un blanc laiteux, de fait sur une p laque d’ivoire circulaire, lisse, d’une bonne vingtaine de mètres carrés. Pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, Raphaël entrouv rit à demi les yeux et observa attentivement les lieux qu’imprégnait une lumière d ouce, diffuse, dont la source lui échappait. Soudain lui revint le souvenir de sa promenade sur le chemin désert, de l’appel de son frère, du branle des cloches de l’église. Que s ’était-il passé au-delà ? En quel lieu insolite se trouvait-il tout à coup ? Plus qu’intrigué par ce qu’il en percevait alors qu ’allongé il tentait d’appréhender espace et temps, il décida d’agir, de remuer, de se redresser. Aussi, prenant appui des deux mains sur le sol, s’agenouilla-t-il lentement ; prudent, craignant d’exposer sa haute taille à quelque danger, fesses sur talons, i l ne se mit pas debout. – Que tout cela est étrange, murmura-t-il, en const atant qu’il se trouvait dans une gigantesque sphère de plus de cinquante mètres de d iamètre. Comment et par quel artifice suis-je passé du chemin de campagne famili er cent fois parcouru, dans ce milieu dépourvu de végétation, désert et mystérieux qui m’entoure ? Quelle porte ai-je inconsciemment franchie pour pénétrer dans ce gigan tesque édifice ? se demanda encore Raphaël en remarquant que les parois sphériq ues n’étaient qu’une vaste mosaïque multicolore, lumineuse, sur laquelle coura ient des bulles de lumière scintillantes et colorées. « A l’évidence, constata-t-il, me voici bel et bien allongé sur un assemblage circulaire de pièces d’ivoire jointées d’or, lisses comme une joue d’enfant. Dieu merci, sans blessure et sain d’esprit, mais fichtrement dé contenancé par l’étrangeté de la situation. Qui m’a planté sur cette plaque chrysélé phantine ? » Alors qu’il fermait les yeux pour tenter d’appréhen der de sa propre logique son irrationnelle situation, il entendit une musique. D u moins est-ce ainsi qu’il nomma ce qu’il venait de percevoir, qu’il entendait encore. Musique ? Certes, il ne s’agissait ni d’un air connu, ni même de la plus laconique des mé lodies. Non. Graves, aiguës, courts, réverbérés, ces sons riches de somptueux ha rmoniques, n’étaient apparemment que suite synthétiques erratiques. Suit es douces, limpides, issues de nulle part, singulièrement apaisantes. « Apaisantes ou lénifiantes ? Pour me rassurer, ou, sinistre perfidie, pour faire de moi un sujet docile ? se demanda le jeune homme. Circonspect tout autant que curieux, décollant ses fesses de ses talons, Raphaël se redressa. Lentement. Et pour scruter ce qu’il y ava it au-delà de la plateforme d’ivoire, glissant sur les genoux, il s’approcha du bord. Se pencha et là… Là, suffoqué, de surprise il tressaillit. Violemmen t. Voir ce qu’il voyait ne pouvait en effet que le sid érer, lui couper le souffle, lui brouiller l’esprit car entre son substrat d’à peine vingt cen timètres d’épaisseur, et ce qui devait être vingt cinq mètres plus bas le pôle sud de la s phère, il n’y avait rien. Sinon le vide, strictement rien. Aucune structure, aucun pilier ne soutenait la plateforme. Et comme ni pont de métal, ni passerelle de cordes, ne la relia it aux parois multicolores qui bornaient son horizon, Raphaël se trouvait donc age nouillé sur un îlot d’ivoire flottant dans le plan équatorial d’un monde sphérique. – Qu’est-ce donc que ce milieu où flotte un très pe sant bloc d’ivoire ? murmura-t-il. Epoustouflant ! Je plane dans l’irrationnel. Reste à savoir ce qu’il y a derrière moi. Pivotant d’un demi-tour sur ses genoux, levant les yeux, il vit un homme.
Un homme debout sourcils froncés, qui l’observait f ixement. Un homme de belle allure, de haute taille, d’une quarantaine d’années , dont un bandeau frontal de cuir rouge sang plaquait de courtes mèches brunes. Vêtu d’une fine chemise de lin blanc au col largement ouvert qu’un cordon noir dénoué ne fermait pas, l’homme portait culotte de drap noir bouffant à mi-mollet. D’une ép oque à définir, son accoutrement, singulier, frôlait l’extravagance. Bottes de cuir fauve, jambes écartées, bras croisés, sûr de lui, l’homme observait Raphaël qui, bouche bée, yeux grands ouverts, se demandait qui était l’inconnu si bizarrement accoutré qui lui faisait face. – Qu’est-ce encore que cette chose-là ? murmura l’h omme si bas que Raphaël ne put l’entendre. Un homme agenouillé ? Voilà qui va sûrement perturber mon existence. Et si de surcroît la curiosité de cet individu vaut celle de l’insatiable femme qui l’a récemment précédé… Lève-toi ! dit l’homme d’une voi x ferme. Allez, lève-toi ! Ne reste pas à hauteur de mes bottes ! Déplie-toi !… Libère ta langue pour me dire qui tu es. Raphaël ne répliqua pas. Pensif, il s’appliqua à ré fléchir, à faire le point, sans précipitation, judicieusement. « Où suis-je tombé grand Dieu ? » pensa-t-il. Bien que déconcerté par l’étrangeté des lieux, Raph aël affronta la situation. Appréhender les problèmes, les décortiquer jusqu’à l’os, y déceler la faille, s’y introduire avec succès, Raphaël savait dominer ces problèmes-là, les résoudre à son avantage. Pour preuve, sa place au sein même du bur eau directorial d’un groupe informatique de réputation internationale. Aussi dé cida-t-il de répondre avec calme et fermeté à l’inconnu. – Qui je suis ? Qui je suis, moi votre victime, moi que vous venez de capturer, d’incarcérer ? Qui je suis ? Ne devriez-vous pas pl utôt m’expliquer pour quel motif et dans quel but vous m’avez agressé ? Me dire qui vou s êtes, où je me trouve, ce que j’y fais ? – Vocabulaire inadéquat, jeune homme. Le mot agress é est à rejeter. Tu en conviendras plus tard. Qui suis-je, demandes-tu ? M némos. – Qui ? Némo, le capitaine ? – Mnémos, répéta l’homme non sans irritation. Et po ur te répondre plus largement Mnémos, responsable du Mnémorandum dans lequel tu v iens de t’introduire. – Involontairement. Vous le savez mieux que quiconq ue, non ? – Le Mnémorandum appartient en effet à un monde trè s particulier qui entre parfois en contact avec le tien. Une intrusion est alors po ssible. Tu n’es pas le premier. Quatre personnes ont hélas perturbé, comme toi-même, ma pa isible existence. – Quoique étrange et mystérieux, votre Mnémorandum ne m’intéresse pas, répliqua Raphaël, avec véhémence. Retrouver mon frère que ma soudaine disparition doit désespérer, voilà ce que je veux, que vous ne pouve z me refuser, ne serait-ce que pour retrouver, comme vous dites, votre paisible ex istence. – Je n’en ai pas, hélas, le pouvoir. – Vous, le responsable de ce… Mnémorandum ne pouvez pas me reconduire. Voilà qui est ahurissant ! Qui peut le faire ? – Je crains qu’il ne te faille renoncer à une recon duction. – De quel droit me retiendriez-vous ? – Je ne te retiens pas, de fait, je te subis, toi, dont j’ignore toujours le nom. – Mon nom, mon nom, Pierre ou Paul, que vous importe ? – Pour plus de liant dans la conversation qui risqu e hélas de s’éterniser, il m’importe de pouvoir t’interpeller nommément. Ton nom, oui, n e t’ai-je pas donné le mien ? – Raphaël, satisfait ? Cela dit, ramenez-moi près d e mon frère qui doit anxieusement me chercher. – Je le ferais avec empressement si j’en avais le p ouvoir. – Quelqu’un d’autre ?
– Cursus ne pourrait rien pour toi non plus. – Qui est ce Cursus ? – Cursus et moi vivons dans la Mnémosphère qui abri te le Mnémorandum. – Mnémorandum, Mnémosphère, que m’importe ! Mais, p robant, indéniable : je suis votre prisonnier. – Tu le serais si c’était là ma volonté. Or, aussi étrange que cela t’apparaisse, j’ignore tout du pourquoi et du comment de ta situa tion. Je sais seulement. que des contacts ponctuels s’établissent au cours des révol utions propres à nos mondes respectifs et qu’une faille ouverte au point de con tact absorbe qui s’y trouve. – Admettre que j’ai traversé sans dommage les paroi s d’une sphère de cinquante mètres de diamètre renfermant ce que vous appelez l e Mnémorandum, est-ce vraiment là tout ce que je dois croire pour ne pas dire, ava ler ? – Incrédulité parfaitement compréhensible. Toutefoi s, Raphaël, réfléchis ! As-tu vu la Mnémosphère sur ton chemin ? – Je n’ai vu et entendu que mon frère. – As-tu souvenance d’efforts physiques ou mentaux p our arriver jusqu’à moi ? – Aucun, convint Raphaël. – L’hypothèse d’une Mnémosphère transparente et per méable te paraît-elle finalement plausible ? – Plausible ? Comment y croire ? Etrange, insolite et mystérieuse, je vous le concède. Au-delà, je me demande si vous ne tentez p as de me leurrer. Et comme je vous connais trop peu pour appréhender la vérité de vos propos, je me réfugie dans une version plus terre à terre, plus vraisemblable à mes yeux. J’imagine donc qu’assailli sur le chemin, frappé, assommé, j’ai ét é transporté inconscient jusqu’ici. Voilà. Reste, j’en conviens, la raison de cette agr ession ainsi que votre rôle dans cette histoire. Mais revenons sur votre idée, sur la perm éabilité de la Mnémosphère. Admettons-la, conduisez-moi jusqu’à la frontière de votre monde sphérique et voyons ensemble si je peux la franchir, retrouver mon chem in. Facile, non ? – Tentative inutile, tu courrais à l’échec. – Vous vous y opposeriez ? – Nullement, et je t’aiderais, ne serait-ce que pou r retrouver ma sérénité. – Pourquoi serait-ce un échec ? – Parce que la perméabilité de la paroi est unilaté rale. «Quoi ? se dit Raphaël. Dois-je comprendre qu’on entre ici sans retour po ssible ? Que j’y suis séquestré à vie ? A vie dans cette cho se sphérique sans ciel, sans soleil, sans le moindre brin d’herbe ? Pourquoi serais-je v ictime de cette abominable monstruosité ? Qu’ai-je fait pour devoir subir cett e cruauté ? Pourquoi moi ? Dans quel but ce kidnapping, cette incarcération. ? A moins q ue… oui, à moins que cette mascarade ne soit qu’un rêve, qu’un cauchemar épouv antable. A moins qu’agressé, drogué, balancé dans les rets serrés d’un hallucino gène, je ne sois victime d’hallucinations. Après tout, Mnémos n’est peut-êtr e qu’une bulle d’illusion. Rien qu’une bulle sur le point d’éclater avant de s’épar piller comme poudre aux yeux dans un courant d’air ? » Et là Raphaël serrant très fort les poings, tête ba issée, ferma les yeux pour mieux se concentrer sur ce qu’il allait répliquer à Mnémos. – Répondez Mnémos ! reprit-il à voix haute en détac hant chaque syllabe. Rassurez-moi ! Dites-moi qu’accablé de solitude vous m’avez abusé pour vous distraire. Dites-moi que tout ce verbiage n’est que plaisanterie ser ait-elle cruelle. Dites-moi que je ne suis pas condamné à perpétuité dans ce milieu clos et désert. Sachez, oui, sachez que séparé des miens, vous n’obtiendriez rien de moi. R ien Mnémos. Répondez Mnémos ! conclut-il en rouvrant les yeux. Il était seul. Mnémos avait disparu.
Et la musique avec lui. Seules les bulles lumineuses butinaient encore la m osaïque multicolore. A bout de force Raphaël tomba à genoux. – Mnémos ! cria-t-il. Sans réponse, il s’affala sur le sol en frappant ra geusement l’ivoire de ses poings.
* * *
Emergeant du sommeil dans lequel tant d’émotion l’a vait plongé, Raphaël reprit très rapidement conscience de sa fort singulière situati on. De quelle durée mon sommeil ? s’interrogea-t-il. Et soudain, à la pensée d’Igor, de ses parents sans doute à cette heure atterrés, une inexprimable angoisse lui serra le cœur si durement qu’il défaillit et dut s’appuyer des deux mains sur le sol pour ne pas s’écrouler. Une angoissante et noire perspective s’imposait : i l était prisonnier à vie d’une chose invisible que Mnémos nommait Mnémosphère. – Humm ! Un léger grognement le fit se retourner br usquement : Mnémos était à nouveau devant lui. La musique douce et fluide tomba à nouveau en pluie cristalline tandis que de longs chapelets de bulles lumineuses sillonnaient l’espac e boréal de la sphère. Tenue vestimentaire transformée, Mnémos portait une chemise de soie écarlate à col d’officier discrètement entrouvert, ainsi qu’un pantalon blanc d’une coupe parfaite dont le pli central tombait droit sur des mocassins vernis aux reflets fauves. Bandeau de corsaire des Caraïbes abandonné, il arborait un élégant chapeau de feutre noir à large bord légèrement incliné sur la nuque. Raphaël ne put s’empêcher de l’apostropher aussitôt d’une voix sèche et rude. – Pourquoi avez-vous fui au lieu de me répondre ? – Pourquoi t’aurais-je fui ? Souhaitais-tu vraiment que je répète ce que tu venais d’apprendre ? Non, je n’ai pas fui mais tu m’as par u si tourmenté et si exténué que dans ton intérêt même, je me suis éloigné. Tu t’es d’ailleurs aussitôt effondré dans un sommeil dont tu viens tout juste d’émerger. Je comp rends ton désarroi, mais je ne suis en rien responsable de ta situation. La substance c omposite de la sphère est telle qu’elle absorbe mais ne restitue pas. C’est ainsi. Pour ma tranquillité je le regrette sans pouvoir rien y changer. – Ta Mnémosphère n’est donc qu’une prison et toi… – Tiens, tu me tutoies ? Te serais-je devenu sympathique ? – Ce n’est pas la sympathie qui m’anime Mnémos, mai s la colère. Une colère folle tant je suis furieux et accablé d’être ici ne serai t-ce que par hasard. En colère parce que plongé dans la pire des angoisses, celle de ne plus revoir les miens, en bref une torture si horrible, si douloureuse que je ne sais comment la qualifier. » Observant Raphaël exprimer colère et douleur avec v éhémence et force gesticulations, Mnémos s’abandonna à la réflexion. Quoique révolté, l’homme devra l’admettre tôt ou ta rd, le Mnémorandum ne comporte aucune issue jusque et y compris dans les plus obscurs recoins de la sphère, si tant est qu’unesphère puisse recéler des encoignures. De fait, il ne me croit pas, ne veut pas me croire et déraisonne à l’idée d ’être à jamais enfermé dans mon immense coquille. Détruire définitivement ses illus ions au plus vite s’impose. Je vais devoir être plus convaincant. le dis. Ces tourmentsTorturé parce que séparé des tiens ? C’est toi qui exclusivement liés aux circonstances me sont-ils im putables ? Non. Une issue est-elle envisageable ? Non. Je le regrette vraiment car ton intrusion perturbe mon existence et je n’aime pas ça Raphaël, pas ça du tout. Je ne te retiens donc pas, je te subis, ce qui
n’est pas tout à fait la même chose, reconnais-le ! Et puis, t’ai-je menacé, mis aux fers durant ton sommeil ? – Sans issue, c’est toi qui le dis, rétorqua aigrem ent Raphaël. Pour te croire, tu dois avancer des preuves probantes, indéniables, ce qui est possible puisque quatre personnes avant moi ont été absorbées pour reprendre tes propres termes. Exact ? – Quatre en effet. – Aucune issue dans la Mnémosphère pour ces quatre-là, n’est-ce pas ? – Tu connais la réponse. – N’ayant pu s’échapper, les quatre sont donc encor e ici. Logique, non ? Montre-les moi ! Les voir, les entendre me permettrait au moin s d’y voir clair. Les voir, vérifier qu’ils sont bien vivants. Les questionner, les ente ndre m’affirmer qu’ils ont observé le moindre centimètre carré de la Mnémosphère sans y d éceler la plus petite issue. Que la sphère est close, hermétique, que toute tentativ e de fuite serait vaine. Totalement. Sans recours comme tu l’affirmes. – Voir et entendre ? Pas si simple. – Ces quatre personnages seraient-ils fruits de ton imagination, autrement dit, un mensonge de plus ? – Tu m’exaspères Raphaël, répliqua Mnémos en haussa nt le ton. Ces gens-là se sont bel et bien manifestés. Cibler chacun d’eux ne m’imposerait aucun effort particulier. En revanche, le résultat t’étonnerait tellement qu’une démonstration préalable s’avère indispensable. Te montrer ostensi blement qui je suis devrait te convaincre. Regarde-moi attentivement Raphaël ! – Sinon toi, qui pourrais-je voir ? – Regarde ma main ! Et paume ouverte, doigts joints, Mnémos leva sa mai n gauche à la hauteur de son visage. – Que dois-je y voir ? – Observe-la attentivement ! Regarde-la fixement ! Et Raphaël vit se dessiner peu à peu un visage dans la paume de Mnémos. – Ce visage n’est-il pas celui qu’ordinairement les miroirs te servent ? demanda Mnémos. Subjugué, bouche bée, Raphaël n’en crut pas ses yeu x : côte à côte se tenaient deux visages, celui de Mnémos et trait pour trait, précisément, le sien. Plus étrange, Raphaël vit ses traits se transformer, sa peau se p lisser, se creuser, joues et front se rider, se maculer de tavelures. – Grands dieux ! Que suis-je devenu ? s’inquiéta-t- il. Suis-je en fin de vie ? Non, pourtant non, remarqua-t-il en frôlant ses joues du bout des doigts. Non, mes joues, mon front sont lisses. Ma peau n’est pas fripée… – Rassure-toi, ta jeunesse est intacte. Cela dit, r etiens que mon visage, lui, n’a pas changé durant l’expérience. A ces mots le visage virtuel de Raphaël disparut et Mnémos baissant le bras qu’il avait levé mit la main dans sa poche. – Pourquoi ce numéro d’illusionniste ? Pourquoi ces manigances ? Que veux-tu de moi ? Qu’espères-tu démontrer ? questionna sèchemen t Raphaël que cette manipulation troublait au plus haut point. – Ta peau intrinsèquement vouée à dessiccation, ton corps à corruption, je veux te faire comprendre que le temps altèrera fatalement t on corps tout entier, alors que je resterai, moi, tel que je suis. En plus lapidaire, tu dois le savoir : le temps ne m’est pas compté. – Insensible au temps ? Incorruptible ? Voilà qui e st stupéfiant pour ne pas dire incroyable. Et depuis quand ? insista Raphaël sceptique et goguenard. – Question superflue. Je suis, point. Et ce « Je su is », sache-le, exprime l’alpha et
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