Le jardin 2
139 pages
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Le jardin 2 , livre ebook

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Description

Dystopie - 294 pages


De retour dans un jardin inconnu et expérimental, Kiaya assume ses nouvelles responsabilités afin de protéger son fils et sa famille. Elle n’a cependant pas dit son dernier mot. Son instinct de mère ainsi que l’emprise religieuse sur ses consœurs la motivent à chercher au plus vite un moyen de s’échapper. Or, les détracteurs n’attendent qu’un faux pas de sa part pour la mettre hors d’état de nuire. Au pied du mur, épiée, désespérée et terriblement seule, Kiaya se réfugie dans ses souvenirs et s’accroche au fantôme d’Isaac.



Elle ne pensait plus jamais entendre sa voix, mais un beau jour, après des mois de silence, il l’appelle : les insurgés déclarent la guerre.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782379613760
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Lejardin – Tome 2
AUDREY ROUSSELIN
AUDREY ROUSSELIN M entions légales Éditions Élixyria http://www.editionselixyria.com https://www.facebook.com/Editions.Elixyria/ ISBN : 978-2-37961-376-0 Concept de couverture : Didier de Vaujany
Chapitre 1
Kiaya Des sueurs froides, des douleurs lancinantes dans tout le bas du corps, des larmes plein les yeux, l’impression de donner naissance à un monstre… Il me déchirait de l’intérieur, avec ses griffes. Qu’est-ce que je racontais ? Il ne s’agissait pas d’un démon, mais d’un ange. La fièvre me propulsait dans un monde entre folie et détresse. Je vivais un supplice. Les contractions me foudroyaient, m’arrachaient des cris à en perdre haleine. Mon cœur pulsait très fort, je peinais à respirer et à garder les yeux ouverts. La chambre tournait tout autour de moi, je me sentais partir, quand bien même Lola agrippait ma main et me demandait de tenir bon. — Tu y es presque, ajouta-t-elle. Courage ! Elle ne comprenait pas, je ne voulais pas que cela se termine. Je pouvais supporter toute la douleur nécessaire, mais pas celle de perdre mon fils. Lola allait me l’enlever. Dès que la sage-femme l’extrairait de mon corps, elle l’emmènerait au sous-sol, il ne m’appartiendrait plus. Rien que d’y penser, j’éclatai en sanglots et pressai les draps entre mes doigts. Un hurlement jaillit de ma gorge. Je sentais les mains de la sage-femme chercher la tête du bébé. Il arrivait. Je devais souffler et pousser de toutes mes forces, peu importait mon état d’épuisement. — Non, non ! criai-je. C’est mon bébé ! Mon instinct maternel reprit ses droits. Je gigotai dans tous les sens, comme possédée par un esprit fou furieux. Les étriers retenaient mes coups, m’empêchaient d’atteindre la sage-femme et Lola, mais si j’avais pu, si l’on m’avait laissé assez de liberté pour tout envoyer valser, je les aurais étripées sans scrupule dans le seul et unique but de garder mon enfant. Ils n’avaient pas le droit de me le voler. Je l’avais porté pendant neuf mois, je l’avais aimé à la seconde où je l’avais senti en moi et je refusais que les détracteurs l’élèvent à ma place. — Votre Majesté, calmez-vous, me recommanda Lola en serrant plus fort ma main. Nous en avons déjà parlé, vous n’avez pas le choix. Dieu appelle cet enfant auprès de Lui. Foutaises ! On me servait toujours les mêmes excuses. Nous vivions dans un mensonge, un mensonge dont nous avions pleinement conscience et que nous régissions, pour notre survie et celle de nos sœurs. Je préférais de loin ignorer dans quelle sphère infernale les détracteurs nous avaient placées. Les « Mains de Dieu », aurais-je dû dire, puisque je n’avais plus le droit de les appeler d’une autre façon. Plus depuis que j’avais trahi les insurgés et choisi de mener cette existence. Lola avait raison, je n’avais pas d’autre alternative. Mon corps poussait de lui-même et, bientôt, la prophétesse me demanderait des comptes. J’étais au fond du gouffre. Terrassée par la douleur mêlée à un profond chagrin, je ne résistai pas plus longtemps et laissai faire la nature. Je hurlai une fois de plus, un cri si puissant que l’on dut m’entendre jusqu’aux cieux. Les femmes de mon précédent Jardin disaient que donner la vie représentait une épreuve que seules les plus dignes pouvaient accomplir, et je comprenais pourquoi elles insistaient là-dessus, maintenant. Je me posai toutefois une grande question : étais-je une personne digne ? Je me noyais dans des larmes d’amertume. La sage-femme attrapa la tête du petit et hissa ce dernier jusqu’à elle avant de couper le cordon ombilical avec un couteau purifié à l’eau bénite. J’éprouvais malgré moi un soulagement, car j’avais atteint mes limites, je n’aurais pas pu continuer ainsi plus longtemps. Plus légère et éreintée par cette épreuve, je faillis m’endormir, mais les pleurs du bébé m’empêchèrent de sombrer. J’aperçus sa toison noire qui dépassait de la couverture dans laquelle l’avait enveloppé la sage-femme.
Mon cœur se fendit en deux. — Au nom de Dieu, donnez-moi immédiatement ce bébé, ordonnai-je. La sage-femme, une « Ancienne » qui répondait au nom de Cécilia, le caressa du bout des doigts sans me prêter attention. Quelle garce ! — Je suis votre reine, lui rappelai-je d’un ton sec. J’ai besoin de le toucher. Ma voix se brisa tandis qu’il pleurait plus fort, comme s’il m’appelait. Il voulait sa mère, il voulait mes bras, ma chaleur, ma douceur. Mon amour. Je ne pouvais pas le regarder partir sans réagir. Je n’avais plus que lui. Il représentait tellement… Il fallait que je l’embrasse, rien qu’un instant. Seulement un instant. C’était tout ce que je demandais. Cécilia, dont le visage rond s’empourprait au fur et à mesure qu’amplifiait son malaise, me tourna le dos. Je ne voyais plus que sa coupe au carré et l’ombre de mon enfant projetée sur le sol par la panoplie de bougies qui éclairaient la pièce. Quelque chose se rompit en moi. De violents tremblements me saisirent, je me livrai à une frénésie inouïe. — Rends-le-moi ! Rends-moi mon bébé, espèce de folle ! Lola se jeta sur moi et m’obligea à rester allongée. — Elle ne peut pas, Votre Majesté, affirma-t-elle. Sa place n’est pas parmi nous. Je vous en prie, ne laissez pas le démon corrompre votre esprit. Ne le laissez pas vous nuire et souiller votre âme. Vous lui avez donné un enfant et nous le lui retournons, c’est ainsi. — C’est faux ! C’est faux ! m’exclamai-je. Mon bébé ! Je ne l’abandonnerai pas ! — Vous connaissez la procédure : aucun contact avec les mâles. Elle se redressa, ce qui me permit d’observer Cécilia quitter la chambre. Je me liquéfiai sur place, abasourdie par cette affreuse sensation de déjà-vu. Un an auparavant, c’était moi qui dérobais un enfant à une amie dans la même situation, et cette amie avait imploré un instant, elle aussi. — Marie…, murmurai-je. — Quoi ? — J’ai pris le bébé de Marie… Un vide incommensurable me saisit. Je secouai la tête, incrédule. Tout ceci n’était qu’un mauvais rêve. J’allais me réveiller. Les cauchemars ne duraient pas, à moins d’être réels. Non, je ne survivrais pas à celui-là.Réveille-toi !Réveille-toi !Lola me scrutait avec une expression incertaine. Elle s’était assise au bord du lit et se triturait les doigts en fuyant mon regard, honteuse. Elle essayait de ne pas le montrer, mais la culpabilité se lisait sur son visage. Je connaissais bien ce sentiment, elle ne pouvait pas me le cacher. Tous ces mois passés à le porter, à l’abriter dans mon ventre, à lui parler tard le soir, à le nourrir, le chérir et le choyer avant même de le rencontrer, tout cela pour quoi ? Pour qu’on me le prenne dès son premier souffle, presque dans mon flanc ? Je le savais, depuis le début. J’avais tenté de m’y préparer, de ne pas trop m’attacher à lui, mais il faisait partie de moi. Et d’Isaac. Je me calmai, entrouvris les lèvres au souvenir des baisers de celui-ci. Lola me libéra des étriers, mais je ne bougeai pas pour autant. Même si je n’en avais pas l’air, un terrible séisme s’abattait dans ma poitrine et secouait mon cœur de mille et un tourments. De nombreuses larmes roulaient encore sur mes joues. Comprenant que je ne cesserais pas de pleurer avant une éternité, Lola s’allongea tout contre moi, puis passa ses doigts fins dans ma chevelure noire. Nous avions le même âge, mais à cet instant précis, j’aurais adoré qu’elle devienne ma mère et m’aime comme telle, comme j’avais toujours imaginé l’amour maternel. Le destin nous avait réunies toutes les deux et, dans ce contexte, il était difficile, voire quasiment impossible, d’éprouver de l’affection envers quelqu’un qui nous surveillait en permanence. Je craignais donc que son attachement ne soit qu’un leurre, même après ces longs mois écoulés ensemble. Avec les Mains de Dieu, il valait mieux se méfier.
— Parle-moi encore de lui, me chuchota-t-elle à l’oreille. Je sais que tu en as besoin. — Non, répondis-je d’une voix étranglée. Je ne veux pas penser à lui. — Mais tu le fais, tu ne peux pas t’en empêcher. Tu me l’as dit. Il te manque… Je n’aurais jamais dû me confier à elle au sujet d’Isaac. Seulement, je ne parvenais pas à garder tous ces sentiments contradictoires qui s’étaient développés en moi et qui continuaient de croître, en dépit de son absence. Bien sûr qu’il me manquait. Je me demandais chaque jour et chaque nuit s’il avait réussi à sortir indemne des souterrains. Avait-il rejoint les insurgés ? Lui avait-on pardonné sa trahison ? M’avait-il pardonné, à moi ? Ça, ça m’aurait étonnée. Je ne méritais plus rien de sa part, mais cela importait peu. Tout ce que je souhaitais, c’était le savoir en vie et libre. — Il a de beaux cheveux bruns qui lui tombent sur la nuque et qui changent de couleur selon la luminosité, commençai-je, tout en fixant le plafond. Il est drôle, intelligent et gentil. J’ai porté sa veste pendant des semaines. Son odeur… La plupart du temps, il sentait le savon, mais parfois, quand j’étais vraiment tout près de lui, il s’agissait de quelque chose de plus brut. Je touchais sa peau et elle arrivait à être douce malgré ses poils. Il avait de grandes mains et des bras musclés qui m’enlaçaient fort sans jamais me faire mal. Isaac… Isaac était un homme bon. — Je suis certaine que tu lui manques aussi, affirma Lola. — J’ai tué des gens, je l’ai abandonné, et maintenant, j’ai abandonné notre enfant… Je marquai une pause, perdue dans mes pensées. — Finalement, c’était moi le monstre, conclus-je. Lola ne répondit pas, un silence étouffant tomba sur nous. Je fermai les yeux, me pinçai les lèvres pour refouler de nouveaux sanglots et me concentrer. Le visage d’Isaac se matérialisa dans mon esprit. Je ne songeai ni à son large sourire ni à l’intensité de son regard, je me remémorai plutôt son expression meurtrie lorsque nous nous étions quittés à Delta. Je l’avais tellement déçu par mes mensonges, mes décisions et mes actes. Au moins, je lui avais offert toutes les raisons du monde de me détester. Cela n’en était que plus facile pour lui de m’oublier.
Je ne luttais plus depuis longtemps. Mes bras pendaient le long de ma silhouette, mon regard se perdait dans le miroir et ma colonne vertébrale me tenait à peine. Dehors, tout le monde savait que j’avais donné naissance à une aberration. Elles priaient pour moi, pour le salut de mon âme, pas pour lui. Elles avaient peur qu’une telle naissance attire les démons et corrompe le Jardin. Leur semence pouvait nous souiller, nous empoisonner. Nous condamner. Créer un monstre prêt à nous dévorer. Je ne leur en voulais pas de penser ainsi, car moi-même, j’avais eu quelques doutes lorsque mon enfant avait commencé à gigoter en moi. Cette sensation m’avait à la fois fascinée et épouvantée. Aujourd’hui, je la regrettais. Une main posée sur mon ventre un peu dégonflé, je contemplais mon reflet dans une psyché et étudiais la robe blanche, longue et fluide, dont j’étais drapée. Cette dernière me rappelait ma souveraine et toutes les fois où elle avait enfilé un accoutrement similaire. Le blanc incarnait la pureté. Rien ne devait l’entraver, pas même mes cheveux noirs que j’attachais pour qu’ils n’effraient personne. Leur obscurité aux reflets bleus, comme le ramage des corbeaux, augurait l’avènement des ténèbres sur notre petit coin de paradis. J’avais pris deux bains bénits pour me purifier de l’esprit du malin et rassurer mes sujettes, mais cela ne suffisait pas. Elles me regardaient avec de grands yeux ronds, comme si le démon allait jaillir d’une seconde à l’autre. Lola m’avait donc conseillé de me purifier en public. Ridicule, mais inévitable.
Ce n’était pas l’envie qui me manquait de révéler au grand jour les coulisses de cette mise en scène. Toutefois, la plupart des filles ici ne dépassaient pas les vingt ans et avaient été élevées dans la plus grande discipline. Elles n’avaient que Dieu à la bouche et je ne pouvais rien faire, à part contrôler un peu plus leur esprit et leur corps. Onze d’entre elles étaient enceintes. Les Mains de Dieu attendaient beaucoup des « Récoltes » et de leur nouveau Jardin. Si j’avais rempli ma part du contrat en leur fournissant un mâle, ils ne cesseraient jamais de réclamer d’autres créatures pour augmenter les effectifs et sauvegarder leur expérience. Une expérience. Voilà tout ce que nous représentions. Notre survie ne dépendait que de notre faculté à nous reproduire et à servir un dieu qui, en réalité, se cachait derrière des hommes et des femmes terriblement dangereux. Combien de temps allais-je devoir encore mentir ? Un mois ? Un an ? Toute ma vie ? Je pouvais y mettre fin, je pouvais me donner la mort en dénichant un objet tranchant ou en vociférant des atrocités, mais cela reviendrait à condamner mes congénères, peut-être même Lola et mon garçon, et je n’avais pas envie d’avoir d’autres cadavres sur la conscience. Pour me racheter auprès de Dieu, et de ses soi-disant « Mains », il me fallait jouer la comédie jusqu’au bout, coûte que coûte. Je n’avais pas fermé l’œil de la nuit et, alors que le soleil se levait à peine, je sortis du Sanctuaire et me dirigeai vers le Vieux Saule sacré. Toutes mes consœurs se trouvaient là, à genoux, et priaient, certaines les paupières closes, d’autres en me dévorant du regard. Cela me rappela le jour de mon arrivée, lorsqu’il avait fallu que j’endosse mon rôle de reine. Pas une seule d’entre elles n’avait contesté mon autorité, elles m’avaient adoptée et vénérée à la seconde où j’avais foulé le Jardin. J’avais encore du mal à me faire à l’idée qu’elles me considéraient comme un ange ou quelque chose dans ce goût-là. Pour elles, je n’étais pas totalement humaine. Je venais des cieux et parlais au nom de Dieu. Ça me désolait qu’elles se montrent aussi naïves mais, une fois de plus, je ne pouvais pas le leur reprocher. Quelques mois auparavant, je m’agenouillais devant ma propre souveraine et obéissais à tous ses désirs. Un vent frais mordait ma peau et bandait mes muscles. Je me retins de me frotter les bras malgré les frissons qui me parcouraient le corps. La tête haute, le visage impassible, je me plaçai devant le bain qu’avait préparé Lola. Heureusement, elle avait chauffé l’eau. De la vapeur s’échappait de la cuve en bois et se déposait sur mon visage penché juste au-dessus. Lola passa derrière moi, dénoua les lacets qui tenaient ma robe. Ses deux mains remontèrent le long de mon dos avant de faire glisser le vêtement au sol. Je me retrouvai nue, vulnérable. J’éprouvais l’envie de me cacher et de retourner me réfugier au Sanctuaire, mais sans ce rituel, je perdrais la confiance des autres. Alors, à l’aide d’une petite marche et de Lola qui me tenait par la main, j’entrai dans le bain. La température était parfaite. Je m’immergeai, puis la gardienne répandit des plantes et du sel dans l’eau pour me purifier. Je l’entendais vaguement répéter des phrases en latin, mais cela m’importait peu. Je ne pensais plus à elle ou à la situation dans laquelle je me trouvais, je songeais à mon bébé qui avait laissé un immense vide en moi. Mon cœur se serrait de ne pas pouvoir le prendre dans mes bras et l’embrasser. Je l’imaginai tout contre moi, ses mains dans les miennes ; soudain, un sourire ourla mes lèvres. Quand Lola m’attrapa par les épaules pour me sortir de l’eau, j’inspirai une grande bouffée d’air et gardai ce sourire. — Dieu a lavé votre souveraine, déclara Lola à la communauté. Le malin est parti. — Amen, conclurent-elles en chœur. Deux filles choisies par la gardienne vinrent à ma rencontre avec une longue serviette. Je m’enroulai dedans sans leur jeter le moindre regard puis, toujours pieds nus, je me dépêchai de rentrer au Sanctuaire. Lola dispersa la foule après leur avoir répété les instructions pour la journée. Je comptais aller me recoucher quand elle me rattrapa et m’accompagna jusqu’à ma chambre. — Kiaya, n’oublie pas la prochaine session de couplage, me rappela-t-elle. — Fiche-moi la paix, Lola, soupirai-je.
Dans la chambre, je me séchai en vitesse sous ses yeux curieux qui ne cessaient de me fixer. Alors que je m’emparais d’une nouvelle robe, je pivotai vers elle et la surpris en pleine observation. Mon raclement de gorge la ramena à la réalité. Lola rougit et se pinça les lèvres. — Est-ce que tu as besoin d’aide ? me demanda-t-elle d’une voix légèrement embarrassée. — Je sais enfiler une robe, merci. J’ignorais ce qu’elle attendait de moi, mais je n’étais pas d’humeur à lui tenir compagnie. J’avais besoin d’être seule pour replonger dans les souvenirs de mon bébé. Avec le temps, ils allaient s’estomper et je voulais le maintenir en vie dans ma mémoire le plus longtemps possible. Je m’allongeai sous les draps, saisis l’oreiller et l’enlaçai aussi fort que possible contre ma poitrine. Lola s’éclipsa et ferma la porte derrière elle. J’en profitai pour laisser échapper quelques larmes. Je n’avais même pas pu le toucher ou respirer son odeur. Personne ne me dirait jamais ce qu’il adviendrait de lui. Il n’avait pas de prénom… Il n’était rien pour moi alors que je me sentais prête à mourir pour lui. Il incarnait mon dernier espoir. — Mon bébé, gémis-je en pleurant dans l’oreiller. Rendez-moi mon bébé… J’implorai le Seigneur jusqu’à ce que l’épuisement et le sommeil m’emportent dans leurs affres. Je m’endormais toujours en songeant à Isaac, priant de toutes mes forces pour le rejoindre là où je pouvais encore l’atteindre. Je rêvais que nous nous retrouvions et qu’il m’embrassait à en mourir. Cette nuit me parut plus amère que les autres. Je le voyais avec notre enfant, mais plus j’avançais vers eux, plus ils se désagrégeaient, comme des fantômes du passé. Ils ne faisaient plus partie de mon monde. Ils n’existaient plus, et moi non plus.
Chapitre2
Isaac Les balles sifflaient à mes oreilles. Je courais aussi vite que possible, mais l’arme que m’avaient confiée les insurgés me gênait dans mes déplacements. Comme je craignais que les détracteurs se rapprochent et finissent par me rattraper, je m’en débarrassai et accélérai la cadence. D’autres réfugiés s’échappaient avec moi. Je les suivais afin de ne pas me perdre dans les souterrains. J’avais le souffle court, le cœur au bord de l’implosion. Les cris qui nous parvenaient de Delta me ramenaient à la base et à l’horreur que semaient nos ennemis. Je n’arrêtais pas de songer à Kiaya, à son regard lorsque je lui avais tendu la main, à sa détermination à me trahir… Je n’arrivais pas à croire qu’elle les ait choisis, eux. Son appel avait coûté la vie à des centaines de personnes et tout ça pour quoi ? Sa famille ? Elle n’était même pas certaine de la revoir ! Comment avait-elle pu leur accorder sa confiance après tout ce que nous avions appris à leur sujet ? Après ce qu’ils avaient fait à mon père ! Mon père… Kiaya était au courant depuis le début. Elle savait qu’il avait été tué à la seconde où les détracteurs l’avaient arraché au Jardin. Pourtant, elle n’avait rien dit, se persuadant elle-même que cela me sauverait la vie. Elle m’utilisait, me mentait. Il n’y avait rien de vrai entre nous. J’en doutais, en tout cas. Mes yeux s’emplissaient de larmes à cette simple pensée, comme lorsque Luc et Edgard m’avaient montré la vidéo. Je leur avais demandé s’il y avait le moindre espoir que mon père puisse sortir un jour de la base des détracteurs, et voilà que Luc m’annonçait la nouvelle. J’avais refusé de l’entendre, mais j’avais vu ce qu’il en était, j’avais pris conscience à quel point mes désirs m’avaient aveuglé. Le pire, dans tout cela, c’était que Kiaya m’avait entraîné avec elle dans sa trahison. Je n’avais pas eu le temps de prévenir les insurgés avant l’attaque. J’aurais pu éviter ce massacre, mais les mensonges de Kiaya me rongeaient l’âme et tout s’était enchaîné en quelques minutes. J’avais le sentiment d’avoir tout perdu : ma maison, ma famille, ma dignité, mon salut, mon cœur… Si je réussissais à sortir de ces maudits tunnels, les insurgés ne manqueraient pas de me traquer dans les bois pour me faire payer ces actes odieux et je l’aurais mérité. J’avais tué toutes ces personnes, d’une façon ou d’une autre. Jamais je n’aurais dû baisser la garde face à la tentation suprême du malin. J’avais oublié ce que représentait Kiaya, et maintenant, je me retrouvais seul avec ma culpabilité. Pourquoi ne m’avait-elle pas suivi ? J’aurais pu la protéger. Je l’aimais ! Ça me tuait de l’admettre, mais s’il existait une évidence dans ce monde, c’était elle. Je pleurais autant sa trahison que sa perte. Elle n’avait pas le droit de m’abandonner ! Elle avait promis ! De toute évidence, c’était encore un mensonge. Les gens hurlaient, se bousculaient ; je tâchais de me repérer à l’aide des bâtons lumineux que certains soldats faisaient craquer, mais tout était si sombre et si… effrayant. J’en venais à me demander si je n’avais pas pris une balle dans la tête, comme mon père. S’agissait-il de l’enfer ? Ça y ressemblait plus qu’à notre arrivée. Ceux à la traîne disparaissaient dans le néant et hurlaient comme si des monstres se nourrissaient de leur chair. Je tremblais de peur et, parfois, je me prenais les pieds dans des objets non identifiés, mais, guidé par mon instinct, je ne m’arrêtais pas. Il ne fallait pas que je me perde dans ce dédale. Si les bâtons lumineux s’éteignaient, mes pires cauchemars deviendraient réalité. Peu importait le bruit assourdissant des détonations, peu importaient les cris de douleur et de frayeur des autres, peu importaient mes larmes et mon amertume, je devais sortir de là. Il y eut encore quelques détonations puis, soudain, le silence nous enveloppa tel un
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