Sois-Je
156 pages
Français

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Sois-Je , livre ebook

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Description

« Je suis face à une image. Parker, Davis, Coltrane me propulsent dans ce New-York, la nuit. Je t’imagine qui te planque, t’invente une biographie, une dérive, le peuple de trois femmes.



Tu es poursuivi, mais de ta trompette, tu donnes souffle à quelques cases de Manhattan, tu y crées des vies.



Parmi elles, il y a Mavros, Grec, migrant, une autre solitude.



Qui es-tu ? Qui sont-ils ? Qui suis-je, qui tient, qui rythme la trame ? »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 octobre 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414484461
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194 avenue du Président Wilson – 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-48445-4

© Edilivre, 2020

La photo est là, dans le tiroir. Les doigts voleurs, cruels, viennent de tirer doucement les deux petites poignées de métal, qui déjà sont retombées, alors qu’il a fallu forcer un peu pour redonner à la commode sa ligne, verticale.
Déjà il est revenu s’asseoir.
Déjà je suis assis. Panoramique de mon regard sur les objets, les bouts de mur, l’immobilité de mon univers, qui n’est déjouée que par mon regard même ; et puis aussi, bien sûr, par les pulsations rythmées qui s’inscrivent en taches lumineuses sur l’écran de contrôle du magnétophone. Cette pulsation lumineuse, qui, maintenant, garde mon regard prisonnier, s’offre un instant à son analyse, et je note avec un certain plaisir les deux lignes mobiles, indépendantes comme les canaux sonores qu’elles représentent, et aussi les pics mémorisés, détachés un instant, cette pulsation lumineuse qui échappe presque aussitôt à cette analyse, me dépose sur ces pics, me fait sentir que toute la musique est là, que les sons sont là, dans cet intervalle noir plus ou moins étendu, qui se déplace le long de la partie droite des deux lignes lumineuses, horizontales, cette pulsation lumineuse qui suit alors la basse de Paul Chambers, comme elle suivait l’instant précédent la guitare de Kenny Durrel, dans cet enregistrement de Coltrane que je viens de lâcher à travers l’appartement, cette pulsation lumineuse, par le saxophone de Coltrane, me dépose face à Manhattan, verticale.
Tu serais dans ce gratte-ciel qui fait face à l’Empire State Building, qui se détache, un peu à droite de lui. De cet immeuble, les quatre étages les plus hauts sont complètement dans l’ombre ; peut-être y en a-t-il cinq, à être totalement noirs ; puis le premier étage, lorsque le regard descend le long de la façade, à être en partie éclairé, montre, en se dirigeant vers l’Empire State, une série de fenêtres éteintes ; deux ensuite qui sont éclairées, une éteinte, une éclairée, plus pâle ; enfin la fenêtre qui s’appuie à l’arête verticale de ton immeuble, qui est donc la plus proche de l’Empire State, est noire. C’est là que tu serais, tapi, éveillé, bien que l’absence de lumière puisse faire croire soit à l’absence d’occupant, soit à une présence qui dormirait.Tu discernerais à travers la rumeur de la ville, un lointain saxophone, dans lequel tu reconnaîtrais le toucher de Coltrane malgré cet éloignement ; ce saxophone dédicacerait un Blues A Bechet , et tu ne pourrais pas deviner que ce blues vient d’ici et n’imprègne qu’à distance les murs de papier de Manhattan.
De nouveau dans ce fauteuil, le front las, je m’efforce de retrouver les mots de ce dialogue cet après-midi. En vain ? Seuls reviennent comme des odeurs, comme une couleur sombre, quelque chose où il était question de la mort, qu’il ne pouvait simplement attendre, malgré l’appel qu’il faisait à ces philosophies orientales ; mais il parlait aussi de la dernière femme qu’il avait connue – j’entendais aimée – et il ajoutait que c’était cinq ans auparavant. Mais il parlait aussi de son épouse, du travail qu’elle abattait, et il laissait échapper le mot monstrueux , sans qu’il subsiste encore en lui de la haine, mais bien plutôt de la peur. Je sens bien que je devrais retrouver les mots, toute la précision de ces mots. Seule cette précision, ce soir, me réconcilierait avec moi-même, m’autoriserait, peut-être, à ôter cette chaussure qui enserre mon pied gauche, à décroiser ma jambe gauche qui, pour l’instant, est là, posée sur la droite, trop lourdement, à débarrasser enfin le pied droit de cette deuxième chaussure à travers laquelle le sol, par l’appui douloureux, fait exister cruellement le talon, puis la cheville. Mes paupières sont closes. Et la pulsation musicale vient me chercher, se coule en mes artères, en mes muscles, en mes viscères, en mes nerfs, me souffle de créer, de te créer, là, à Manhattan.
Dans l’ombre, une vague clarté qui transpire des deux fenêtres, ton souffle est rapide, petit. Tu te tiens assis sur le sol, le dos appuyé au mur, sous la fenêtre qui fait face à l’Empire State, auquel tu tournes le dos. Tes jambes sont écartées l’une de l’autre, la pointe de tes pieds s’élève, verticale, soulignant ta tension. Tes mains, encore sèches, sont posées au sol, les pouces se dirigeant vers tes jambes, touchant presque ton pantalon, les doigts très écartés, les muscles des paumes contractés. Tes oreilles ont bien capté Coltrane ; mais, si ta tête s’essaie à battre, à pulser, le mouvement ne peut être que de toute petite amplitude ; à peine le sens-tu, à peine frotte-t-il ton crâne au mur sur quelques millimètres. Tes yeux accentuent toutefois ce balancement, et rencontrent, et recherchent, et prennent en ta possession les quelques objets qui ponctuent l’espace proche de tes jambes, soit que tu les aies posés sciemment, dans la position précise qu’ils occupent, soit que que tu aies tout simplement négligé de les ranger, de mettre ton espace en ordre. C’est d’abord entre ta jambe droite et le mur, un peu en avant de ta main droite, un briquet long et plat et un bol, que tu sais avoir utilisé comme cendrier. Entre tes jambes, allongée face à toi, une paire de jumelles, des caches empêchant que la lueur de Manhattan, qui t’entoure, qui individualise ces objets, ne se reflète dans les verres. Plus près du sommet du triangle de tes jambes, une enveloppe que son épaisseur peu habituelle trahit, et, la barrant en diagonale, un gros crayon, probablement en bois, à mine de carbone, que tu auras peut-être – car la lumière n’est pas assez puissante pour qu’on puisse le vérifier – taillé avec ce couteau qui semble séparer cette enveloppe des jumelles.
Faible reflet sur la lame du couteau ; balancement un peu plus profond de ta tête ; saxophone qui joue de ta tension, parvenant à desserrer un peu celle de ton cou, sans parvenir à relâcher tes paumes, tes pieds.
Passé ta jambe gauche, trois bouteilles.
De ces cannettes, l’une est vide, horizontale ; les deux autres – et leurs reflets sont épais – verticales, au contact l’une de l’autre. Tu sens que la bière, en elles, n’est plus assez fraîche pour soulager ta bouche, ton ventre, ton ventre qui perçoit plus nettement la contrebasse, alors que ton pied droit voudrait se relâcher un peu, se laisser aller sur le côté, mais tu le retiens encore, malgré Coltrane, basse et saxo mêlés dans leur lutte contre tes entrailles spammées.
Cette lutte te laisse libérer l’eau que tu avais retenue dans ta crispation. Mains qui s’humidifient, cheveux qui se collent ; ta langue va chercher quelques gouttes salées qui perlent sur ta lèvre supérieure. Tu perçois le changement de souffle. Trompette. Miles Davis. Rencontre – combat. C’est à ton ventre que parle encore Coltrane, c’est de ton front mouillé que crie Davis.
Ta main droite a bougé, est venue toucher l’enveloppe, la soulevant un peu, la froissant sans doute davantage, puis la reposant sur le sol.
Tu la regardes ; elle n’est plus barrée par le crayon que ton geste a fait rouler vers ta jambe gauche. Tu n’aurais pu la relire, cette lettre, puisque, pour cela, il t’aurait fallu éclairer, donner à voir au dehors qu’une vie s’agite là.
C’était dans l’après-midi, tu n’avais pu que dessiner quelques formes gribouillées, rien de reconnaissable. Tu avais alors repoussé le crayon dont effectivement tu avais du ranimer la pointe avec ton couteau, sur l’enveloppe. Tu venais de t’asseoir dans cette position dont tu n’as pas bougé depuis.
Je bute sur toi. Tu restes opaque.
Tu es debout.
Ce sont tes yeux qui jouent maintenant, très vite, comme si chacun était Miles Davis. Tu es dans le coin entre les deux fenêtres. Ta main droite tient la paire de jumelles. Tu les a réglées à ta vue. Tu regardes. Regard-trompette. C’est elle qui descend le long de l’Empire State. Sa vitesse t’est donné par le tempo de Tony Williams. Tu ne t’attaches pas pour l’instant aux détails. Il te sera toujours temps, plus tard, d’y revenir. C’est une prise en œil, une prise en son.
Pas de courbe. Montée, traversée, descente, traversée. Tu respectes la structure des immeubles, tu longes les étages. Tu passes de l’un à l’autre là seulement où l’un vient, pour ton regard, se superposer à l’autre. Tu ne ralentis pas lorsqu’une fenêtre est éclairée. Pour l’instant, tu ne veux pas voir l’intérieur, seulement les formes.
Qui de Miles ou de Tony décide vraiment de ton allure ? Tout Manhattan se laisse prendre. Tu joues de ton regard. Architecte pour voir et pour assourdir, pour étourdir, pour t’enivrer comme défilent, pulsant, ces taches, ces fenêtres éclairées ou noires, attendant peut-être que tu leur donnes une vie, une épaisseur, un volume, elles qui ne sont encore que lignes, et tu sais bien que les verticales dominent, qu’elles pourraient exister seules, ne permettant aux horizontales que d’être des copulatives, des jointures.
Tu ne peux que rarement descendre jusqu’au sol le long d’une arête ou d’une colonne, un nouvel immeuble s’offrant et s’interposant, que tu suis alors, et le mouvement pourrait sembler désordonné, mais on sent bien qu’un ordre sous-jacent existe.
Tu t’es retourné, dos appuyé de nouveau au mur, dans ce même coin, les jumelles au bout de ton bras droit, le long du corps. Tu reprends ton souffle. Tu vas jouer encore, autrement.
Alcool dans un long verre, glace, agitation. Retour à Manhattan.
On Green Dolphin Street . Ta jumelle-trompette s’attache aux cassures, fait comme si elle te permettait de t’insinuer entre les blocs, de dessiner l’indessinable, les faces cachées. Tu les vois, tu les souffles, tu les prends, arêtes noires, angles impossibles. So What

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