Soulevant à demi le rideau , livre ebook

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2017

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Dépêchons-nous, dépêchons-nous, entendait Gaston, et il faisait grincer ses chaussures de cuir jusqu’au monteplat. Quand il ouvrit la trappe pour récupérer les plats, il put entendre le brouhaha infernal qui venait d’en bas, ainsi que sentir la chaleur moite qui montait. Il distingua même le petit rire perlé de Manon, haut perché, qui couvrait la grosse voix rugueuse de la cuisinière en chef. On était seulement au début du dîner, et déjà les pieds de Gaston avaient presque doublé de volume. À chacun de ses pas, les coutures extérieures sur les côtés de ses souliers menaçaient de rompre.
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Date de parution

24 octobre 2017

Nombre de lectures

0

EAN13

9782312052205

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Soulevant à demi le rideau
Katia Khelil
Soulevant à demi le rideau
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2017
ISBN : 978-2-312-05220-5
Préface
Avec les nouvelles de Katia Khelil nous nous trouvons attelés aux timons de la réalité, enkystés dans un cadre souvent agreste, villageois, rural. En Soulevant à demi le rideau nous découvrons vraisemblablement une future George Sand , peut-être la plume d’une Colette , et même d’un Guy de Maupassant . Mais il est peut-être prématuré et imprudent de charpenter une trajectoire littéraire future ! Ce recueil de nouvelles figure un premier pas, assurément prometteur, sur la marelle protéiforme et très encombrée des belles lettres.
En Soulevant à demi le rideau nous assistons à un spectacle accessible au plus grand nombre. Il n’y a rien d’abscond, de tirebouchonné, d’intellectualiste, de précieux, d’élitiste ! Mais pour faire monter la pâte, qui a la mérite d’être d’une exceptionnelle qualité, il faudrait, de mon point de vue, quelques pincées de délire, l’ingrédient de l’imaginaire, des images poétiques plus foisonnantes. Mais rien d’autre, surtout aucune surenchère, pour faire de Katia Khelil une femme de la relève littéraire de haute magnitude.
La nouvelle est un genre qui, en France, malheureusement, suscite un engouement moins flagrant que dans les pays anglo-saxons. Avec en Soulevant le rideau nous assistons aux balbutiements d’une relève dont Katia Khelil symbolise, je le souhaite de plein cœur, l’une des voix les plus primordiales.
Michel Dansel
« Omnia vincit Amor ; et nos cedamus Amori . »
Virgile. Les Bucoliques. Eglogues X. Vers 69.
À vol d’oiseau
La ferme était jolie, coquette, flanquée dans une impasse.
Le toit bas, surmonté d’une grosse cheminée lui donnait une allure étrange. Les deux lucarnes sous le toit étaient comme deux yeux ouverts ; c’était le grenier, charpenté de vieilles poutres centenaires.
Quand le soleil, en été, se réverbérait sur ces lucarnes, la bâtisse devenait comme deux yeux lumineux, deux lumières jaillissantes.
Les poules couraient dans la cour, en caquetant bruyamment ; la maison avait alors une voix, haut perchée, résonnant et s’élevant de cette impasse. La vie commençait, dès l’aube, au lever du soleil, les yeux des lucarnes s’ouvraient avec le soleil, et la voix des poules dans la cour montait peu à peu.
Derrière le bâtiment, il y avait les champs, à perte de vue, des champs de tournesols, un parterre de soleils quand ceux-ci arrivaient à maturité. Tableau bucolique d’un petit coin tranquille. Quand l’été, la chaleur du soleil faisait monter la vapeur du sol, quand l’hiver, les yeux des lucarnes semblaient dormir, à demi-clés, dans l’ombre du soleil. C’était le royaume des éléments, de la nature et des animaux. Il ne semblait pas y avoir de vie humaine.
En apparence seulement, car en réalité, la vie grouillait, palpitante, remuante. Seuls les bruits n’existaient pas, les bruits humains.
Pourtant on voyait bien les paysans s’affairer dans les champs, les enfants courir aux alentours de la ferme, mais aucun son ne sortait de ce tumulte. On entendait seulement les poules, les oiseaux, et tous les autres animaux ; on entendait seulement le vent dans les arbres, le vent caressant les têtes des tournesols tournées vers le soleil dans les champs, on entendait seulement la poussière s’élever de toute part, la poussière filer à travers le soleil, poussée par le vent.
De l’autre côté du champ de tournesols, à quelques kilomètres se dressait un bourg. Modeste en apparence, la pointe de son clocher dressée vers le ciel. Ses rues pavées et boueuses, ses maisons en hauteur, et à la sortie au bout de la grand-rue, l’établissement du père Georges . Une taverne, semblable à tant d’autres, avec son étroite porte, sa devanture aveugle bouchée par de gros rideaux opaques.
À l’intérieur, comme tous les jours à cette même heure, ça grouillait de monde. Le père Georges derrière son comptoir supervisant le coup de feu de midi. Les serveuses, de toutes jeunes filles se pressaient d’une table à l’autre.
Mais de ce tumulte ne sortait aucun son. Ni celui des humains, ni celui des objets. On ne percevait que le bruissement des ailes d’une mouche rôdant autour d’une assiette pleine, ou encore celui des feuilles des arbres, poussées par le vent, et voltigeant dans l’air. De même, si tous ces gens réunis ouvraient la bouche, semblaient articuler des mots et des syllabes, c’était encore le silence. Mystère ! Comment communiquaient-ils alors ?
Georges était un ancien maréchal-ferrant, il avait hérité de cette taverne après la mort suspecte de son beau-père. La rumeur circulait dans le bourg que c’était la femme du vieux qui l’avait empoisonné. Toujours est-il qu’il était mort un jour, brutalement, en descendant dans sa cave pour y chercher de la gnôle, sa compagne de longues années. La vieille lui survécut quelques années, la sorcière on la surnommait, et s’était éteinte paisiblement dans son lit, elle ne s’était pas réveillée un matin. Le Georges reprit l’affaire, et ça tournait bien ! Il avait fait quelques aménagements au-dessus de l’établissement, pour y loger toute sa famille qui comptait deux filles et trois garçons ; et il les faisait tous turbiner au fourneau pendant que lui se la coulait douce derrière son comptoir, un verre plein toujours à porter de main. Il prenait le pas de son beau-père et était bien porté sur la gnôle. Il faut dire que le vieux en avait laissé un tonneau plein au fond de la cave, et elle n’était pas frelatée celle-là. D’ailleurs le père Georges ne la servait jamais aux clients, il se la réservait pour lui, jalousement, comme on garde un trésor caché. Rien n’y paraissait, sauf la couperose de ses joues qui s’agrandissait d’année en année.
Sa femme, Berthe, était une gentille épouse, épuisée par les tâches. Malgré sa stature imposante, sa grande taille, elle était douce et tranquille, calme ; du moins, c’est ainsi que la décrivaient toutes les personnes qui la côtoyaient, ou presque.
C’était la seule taverne du bourg, c’est pourquoi les clients s’y pressaient, les habitants comme les voyageurs s’y arrêtaient immanquablement. Sinon c’était un endroit agréable à vivre, une campagne fertile, les paysans ne mouraient pas de faim, la terre était bonne et grasse. Le marché aux bestiaux réputé dans tout le canton pour la qualité de ses bêtes. Beaucoup de saisonniers travaillaient dans les champs au moment des récoltes, la population augmentait alors d’un seul coup, et les commerces prospéraient.
La région comptait un bon nombre de fermes, nichées de-ci, de-là, dans la verdure.
Cependant , les commerces étaient assez rares dans le bourg, il fallait se rendre dans la grande ville, à plusieurs grandes lieues de là.
Midi, le sonneur, suspendu aux cloches virevoltant à toute volée. Les dames se pressaient aux portes de l’église, par petits groupes, les enfants tournant autour de leurs jupes. Mais on entendait les seuls mouvements de l’air, le bruissement de la poussière. Aucun son de cloches, aucun cri d’enfants, rien, absolument rien.
Madame la sous-préfet, chapeautée élégamment, marchait à petits pas pressés vers l’entrée de l’église. Avant l’office, elle avait dû se rendre au chevet du père Martin , soudain pris d’une apoplexie.
Les gens mouraient beaucoup en ce moment. Un mal subit les faisait passer à trépas très rapidement, et tant bien que mal, on cachait à la population cet état de fait, mais des bruits commençaient à courir ; toutes sortes de rumeurs. Des étranges pratiques disait-on, et comme c’était le temps des récoltes, et que beaucoup de saisonniers étaient venus, des étrangers, on portait volontiers ces rumeurs sur ces gens venus d’ailleurs, ces gens aux moeurs étranges, racontait-on.
Alors , un vent de soupçon et d’angoisse commençait à souffler sur tout le bourg et ses alentours. On évitait les regards de ces ouvriers agricoles, venus en communauté, d’une contrée lointaine, où la grande majorité de la population avait été décimée par un mal étrange, un mal que l’on ne connaissait pas. Toute cette histoire n’était pas fondée, bien sûr ; elle avait été rapportée par des conversations surprises entre ces mêmes étrangers. Et comme ceux-ci parlaient entre eux avec la langue de leur pays, il était peu probable que les oreilles indiscrètes aient compris de quoi il retournait exactement. Toujours est-il que les gens avaient peur, même si on essaya de cacher les décès qui survenaient en ce moment.
Alors monsieur le curé faisait donner des offices en dehors des messes habituelles, mais c’était des offices un peu spéciaux, destinés à conjurer le

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