Attention école
160 pages
Français

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Description

« De la petite maison d’école de campagne au prestigieux lycée de centre-ville à Toulouse, en passant par un lycée de garçons à Alger, un établissement privé à Dakar et un lycée rural de la Beauce, je suis restée cinquante-sept ans à l’Ecole. Ayant enfin échappé à l’institution, je m’autorise aujourd’hui à la brocarder, pour en souligner les travers et parfois l’absurdité. »


C’est ainsi que Mireille Picaudou Arpaillange présente ce témoignage émouvant et drôle, ponctué de situations et de portraits surprenants ou cocasses.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 octobre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334206174
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-20615-0

© Edilivre, 2016
Avertissement
Dans le souvenir la réalité objective n’existe pas. Ce sont des émotions que fixe la mémoire et non pas des faits.
Attention école

Du plus loin que je me souvienne, l’école a pesé sur moi. Ce n’était pas comme on pourrait le croire à cause de ce qu’elle supposait de contraintes propres au système scolaire ou d’efforts pour l’apprentissage, car je suis née dans un milieu où le monde se divisait en deux. Il y avait d’une part les vaillants dont faisait partie ma famille, ceux qui travaillaient dur et étaient dignes de respect. Les autres étaient ceux qui savaient par instinct, car nul dans ce milieu de XX e siècle ne parlait d’épanouissement personnel, que le travail n’est pas forcément la finalité d’une vie. Ceux-là, dans mon entourage, n’inspiraient que mépris. D’emblée je savais que je me devais d’appartenir au premier groupe et j’étais prédisposée à l’effort. Mais si l’école a été pour moi un fardeau, c’est surtout parce qu’à cause d’elle j’ai été séparée de ma mère.
Mes parents vivaient dans un hameau isolé, assez loin d’un village. On était bien avant que Laurence Pernoud ne publie sa bible pour éclairer les parents soucieux de ne pas traumatiser leurs jeunes enfants, et on n’entendait pas alors à la radio les conseils du pédopsychiatre Rufo. On ne s’inquiétait pas d’éventuels dégâts psychologiques, on allait au plus commode. Nous laisser, ma sœur et moi, chez notre grand-mère maternelle qui habitait, elle, à deux pas d’une école qui avait disait-on un bon instituteur, était tout ce qu’il y avait de plus censé et pratique pour ma mère. Je dis ma mère car mon père travaillait (voir plus haut la catégorie « vaillants ») et laissait à son épouse le règlement des problèmes concernant les enfants. Je suis donc restée chez ma grand-mère sur les temps scolaires, du lundi matin au mercredi soir et du vendredi matin au samedi soir. C’est là que j’ai commencé à me mettre en mode survie les jours d’école, pour réserver la vie aux jours de repos et de vacances. Et j’ai gardé ce fonctionnement peu ou prou durant cinquante-sept ans ! Je ressentais fréquemment des douleurs de ventre le lundi matin, mon corps tentant l’impossible pour que je ne sois pas à nouveau séparée de ma mère jusqu’au jeudi et ces symptômes se sont répétés bien souvent à l’âge adulte.
Quatre fois par semaine nous suivions en voiture cette minuscule route entre bois et prairies, qui allait de la maison de mes parents au village de ma grand-mère. Un paysage avec ses vallonnements boisés que je trouve aujourd’hui plaisant, quand je le regarde avec mes yeux d’adulte, et que je ne voyais pas alors. Je ne me souviens que de l’éclosion rose intense des pois de senteur dans la luxuriance du printemps, qui tapissaient le talus droit de la route. Très exactement ils se trouvaient à droite quand je rentrais chez moi et à gauche lors du retour chez ma grand-mère. Mais à ce moment-là je ne voyais pas les fleurs, sans doute concentrée sur mon angoisse du lundi ou du vendredi matin.
Puis au chagrin de la séparation, vécu dès les premières années d’école, s’est ajoutée la peur. La terreur régnait dans la classe du maître qui se chargeait des élèves à partir du cours moyen et jusqu’au certificat d’études pour ceux qui n’iraient pas au collège, ou à l’entrée en classe de sixième pour les autres. La salle de classe était vaste pour accueillir cette floraison d’enfants des années d’après-guerre et il y avait quatre longues rangées de pupitres. Au fur et à mesure que l’on grandissait on changeait de rangée en s’éloignant de la cour de récréation pour se rapprocher de la route… par laquelle on allait pouvoir s’échapper, enfin !
Certains jours, la violence submergeait tout. La baguette cinglait l’air pour s’abattre sur le dos d’une camarade de classe, faisant voler en éclat un bouton de blouse sous le choc. Assise au pupitre derrière la victime, j’entendis ce jour-là le sifflement de la baguette et je vis le bouton s’éparpiller en mille morceaux. Les cheveux des élèves étaient tirés si violemment parfois que l’on pouvait en voir une poignée arrachée, tombée au sol près du pupitre de la victime. A la belle saison, des zébrures bleues fleurissaient sur les jambes nues des filles marquées par la baguette de noisetier. Les joues étaient sauvagement pincées et vrillées pour vous obliger à vous lever du pupitre. Si un élève plus grand et moins peureux refusait d’obéir et de quitter la salle il était trainé par les oreilles, car les cheveux des garçons étaient trop courts et seules les filles bénéficiaient de cette punition. Petite digression sur les oreilles dont l’hygiène était vérifiée régulièrement le matin par le maître quand nous étions en rang dans la cour avant d’entrer en classe, en même temps que la propreté des mains et des ongles. Il n’était pas question dans certaines familles de gaspiller l’eau du puits ou de la citerne en ablutions inutiles, car le réseau d’eau courante de la commune ne fut installé que lors de mes dernières années de primaire, au tout début des années soixante. Mais revenons à notre élève rebelle accroché à son pupitre au milieu des cris et des bruits de lutte. Il finissait expulsé de cours, sous le préau, d’où il s’échappait parfois pour faire un tour de vélo. Ce même élève, plus aguerri que les autres, obtenait certains soirs une maigre vengeance. Quand le maître était occupé, il ouvrait avec dextérité le couvercle du poêle en fonte et jetait dans les flammes la maudite baguette. Cela se passait après les cours, quand nous faisions le ménage de la salle de classe à tour de rôle et que le maître s’occupait des élèves qui devaient entrer en sixième ou présenter le certificat d’études. Il leur faisait faire du travail supplémentaire, ce que l’Education Nationale inventera plus tard sous le nom d’« Aide Individualisée ». Il donnait gratuitement de son temps pour que ses élèves réussissent, ce qui avait contribué sans doute à sa réputation de bon instituteur. Parfois c’était sa chaise que le maître brandissait et jetait au milieu de la classe parmi les hurlements. Certains jours sa colère atteignait les limites de la folie et il lançait rageusement l’éponge sur le tableau en lui ordonnant de l’effacer. Il est bien évident que personne ne relevait l’absurdité de l’injonction, chaque élève essayant de se faire le plus discret possible pour éviter que ne s’abatte sur lui la colère hystérique du maître. L’éloignement temporel n’a pas effacé ces scènes, mais ma mémoire les a regroupées, comme si elles s’étaient produites quotidiennement ce qui n’était pas le cas. Je suis donc devenue une bonne élève : pas le choix quand on n’a comme seule arme pour se faire oublier et échapper à la violence que celle de faire exactement tout ce que l’on attend de vous. Peut-être aussi le redoublement aurait été affreux, qui m’aurait obligée à rester un an de plus éloignée de ma mère. J’ai donc continué à fonctionner ainsi toute ma vie en élève modèle : cela m’a permis de réussir les deux concours très sélectifs de l’Education Nationale du premier coup car je faisais exactement tout ce qu’il fallait pour, rejouant sans cesse les angoisses de l’enfance au moment des premiers apprentissages.
J’ai toujours été opposée à la tricherie et, devenue enseignante, je sanctionnais lourdement, quand je parvenais à les confondre, les fraudeurs. La seule occasion où j’y ai eu recours c’était en situation d’urgence, face à ce maître qui me terrorisait. L’exercice de calcul mental suscitait chez moi une angoisse maximale. Le maître mettait au tableau une opération à effectuer mentalement. Il fallait dans l’instant écrire le résultat sur l’ardoise et la lever en montrant triomphant (ou pas) le fruit de nos cogitations accélérées. Me sachant peu douée pour ce genre de sport, j’avais parfois le temps de glisser un regard sur l’ardoise de mon voisin, compétent en la matière. En contrepartie il copiait sur moi pour tout ce qui était analyses grammaticales, orthographe, exercices de vocabulaire. Encore aujourd’hui j’ai beaucoup de difficulté à mémoriser les chiffres, ma propre plaque d’immatriculation ou mon numéro de téléphone. La cause est-elle une anomalie congénitale de mon cerveau ou bien l’angoisse du calcul mental m’a-t-elle à jamais inculqué la méfiance des chiffres ? Malgré tout la mémoire a ses fantaisies, car je me souviens encore de la seule multiplication à deux chiffres que je savais réaliser mentalement, celle par 11. Il suffisait d’additionner les deux chiffres et d’intercaler le résultat entre eux. Mais oui, vous allez voir ça marche : 25 x 11 (2 + 5 = 7) = 275 !
Pourtant j’ai trouvé aussi à l’école ce qui m’a aidée à échapper à mon quotidien de tristesse et d’angoisse : les livres. Quand je regardais dans mon manuel d’histoire la gravure représentant Vercingétorix jetant son glaive aux pieds de Jules César, ou Christophe Colomb naviguant vers les Indes, j’étais transportée dans un autre univers, je sentais que d’autres mondes existaient. Je récitais le poème de Lecomte de l’Isle et je frémissais à l’évocation de la panthère noire « la reine de Java, la noire chasseresse ». « Les bambous éveillés où le vent bat des ailes » me conduisaient loin du tilleul de la cour de récréation. On y voyait encore au sol les traces du mur qui avait séparé autrefois filles et garçons à l’heure des jeux. Des années après sa démolition chacun gardait son côté mais parfois l’intrusion de quelques garçons dans les jeux de filles semait la panique. Je n’imaginais pas alors qu’un jour en Algérie j’enseignerais dans un lycée non mixte à un public exclusivement masculin.
Si dans la cou

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