Autopsie d un guadeloupéen
134 pages
Français

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Autopsie d'un guadeloupéen , livre ebook

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Français

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Description

Ce roman autobiographique éclaire les problèmes qui ont été mis en lumière durant les dernières grèves en Guadeloupe. Car une chose est sûre : le Français de la métropole ne connaît que le visage que le Français des îles veut bien lui montrer. Cette autobiographie est servie par une belle écriture pleine d'humour et autodérision.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 263
EAN13 9782296680609
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Autopsie d’un Guadeloupéen
© L’Harmattan,
2009 5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattanl@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-09422-2
EAN : 9782296094222

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
R obert V ERGER


Autopsie d’un Guadeloupéen


L’H armattan
En Guadeloupe, jusqu’à l’âge de sept ans, j’ai grandi dans une sorte de favela remplie de cases en bois construites selon une architecture très rudimentaire. Des dizaines de maisonnettes si proches les unes des autres que deux personnes avaient du mal à se croiser dans les étroits passages. Pourtant la communauté fonctionnait sans accroc suivant un code de bon voisinage bien rôdé. Vous ne passiez jamais devant une maison ouverte, et ici elles le sont toutes avec les portes béantes tant que les moustiques n’ont pas commencé à les envahir à la tombée de la nuit, sans héler un : « Bonjour Messieurs-Dames ». Si c’était au moment du déjeuner, vous deviez ajouter : « Bon appétit », ce à quoi on vous répondait systématiquement : « Mais approchez, approchez donc », sous-entendu que vous étiez convié à partager le repas. Mais même si votre odorat avait été séduit par le fumet d’un court-bouillon de poissons ou d’un colombo de cabri, vous vous deviez de décliner cette invitation en prenant le ton de celui qui est très pressé : « Ah, pas aujourd’hui. Un autre jour peut-être. Merci quand même. » Mais sauf absolue nécessité, on ne circulait jamais à l’heure du repas afin d’éviter toute tentation. Car chacun sait que le Nègre – ce mot ne me gêne pas… tant qu’il est utilisé par quelqu’un de ma couleur, je ne l’accepte des autres que s’il se rapporte aux arts, je n’aime pas que certains auteurs blancs l’écrivent si facilement sous couvert de licence littéraire – aime le bon manger, et il le trouve toujours meilleur chez les autres. Aussi a-t-il une fâcheuse tendance à abuser. Quand il a goûté une fois…

Les querelles de couple ne regardaient personne. Les antagonistes pouvaient se renvoyer leurs griefs et leurs injures en s’époumonant sans que cela ne gênât qui que ce soit alentour. Et même si l’on venait à entendre des cris, des coups et des chocs contre les cloisons de bois, on n’intervenait en aucune manière. Si lors de ces affrontements conjugaux, un couple mettait nommément en cause une tierce personne du voisinage, celle-ci devait se garder de réclamer des explications. D’ailleurs, le plus souvent, son implication dans l’affaire était plus que probable. Et le lendemain, absolument rien n’avait intérêt à transparaître dans le « Bonjour Messieurs-Dames » au ménage troublé. Dans un proche canton, on a l’exemple d’une furie déclenchée par un sourire moqueur qui embrasa tout un quartier durant trois jours et deux nuits. Non, on ne rigole pas avec ça…

Lorsqu’à la mauvaise saison les pluies incessantes dressaient sur le paysage un mur grisâtre et que les trombes d’eau transformaient les passages en rigoles de boues, l’entraide était de rigueur. S’aventurer sous la bourrasque pour aller quérir un peu de farine, un broc d’huile ou une poignée d’épices était hors de question. Vous entrebâilliez alors votre fenêtre et avec le manche du balai vous tapiez contre celle d’en face qui ne tardait jamais à s’ouvrir. À travers l’épais rideau de pluie vous hurliez : « Excusez-moi voisine, vous n’auriez pas un petit peu de piment ? » Si elle-même en était à court, elle vous répondait : « Attendez, je vais voir avec Madame Unetelle à côté. » Et ainsi, les précieux ingrédients passaient de fenêtre en fenêtre enveloppés dans un bout de plastique. Et au lieu d’être trempé jusqu’aux os, vous aviez juste un peu d’eau sur l’avant-bras que vous vous empressiez d’essuyer pour préparer le repas sous le martèlement assourdissant du déluge sur le toit de tôles.


À la première accalmie, vous sortiez constater les dégâts. Jetant dans la boue quelques planches ou grosses pierres sur lesquelles vous vous déplaciez tel un équilibriste pour ne pas abîmer vos chaussures. Une tôle arrachée, un poulailler renversé, rien de bien grave. Le code veut que les moins touchés prêtent la main aux plus sinistrés. Vous vous mettiez aussitôt à l’ouvrage, profitant de l’élan collectif pour bricoler votre barrière ou calfeutrer des interstices entre les planches détrempées de votre maison. Au bout d’un moment, vous leviez le nez vers un moutonnement de gros nuages gris et, avec le ton blasé de celui qui a depuis longtemps accepté les humeurs changeantes de son ciel, vous lâchiez : « Dépêchons, ça va reprendre ».

C’est dans ce microcosme de pauvreté que j’ai grandi avec Claire, ma sœur cadette, et Freddy le benjamin. Mes parents ne s’étaient pas encore lancés dans la restauration. Ma mère lavait et repassait le linge des notables des environs. Mon père, lui, travaillait dans une boulangerie de la ville et partait en mer sur une minuscule barque dès qu’il le pouvait. Une grande part du poisson pêché était vendue sur le marché et le reste ramené à la maison. Durant cette période, nous nous sommes essentiellement nourris de pain et de poisson. Là réside peut-être l’explication de ma très bonne mémoire des détails quotidiens de cette époque. Enfin, c’est ce que prétend ma mère.
Nous vivions dans une case de deux pièces surélevée sur quatre blocs de béton pour obvier aux inondations et au pourrissement du plancher. L’un de mes tout premiers souvenirs est pictural. Après m’être emparé d’un pot de peinture, je m’étais employé à peindre ma sœur Claire en rose. J’avais trois ans et je m’en souviens comme si c’était hier. Maman qui poussait de grands cris, Claire qui tournait de l’œil. Il fallut une bonne heure et beaucoup de pétrole en guise de solvant pour la nettoyer. Pendant longtemps elle a empesté. Rien n’y a fait, ni talc, ni eau de Cologne.
D’habitude, lorsque je relate des événements datant de ma plus tendre enfance, les gens pensent que je fais miens des souvenirs rapportés par mes proches. Mais ces derniers savent bien qu’il n’en est rien. Ils sont à chaque fois stupéfaits quand je leur rappelle des choses dont ils n’avaient plus le souvenir. Ainsi, je revois dans le plancher le trou par lequel j’observais les rats sous la maison. Je revois la table bancale, les ustensiles de cuisine accrochés à des clous plantés dans la cloison de bois, le coin derrière la maison où mon père rangeait sous une bâche et des feuilles de tôle ses outils et ses affaires de pêche. Je revois la chambre parentale où nous n’avions pas le droit de jouer, la pièce principale meublée d’une desserte et d’une table entourée de quatre chaises que ma mère poussait tous les soirs pour installer nos couchages. Quand Freddy est né, mon père lui a construit un berceau et l’a placé à la tête de leur lit, du côté de maman. Le petit frère le seul prétexte que nous n’ayant jamais eu pour pénétrer le lieu défendu.

Dès l’âge de trois ans, j’allais à la petite école de Madame Thenard où Claire me rejoignit un an plus tard. C’était aussi une case de deux pièces comme de toutes celles des environs. Les époux Thenard y tenaient double office. D’un côté, la femme faisait la classe à trois rangées de trois élèves assis face à un vieux tableau noir ; de l’autre, le mari, un homme jovial à la bedaine proéminente, offrait ses talents de coiffeur. Quand la clientèle devenait rare, il se rabattait sur les têtes masculines de la petite classe nous infligeant d’autorité une coupe rase que « ta maman paiera plus tard ». Mais il n’exigeait jamais rien. Laissant les parents libres d’apprécier s’ils devaient lui régler ou pas sa prestation arbitraire. En ne s’opposant pas à cette razzia sur nos petites têtes noires, Madame Thenard se rendait ipso facto complice de l’abus de pouvoir de son testonneur de mari. Mais elle nous lisait de si belles histoires et nous apprenait de si belles chansons que nous lui pardonnions tout, même les semblants de fessées qu’elle administrait à ceux qui n’étaient pas sages. Je me souviens des contorsion

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