Délivrance
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Description

« Dès qu’elle le sut, la lutte commença. Il n’était pas question que cet être non désiré s’accrochât aux parois de son ventre qui n’en voulait pas. Elle conserva son secret, bien décidée à se débarrasser de l’intrus. Les sauts du haut de la table de la cuisine succédèrent aux bains très chauds et aux promenades à vélo sur des routes chaotiques scrupuleusement choisies... Trois fois hélas, cette chose non désirée s’accrocha à la vie de toutes ses forces, et je naquis difficilement au milieu d’un couple qui se disputait, se déchirait, se détestait et d’une sœur de treize mois et treize jours plus âgée, comptant bien préserver sa place de première. »

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Informations

Publié par
Date de parution 05 octobre 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748385045
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Délivrance
Marie-Rose Schang
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Délivrance
 
 
 
À Hubert, Thibaut, Mélanie et Gauthier…
 
 
 
À la fin des années cinquante, en France…
 
 
 
I. Une abominable naissance
 
 
 
De ses trois enfants, Thérèse n’a désiré que le premier, une fille nommée Évelyne. L’accouchement fut si difficile et dommageable pour le bassin de Thérèse, que le gynécologue lui recommanda vivement d’attendre quelques années avant d’être enceinte à nouveau.
Son mari, égoïste notoire et violent de surcroît, ne l’entendait guère de cette oreille et, faisant fi des recommandations médicales, n’écouta que son désir, son plaisir… Pauvre Thérèse, ce n’était vraiment pas l’union dont elle avait rêvé.
Ce qui devait arriver, arriva. À nouveau, elle fut enceinte. Hélas !
Dès qu’elle le sut, la lutte commença. Il n’était pas question que cet être non désiré s’accrochât aux parois de son ventre qui n’en voulait pas. Elle conserva son secret, bien décidée à se débarrasser de l’intrus. Les sauts du haut de la table de la cuisine succédèrent aux bains très chauds et aux promenades à vélo sur des routes chaotiques scrupuleusement choisies…
Trois fois hélas, cette chose non désirée s’accrocha à la vie de toutes ses forces, et je naquis difficilement au milieu d’un couple qui se disputait, se déchirait, se détestait et d’une sœur de treize mois et treize jours plus âgée, comptant bien préserver sa place de première. Cette dernière se demande, aujourd’hui encore, pourquoi je ne suis pas restée dans les abysses de ce néant que je n’aurais jamais dû quitter. Difficile de se sentir plus rejetée que cela ! Ma vie commençait bien !
« Si au moins tu avais été un garçon… » me racontera ma mère, quelques années plus tard… J’ai su très jeune que personne n’avait voulu de moi et ma mère moins que personne. Je me souviens n’avoir pas très bien compris comment cela était possible : dans ma tête de petite fille, une maman aimait forcément son enfant, c’était une évidence et jusque-là, les différences que je percevais entre les mamans de mes amies et la mienne ne pouvaient provenir que du fait que la mienne travaillait contrairement aux autres. Elle avait moins de temps et son travail la fatiguait. C’était pour moi la seule interprétation possible. Pourtant, j’ai ressenti très tôt ce manque d’amour, de chaleur et plus simplement, ce manque d’attachement.
 
À cette époque, nous étions très loin de l’égalité des sexes et rares étaient les femmes qui travaillaient en dehors de chez elles, du moins dans l’école de quartier que je fréquentais ; une école publique très ordinaire.
 
Après ma détestable naissance, commencèrent les longues procédures de divorce entre Thérèse et son mari. Le divorce était alors une chose parfaitement honteuse, suscitant l’opprobre du Français moyen, à tel point que le juge s’occupant du dossier de mes géniteurs les contraignit à un essai de réconciliation. Quelques mois plus tard, il ordonna ce rapprochement…
Ce qui devait arriver arriva. Un enfant naquit de cette union forcée. Un garçon. Dès lors, mon frère Marc et moi avions des raisons de bien nous entendre : nous avions un grand point commun, personne n’avait voulu de nous ; cependant nous existions et tout le monde devait composer avec nous. Heureusement pour Marc, sa présence semblait moins détestable que la mienne aux yeux de Thérèse : lui, au moins avait eu la délicatesse de ne pas être une fille. Dès lors, je me sentais mal aimée et me montrais désobéissante et rebelle. Bref, j’étais une empêcheuse de tourner en rond. Ce rôle me convenait certainement à merveille puisque pendant de nombreuses années, je m’y complus avec délectation. Cette rébellion larvée présentait l’immense avantage d’attirer sur moi un peu de cette attention que l’on m’accordait si chichement.
 
J’aurais tellement voulu être aimée de ma mère, hélas, je ne connaîtrai jamais ce bonheur que j’imagine merveilleux…
En revanche, je ne connaîtrai jamais non plus le vrai chagrin qu’éprouve un individu en perdant son père ou sa mère. J’envie ce chagrin sans parvenir à l’imaginer. Je l’envie parce que ceux qui l’éprouvent ont été aimés, imparfaitement peut-être, mais ils ont connu des parents tendres et protecteurs qui les encourageaient, essayaient de les comprendre, les consolaient et le cas échéant, à qui ils pouvaient se confier.
Ma mère est probablement la dernière personne au monde à qui j’aurais envie de me confier. Elle ne m’a jamais écoutée et ne m’écoute toujours pas, même après vingt-quatre ans de totale séparation… Je renonce à présent à la conquérir : je n’y parviendrai jamais. Pour moi, c’est terrible à dire, cela représente un échec total, mais je finis par l’accepter. Je n’ai aucun autre choix. Il faut que je cesse de me sentir comme une victime et que je parvienne à composer avec ce passé douloureux.
Cette acceptation est ma délivrance. Je m’avoue vaincue, mais l’âge de ma mère m’aide à ne pas stagner dans la rancune, cette rancune qui n’arrange rien, qui cède trop de place au passé et qui étouffe.
Elle m’a étouffée pendant des années, des décennies.
 
 
 
II. Une maladie qui tombe à pic
 
 
 
Mon père exerçait sporadiquement son droit de garde au gré de son humeur et des semaines, et s’occupait de l’un de ses trois enfants à tour de rôle, du moins d’après ce qui m’a été raconté.
L’un de ces dimanches où il avait décidé de remplir un semblant de devoir paternel pendant quelques heures, il m’emmena dans un parc de jeux de plein air qui comportait une balançoire, un toboggan et un bac à sable… J’avais environ trois ans. Ce sera la dernière fois que je verrai mon père… avant l’âge de trente ans.
 
Il me déposa dans le bac à sable, puis vaqua à ses occupations, desquelles je ne saurai jamais rien et qui m’importent peu d’ailleurs au moment où j’écris. Est-il nécessaire de rappeler qu’en ces temps ancestraux, les bacs à sable représentaient non seulement des aires de jeux adorées par les enfants mais aussi des toilettes, convoitées par les chiens dont les maîtres ô combien compréhensifs pour leur animal de compagnie, ne voyaient aucune raison de les priver.
 
Dans ce funeste bac à sable, je contractais donc une dermatomyosite, après avoir porté à la bouche des mains sales, bien qu’habiles puisqu’elles venaient sans nul doute de construire des châteaux en Espagne, aussi grandioses qu’éphémères. Cette infâme maladie me plongea dans un profond coma, agrémenté de problèmes de peau et surtout de problèmes musculaires et rénaux.
 
Pendant d’interminables semaines, ma vie fut suspendue à un fil ténu. J’étais comateuse, incontinente et couverte de lésions. Les plus éminents professeurs du corps médical crurent bon de prévenir ma mère que j’étais perdue, ce qui, je l’imagine, devait la remplir d’une joie inavouable et secrète. Après tout, elle avait tant lutté pour parvenir à ce but ! Elle aurait mérité qu’on la débarrasse de cette charge imméritée, d’autant qu’à présent, elle se sentait bien seule avec ses trois marmots, (elle disait « ses trois gosses », terme qui, à mon sens, est totalement dénué d’affection) dont elle n’avait désiré que le premier !
 
 
 
III. Claire
 
 
 
Seule ? Pas vraiment. Ma chère tante Claire la secondait dans cette lourde tâche que représente l’éducation de trois enfants, qui plus est, pour une femme désormais dépourvue de mari. Claire, de vingt et un ans la sœur aînée de Thérèse, était manifestement restée célibataire. Elle occupait un poste de secrétaire médicale dans le cabinet d’un psychiatre qui exerçait dans un établissement « spécialisé » – autrement dit, psychiatrique –, à quelques kilomètres de la ville. Elle vivait d’ailleurs dans cet hôpital, où elle disposait d’une chambre que j’avais eu l’occasion de visiter : il y régnait, pour autant que je m’en souvienne, un sympathique désordre, le genre de désordre qui peut régner dans l’appartement d’un intellectuel, un désordre fait de piles de livres qui ne trouvaient plus de place sur la bibliothèque déjà surchargée, et de rangées de disques classiques. Elle était donc mélomane et aimait la lecture, ce qui me la rend à présent un peu plus sympathique.
 
Claire était une petite femme aux traits fins et durs. Ses yeux bleus d’acier me transperçaient derrière ses petites lunettes, plus efficacement qu’un couteau de boucher ; ses lèvres inexistantes lui composaient une bouche dont émanaient méchanceté et rudesse, ce qui l’obligeait à faire un usage intempestif des rouges à lèvres les plus ostentatoires ; le résultat n’en demeurait pas moins passablement incertain. Elle s’astreignait à démontrer une autorité souvent démesurée, comme le font bien souvent les femmes de petite taille, obligées qu’elles sont, de savoir doublement s’imposer. D’une part, elles sont femmes et il n’était pas question, comme je l’ai déjà dit, d’égalité des sexes à l’époque ; d’autre part, elles se sentent desservies par leur manque de hauteur… Dans le cas présent, il ne s’agit pas que de hauteur physique, évidemment.
Cette femme me détestait autant qu’un être humain est capable de détester un autre être humain… J’étais son souffre-douleur, ce qui semblait justifier mon existence. Elle m’a inculqué pendant des années que je ne valais rien et que je n’étais capable de rien.
J’apprendrai, après sa mort, qu’elle n’était pas ma tante…
 
 
 
IV. Une saleté repoussante
 
 
 
Une autre personne interviendra dans ma vie d’enfant : Angèle. Une jeune fille que ni Évelyne, ni Marc, ni moi n’aimions

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