Ensablée
134 pages
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Description

« Et c'est avec une facile mélancolie que mes pas soulèvent le sable obscur, un soir d'émoi estival. Sans savoir si je suis amoureuse ou seulement déjà d'humeur instable, je pénètre la rivière d'Étel en espérant qu'il me rattrape. Mais loin derrière moi je distingue la vague silhouette de celui qui ne me rejoindra pas. C'est mon seizième anniversaire. Je n'attends plus et mon cou est saisi par l'eau glacée, ma gorge irritée par le sel et mes souliers s'engluent dans la vase. Merde. Je vais me noyer à cause d'un amour con et décevant imaginé pourtant infini vu de la hauteur de ma grande adolescence ? Je veux mourir. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342013627
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ensablée
Anne Le Roy
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Ensablée
 
 
 
Le temps passe… aujourd’hui derrière falbalas
Se dissimule un corps bien mal débosselé
Qui traîne un singulier malaise à chaque pas :
Le fil des souvenirs, fil de fer barbelé
 
 
 
 
1
 
 
 
Sans hélas, je suis morte à 27 ans et peut-être même bien avant… À l’école maternelle je suis la seule à savoir que lorsqu’on tombe raide mort parterre, ce n’est pas forcément les bras en croix. Se laisser choir est mon affaire et Willy, le vilain petit canard comme il en faut toujours un, m’enfonce la tête dans le sable. De jalousie je présume. Mes yeux me font mal et la maîtresse s’empresse à venir à mon aide. L’horloge sonne la fin de journée. Les parents sont tous là. Sauf les miens. Moi j’attends pépé Lulu. Il m’assoit sur l’arrière de sa mobylette et nous roulons doucement rejoindre ma grand-mère. J’ai encore en moi le goût des crêpes au beurre salé et l’odeur du sucre fondu. Maintenant, j’empile des pots de yaourt vides en attendant que ma mère vienne me récupérer. Elle est préparatrice en pharmacie. Je lui montre mes scoubidous et mon mécontentement. M’est dit que je la vois trop rarement.
Avec l’impression que je suis toujours seule, je considère à mon aise les délires et les angoisses qui menacent mon mental depuis ma prime enfance. Une caméra au pignon de la maison m’observe. Chaque fois que je fais le tour des façades, je me le dis et finis par le croire vraiment. Des bouffées de stress me dégoulinent dans le dos et comme pour me calmer, de mon esprit se font écho des mots ordinaires que je vide de leur sens à force de les répéter. J’adore vidanger en quelque sorte. Je suis haute comme trois pommes. Pourquoi « chou-fleur » retient-il en particulier mon attention ? L’énigme de la création me préoccupe-t-elle déjà ?
En tout cas dans mes creux des poèmes se font et se refont. Mon éditeur d’alors, « Le Lapereau », témoigne de mes premiers jeux d’écritures. Le dictionnaire trop petit est en balance avec mon imagination. Je m’autorise des inventions. Et toujours « chou-fleur » trotte en tête. C’est le favori d’un jeu gagnant. Et cette caméra au pignon, je la suppose capable de déceler mes défauts cérébraux. Parfois je me sens obligée de m’assujettir comme une plante à son tuteur. Alors mes délires verbaux se planquent en faute dans mon intelligence pour réduire les risques d’aquaplanage.
Dans mes rêves, mes chutes dans le vide me font vivre des moments de torpeur et je pleure souvent pour que ma mère vienne me border et que mon père intervienne afin de me rassurer à son tour. Je raconte que les autres à l’école me font des misères, que les garçons ne courent pas après moi et que je suis obligée de jouer aux billes pour gagner leur intérêt. Et le mercredi je ne vais pas à l’église tandis que la majorité de mes petits camarades va prier et se confesser. Et je les entends me dire une fois libérés par le curé : « Si t’aimes pas Dieu, t’es pour la guerre… » Ma petite revanche je la tiens malgré tout. Mes parents se font des gens peu ordinaires. Mon père est connu. On voit sa photo partout. Même sur l’envers du panneau stop de l’arrêt de bus qu’on prend pour rentrer le soir. En effet, il se présente aux cantonales cette année. Et ma mère paraît tellement jeune que mes camarades restent époustouflés quand ils apprennent qu’elle a neuf ans de plus que son mari. Je suis fière de la singularité de ma famille et je ne sais pas encore que les panneaux stop vont hanter mes années collège : Mon père est communiste militant et on me montre d’un doigt méchant désormais.
Au matin, je trouve au pied de mon lit un mot de mes parents et je leur réponds pour attirer à mon chevet un second billet tendre à mon attention. Nous entretenons ensemble d’étranges relations épistolaires. Elles sont capitales en ces temps de crise familiale. Mon père me dit de ne pas lésiner sur les marques d’affection envers ma mère. Mes parents croulent sous les soucis, mais la famille poursuit sa construction. Je me sens aussi rassurée qu’essoufflée par trop d’appréhension et mon lit, mon lit me ramène à des sentiers sans fin qui me font sursauter… Demain est le jour de mon cours de piano.
Une gamme, la méthode rose puis une sonate, je fais connaissance avec les 88 touches du piano avec un professeur atteint de cécité. Mes mains sur le clavier, ses mains sur les miennes il me guide et j’apprends ma chance d’avoir des yeux. Je suis à 7 ans son lapin bleu. Il me conseille vivement de m’inscrire à l’école nationale de musique de Lorient. Je termine mon cursus par une ritournelle de Satie. Le pianiste aveugle de mon enfance se suicide bientôt. J’ai gardé par hasard une partition en braille. Malgré quelques années de conservatoire et des quatre-mains réussis aux auditions annuelles, le piano symbolise pour moi et avant tout la mort poignante d’un enseignant peu commun.
Voilà six mois que je ne pianote plus pour ne pas déranger, Tan-y, ma grand-tante à l’agonie. Elle a des qualités présentant des nuances fondues, sans dureté. Elle produit chez mon frère Vincent une impression douce. Ce sentiment d’attachement, de générosité porte à le considérer avec bienveillance et à le traiter avec beaucoup de sollicitude. À 72 ans, elle est épuisée par le travail à la ferme, les animaux, les engins. Une natte loge dans son cou jusqu’à l’épaule, elle est magnifique. Puis elle glisse une discrétion à l’oreille de mon père. Nous sondons tour à tour sa souffrance. Même si on ne peut réduire le vécu douloureux de la mourante par des médicaments, la souffrance on peut l’écouter, l’accompagner. Mourir de vieillesse paraît légitime. Et on vieillit très vite dans le monde paysan. Malgré tout, disparaitre quand on est vieux est souvent tourment et solitude. L’existence s’achève sans jamais finir. Plus on vieillit, plus on accumule les expériences et plus les pertes de fin de vie sont lourdes et difficiles à assumer. Tan-y a d’abondantes raisons d’avoir des maux divers. Expirer ne lui fait pas peur, elle veut simplement un temps suffisant pour dévoiler le sens caché derrière son supplice. C’est une femme digne et tragiquement reposée. Elle veut parler. Le temps presse. Aucun traitement ne la fera survivre. Cette disparition touche très particulièrement mon petit frangin.
Mises à part quelques années de déliés musicaux, mes parents m’ont aussi fait découvrir des joies sportives. Gymnastique et premier concours sur une poutre, ski de fond et première spatule, tennis et première balle, natation et mes cinquante mètres, judo et ceinture orange, plongée sous-marine et un corps sans vie dans le port d’Étel : le frère d’une future camarade de lycée. Passons. Ma mère vient de me demander trois oignons, une gousse d’ail, des champignons de Paris, du vin et quatre pommes de terre pour préparer le civet ! Je reprends. Pour ma première plongée : un mort et un congre dans une auto envasée.
Mon frère veut faire de la trompette. Il s’essaie au violon alto. Dès le départ pour le conservatoire il se met à vomir. Symptomatique. À cette époque de vertiges et autres désagréments, nous établissons tous les deux des relations exclusivement confidentielles par moments soigneusement choisis. Nous gravons nos secrets et nos humeurs sur des morceaux de bois planqués dans le poulailler. Nous aimons aussi nos greniers et les araignées pour un décor sans fiction de notre petit bien-être personnel. Jouets brisés, vaisselle détériorée, dentelles jaunies. Nous fabriquons notre théâtre. La cave à lait, elle, nous impressionne. C’est une cachette d’odeur qui pèse sur les yeux, salissant nos bras et nos pantalons. Tout est vieux, mais séduisant dans l’ombre et le silence. La baratte noire et graisseuse ne transforme plus la crème de lait en beurre. Elle est simplement plantée là, immuable. Elle a été longtemps objet intrigant pour nous gamins imaginatifs. Non loin de là, les clapiers entassés logent de nombreux attendrissants et très nourrissants lapins. Ce qui rend capable d’améliorer la sécurité alimentaire de nous tous, petits paysans. Puis, des mini-biberons pour lapins bébés refusés par leur mère, au « coup du lapin » pour des raisons de surpopulation, il est difficile de ne pas s’émouvoir.
Notre maison est grande et riche en ambiances et recoins. Dans la cour, où nous apprenons à faire du vélo, les poules caquettent sur le gravier marqué par les roues du gigantesque tracteur traçant son chemin dans sa superbe posture. Et dans le jardin, c’est le puits qui nous attire. On y jette nos secrets comme des bouteilles à la mer en se demandant bien qui pourra les récupérer. Et qu’est-ce donc cette croix sur le mur qui fait l’ange sous le sapin ? Gibet où l’on attachait dans l’antiquité certains criminels ? Affliction que Dieu envoie aux hommes pour les éprouver ? Calvaire qu’on élevait aux lieux où était arrivé un accident, où s’était commis un assassinat ? Nous adorons cette croix qui fait le nom de notre domaine. Notre ferme est la ferme de Croix-Jean, n’est-ce pas ?
Vincent a des difficultés à l’école, je serai donc bonne élève. Toujours dans la moyenne, celle qui tire l’autre moitié. Tandis que mon frère déchire ses cahiers, je lui propose, après une remontrance de notre père de jouer au crocodile. Celui qui nous broie si on tombe du lit. Nous nous poussons, nous retenons et crions. Nous sommes heureux. Puis nous sortons courir dans les champs de maïs coupant où se glissent les sauterelles. Les mains et les jambes griffées, nous regagnon

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