Jeunesse syrienne
472 pages
Français

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Jeunesse syrienne , livre ebook

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Description

Natif de Damas, Alain Al Abayaji nous dépeint à travers Jeunesse syrienne la vie en Syrie dans les années 1950-1960.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 février 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332697011
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0112€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-69699-1

© Edilivre, 2014
1
Je me rappelle peu clairement ce que j’étais à trois ou à quatre ans. Les indicateurs qui servent d’ordinaire à classifier, à distinguer et à spécifier un caractère me viennent de si loin que, pareils à la lueur hésitante d’une étoile, ils ne puissent refléter la réalité que par suggestion et ne rendent qu’une vague idée de ce que mon caractère était en ce temps-là. Cependant j’ai le sentiment, incertain il est vrai, que l’ensemble de mes dispositions fondamentales n’a pas changé depuis cet âge, et que mon caractère d’alors et celui d’aujourd’hui sont, à des nuances près, la même et seule chose. De là à conclure que le caractère ne s’altère qu’en apparence, que l’on voit le jour et l’on meurt avec le même, il n’y a qu’un pas que je franchis sans balancer.
De même, très peu d’évènements, heureux ou malheureux, peuvent passer la distance de plusieurs décennies et réussir à revenir à mon souvenir aujourd’hui. Et de ceux qui y arrivent aucun n’est intact. Quand un fait marquant de ce temps-là se présente à ma mémoire, il est sans couleur – en noir et blanc ?- flottant et se laissant percevoir comme un parfum dans une grande pièce. Les mouvements ne sont pas forcément à la vitesse réelle, mais quelque peu accélérée ou bien au contraire ralentie. Pareil à une bande annonce d’un film, l’évènement qui revient de mes trois ou quatre ans ne se présente jamais complet, mais par bribes, et même parfois par une ou plusieurs photographies statiques. Le flou de ce qui en est conservé dans ma mémoire ne concerne pas seulement le déroulement ; lorsqu’une réminiscence d’un évènement se manifeste à mon esprit, je ne sais dire le jour ni le mois de son arrivée ; il est suspendu au milieu d’un espace de temps, et quand je l’appréhende, je ne puis déterminer sa position sans une importante marge, allant parfois jusqu’à plusieurs mois, voire un an ou deux. En revanche, l’heure de son occurrence semble avoir plus de facilitée à passer. Le souvenir est associé en général à un moment précis dans la journée : le milieu de la matinée, la fin de l’après-midi, la nuit, et cetera.
Il est remarquable qu’aucun souvenir ne me revienne de mes trois ans où je fus seul. Je ne me rappelle que les évènements où d’autres personnes étaient présentes : mes parents, mes frères et ma sœur, la bonne, mes grands parents et d’autres gens connaissances de mes parents. Leurs visages d’alors sont totalement effacés, remplacés par des visages bien plus tardifs. La mémoire a l’étrange caprice de poser des têtes de quarante ans sur des corps de moins de six ans, et des visages de vieillards sur des corps dans la force de l’âge. Quand je pense aujourd’hui à mon frère Salah alors qu’il avait un an, je le revois avec les traits de ses vingt ans.
Il n’est pas question non plus de préciser les conditions dans lesquelles un évènement eut lieu, les souvenirs de ce temps-là ressemblent à des fantômes vaporeux se mouvant dans un lointain brouillard, et pareils à un courant électrique qui s’évanouit avec la distance qu’il parcourt dans une ligne à haute tension, ces fantômes se distinguent de moins en moins du brouillard qui les emporte en s’éloignant. Si l’image d’une dispute entre mon père et ma mère me revient, je ne me rappelle pas la raison de cette dispute, ni les suites qui s’en suivirent.
Je me rappelle que ma mère tenait à ce que nous fussions au lit une heure environ après le coucher du soleil, et que notre réveil se fît à son lever. Nos heures de sommeil étaient ainsi presque aussi longues que les nuits, et leur nombre diminuait ou augmentait suivant la succession des saisons. « Le soleil est fait pour ça, » disait-elle.
Au moment où j’entrais dans mon lit, j’étais envahi par une impression de propreté, à laquelle étaient associés la vue et l’odorat. Non seulement le drap et la taie d’oreiller étaient impeccablement repassés et d’un blanc net et immaculé, mais j’en sentais également l’odeur, celle que dégagent les tissus sortis de la machine à laver et séchés au soleil. Mon pyjama repassé restait, quand il n’était plus tout neuf, sans rien à envier au drap et à l’oreiller.
J’entrais dans mon lit en même temps que mon frère aîné Rida, ma grande sœur Zainab et mon petit frère Salah respectivement dans les leurs, sous la surveillance de la bonne, une jeune fille dont je ne me rappelle pas le nom. Elle nous bordait à tour de rôle, en procédant toujours dans le même ordre par âge décroissant. Elle commençait par Rida, puis passait à Zainab, ensuite venait à moi, et elle terminait avec Salah. Ensuite, après avoir jeté un dernier coup d’œil d’ensemble, et s’être assurée que tout allait bien, elle éteignait la lumière puis sortait en fermant doucement la porte derrière elle, et s’en allait se coucher. Notre chambre était suffisamment spacieuse pour contenir nos quatre petits lits en laissant de l’espace entre eux. Elle était ouverte vers l’extérieur par une large fenêtre unique, assez haute pour que je ne pusse atteindre son arête inférieure qu’en tendant mon bras, debout sur mon lit.
Je n’avais pas, d’ordinaire, sommeil au moment où j’entrais dans mon lit. Mais dès que la bonne eût éteint la lumière – privilège de la prime jeunesse – je m’endormais d’un sommeil profond. Je ne passais pourtant pas toujours des nuits sereines. Sans que j’en eusse conscience, en plein sommeil, je me mettais parfois à crier : « on m’a volé mon lait ! On m’a volé mon lait ! » Mes cris réveillaient mes parents au beau milieu de la nuit, et ma mère se dépêchait de venir à mon chevet, inquiète et curieuse, pour découvrir que je continuais à dormir, quoique d’un sommeil agité, et que les hurlements que je poussais venaient du fond d’un rêve. L’incident se répéta assez souvent pour alarmer mes parents et pour perturber le repos de tous les habitants de l’appartement.
Après un rêve où mes cris furent particulièrement forts et répétés, ma mère, se tenant debout au bord de mon lit à côté de mon père, venu enfin examiner mon cas lui-même, finit par s’exclamer : « Cet enfant a l’âme dérangée, il ne fait pas de doute qu’un quelconque démon a prise sur lui. » Mon père, prenant l’assertion de ma mère au sérieux à moitié, mais ne croyant pas du tout qu’un médecin eût pu quoique ce fût dans cette affaire, accepta de céder à la demande de sa femme de m’emmener chez un cheik dont elle connaissait la renommée en matière d’exorcisme.
Le lendemain, mon père ne retourna pas travailler après le déjeuner, comme il en avait l’habitude. Il m’emmena, accompagné de ma mère, dans le quartier nord de Damas, chez le célèbre médecin des âmes, qui demeurait tout près de la mosquée d’Ibn Arabi. Ils n’eurent pas de difficulté à trouver son domicile, tous les habitants du quartier le connaissaient et savaient où il habitait. Mon père jeta un regard incertain à ma mère, s’attarda un instant comme s’il hésitait encore, puis se décida à sonner à la porte. Un jeune garçon, sans doute le fils du cheik, ouvrit puis introduisit les visiteurs dans une cour intérieure carrelée, où le chef de la famille était assis sur une chaise au bord d’une fontaine au milieu de laquelle surgissait un jet d’eau limpide et scintillant dans le soleil de l’après-midi, sirotant du thé, le regard tourné vers un citronnier, unique plante de la cour. L’endroit jouissait d’un silence total, sauf du bruit monotone et engourdissant de la chute de l’eau dans la fontaine.
Mes parents lui firent des salutations cérémonieuses et respectueuses, auxquelles il répondit dignement avec un air pénétré. Mon père me présenta alors et lui raconta le mal dont il était venu quérir la guérison. Le spécialiste écouta le récit de mes parents sans les interrompre et sans poser de question, se contentant de hocher la tête de temps en temps, pour montrer qu’il entendait bien, puis demanda à me prendre dans ses bras. Il me tint assis sur sa cuisse, sa main couvrant ma tête, me regarda fixement dans les yeux un moment puis ferma les siens. Il resta immobile et silencieux quelques instants, puis commença à réciter d’une voix peu perceptible des incantations non intelligibles, sur un ton impératif comme s’il donnait des ordres, en langue étrangère, à un interlocuteur invisible. Le traitement ne dura en tout que deux minutes, au bout desquelles l’exorciste souffla sur mon visage en me rendant à mon père, et lui dit d’un ton jubilatoire et triomphant : « Votre fils est guéri, le mal dont il souffrait est parti et jamais il ne reviendra. » Mon père le remercia avec effusion et lui glissa une livre dans la main. Le cheik, les yeux et le visage fermés, garda sa main tendue vers mon père. Celui-ci comprit et lui versa une autre livre. Voyant la main du cheik toujours ouverte, il y déposa de mauvaise grâce une troisième livre, et fut soulagé de voir la main du guérisseur se refermer, et son visage se détendre. Il bredouilla à l’adresse de mon père de vagues remerciements qui se terminaient par « Dieu te les rendra. » Mes parents prononcèrent mille mercis puis le quittèrent en saluant. Ils franchirent le seuil de la porte de sa maison, aussitôt refermée derrière eux par le fils du religieux.
En montant dans la voiture, mon père, à moitié convaincu, fit à ma mère : « Il dit que l’enfant est guéri. Pour ce prix, je veux ! »
Mes cris cessèrent depuis ce jour-là, et mes parents furent soulagés de constater que je dormais dans le calme. Mon père fut particulièrement content de ma guérison, constatant que son investissement n’avait pas été en pure perte. Cependant, une question à laquelle il ne trouvait pas de réponse satisfaisante revenait inlassablement dans son esprit et le rendait pe

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