La Méduse
80 pages
Français

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Description

Qu’est-ce qui fait partir à seize ans ? Boucler une valise, embrasser sa famille, montrer son passeport tout neuf pour l’avenir ? La conviction étrange d’une petite fille rebelle et renfermée qu'il faut aller chercher ailleurs. Le sentiment confus d’une enfance qui avait atteint un point de non-retour, de non-dupe. Peut-être, aussi, la curiosité d’aller voir de près ces ancêtres, autrefois victimes des atrocités de leurs bourreaux, devenus, aujourd'hui, vainqueurs en six jours comme dans un happy-end à l’Américaine ? Peut-être aussi, la passion d’aller au-delà du peu qui m’avait été donné. Comme si la malchance était une chance. Comme si naître sans être désirée pouvait devenir liberté, drapeau, étendard ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 janvier 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334054379
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-05435-5

© Edilivre, 2017
Dédicace

A mes trois enfants,
Qui ont tout de suite compris que la fraternité n’est pas une histoire de sang…
Cette histoire qui est la mienne,
N’est pas un exemple. Surtout pas !
C’est l’accumulation des souvenirs qui ont construit ma vie,
Et qui, en conséquence, a un peu construit la vôtre.
A vous maintenant, de choisir votre propre chemin…
1 Syncope
Tout avait bien commencé pourtant, aujourd’hui. Il n’y avait aucune raison de tourner de l’œil… Nous avions randonné jusqu’au sommet de la Légette. Ensuite, nous nous étions assis sur l’herbe en silence. Toute la chaîne du Mont Blanc était là, à nos pieds. Y avait-il encore besoin de dire quelque chose ? Il y a plus de vingt ans déjà que nous revenions chaque été nous remettre en forme dans ce coin des Alpes. Dans un vieux village savoyard haut perché entre la vallée de l’Arly et celle du Beaufortin. Malgré les années, c’était toujours le même enchantement devant ce spectacle ! Puis, nous sommes redescendus en nous tenant par la main, sifflotant comme des scouts. Nous avons déjà tous les deux bientôt l’âge de la retraite. Mais sur les sentiers alpins, on oublie tout. L’âge, la lassitude et les rhumatismes. La dernière auberge encore ouverte, en cette fin d’été, proposait un menu champêtre, sans prétention. La cheminée allumée, l’atmosphère chaude du vieux bois. Un avant-goût de la saison froide qui s’annonce.
D’abord, ce fût un simple vertige, fugace, indicible… Et puis soudain une fascination… Ma vision baisse, les objets qui m’entourent perdent leur stabilité, quelque chose en moi résiste encore quelques secondes… Ne pas tomber, ne pas tomber ! Mais rien n’y fait, je suis déjà à terre, dans un bruit sourd que j’entends sans rien ressentir. Des visages s’affolent autour de moi… Roger m’appelle, mais je n’entends plus sa voix… Il est si loin, il doit être mort de peur ! Mais ne t’inquiète pas, voyons, ce n’est qu’un simple malaise, une syncope, un impromptu dans une inconscience profonde et douce… C’est à la fois sombre et lumineux… Tiens, une méduse… La méduse de mon enfance.
Je devrais détester mon enfance et tout ce qui lui survit…
Et au contraire, je l’aime. Et j’aime surtout ce qui en reste…
Je devrais la détester car elle était à l’opposé de celle dont j’aurais rêvé… Dans une grande maison claire, aux murs couverts de livres, classés, rangés par auteurs, par spécialités… Là, j’aurais grandi comme une plante rare. Sous le regard bienveillant d’un jardinier savant, capable de décliner le nom latin de toutes ses fleurs… En fait, chez moi, c’était le bruit ronflant de machines à coudre qui venait de l’atelier. Mon père y régnait, dans une pagaille de bouts de papier, de tissus, de ciseaux et de bobines de fils. Et aussi, sur deux ou trois ouvrières, le nez planté dans leur ouvrage. Tout me paraissait si grand à l’époque. Mon père me semblait être un colosse qui maniait de gigantesques ciseaux sur une table infiniment longue. Et tout cela s’assemblait, de petites mains en petites mains. Pour finir en robes de toutes les couleurs que mes parents vendaient sur les marchés…
J’aurais dû détester cette naissance improvisée…
Erreur de parcours de la cigogne qui déposa son colis à une mauvaise adresse. Chez un jeune couple incroyablement mal assorti. La naissance du premier né venait à peine d’être célébrée. « Et une fille, par-dessus le marché, s’entendit dire mon père, c’est le comble ! » J’aurais dû haïr cette peur d’attirer l’attention qui me faisait pleurer derrière les portes. Et cette façon de me rebeller pour attirer l’attention, cette fois… Terrible paradoxe des enfants du non-désir… Fuir à toutes jambes par peur d’être à nouveau, comme à la naissance, un cheveu dans la soupe. Un objet dérangeant et incongru. Et ensuite, après de longues errances, tenter le plus maladroitement possible de se faire aimer à nouveau. Se faire aimer quand-même. Se faire pardonner une faute mystérieuse et secrète. Une faute commise par une cigogne ! Mais une faute est une faute de toutes façons…
J’aurais dû détester ma mère…
Et c’est pourtant avec tendresse que je me souviens de cette étrange relation inversée où je servais déjà, toute petite, de conseillère conjugale, de médiatrice des conflits, et parfois à l’occasion de bouc émissaire… Dans cette famille où personne ne contrôlait la moindre des colères, j’avais trouvé une place vacante. Psychologue avant l’âge, j’étais la confidente, j’étais l’eau pour éteindre le feu. Devant les conflits, j’étais le témoin et l’arbitre. J’étais aussi la seule à croire à mon importance…
Tous ces souvenirs sortent d’un marécage confus. Une eau sans fond où se confondent toutes les existences. La mienne et celle des autres.
Mon histoire n’a pas de commencement. Ma famille n’a pas d’histoire. Les grands-parents avaient perdu en Pologne la trace des frères et des sœurs déportés. Et le silence à leur sujet avait effacé leur mémoire. Il ne restait plus de leurs fantômes, qu’une petite bougie allumée, une fois par an. Le jour d’une fête juive dont on avait oublié, et le nom, et l’histoire…
Oui, j’ai eu envie de détester cet « excusez-moi du peu ». Ces systèmes D pour cache-misère. Cette acculture dérisoire. Même la nostalgie n’était qu’imaginaire ! Mais c’est la misère morale qui faisait de nous une famille pauvre. L’argent ne manquait pas. Du moins, à certaines époques. A d’autres, on s’en passait. C’est surtout le dénuement culturel. Une famille pauvre en relations, pauvre en modèles, pauvre en références. Comme une cellule jetée dans un océan. Ma famille n’appartenait à aucun corps. Sa survie tenait d’un phénomène curieux, entre le biologique et l’économique, entre l’amibe et la méduse…
Comment s’épanouir dans ce fond marécageux ? C’est comme si j’avais découvert très tôt que pour m’en sortir, il fallait se défendre ! Ne pas se laisser contaminer par l’envie, la jalousie, le désir de vengeance. Tous ces virus qui grouillaient dans cet insalubre bouillon de culture. Toute mon énergie, je la consacrais à me construire une carapace, à devenir invulnérable. Quand j’avais encore la taille d’un chiot, je me cachais sous les chaises. Après y avoir posé une nappe, je m’y installais, je m’y camouflais. Là, j’étais bien, j’étais protégée… Un peu plus grande, je me trouvais sur mon chemin, une alcôve, un recoin derrière un portique. J’en faisais mon jardin secret, mon abri clandestin. Je m’y arrêtais sur le chemin de l’école. Je m’inventais un monde dissimulé derrière les choses. J’imaginais que je grandissais là, seule, sans parents, en me débrouillant pour que personne ne l’apprenne. Je me voyais prenant un repas de fortune, piqué la veille à l’épicier du coin. Je me lavais ensuite les dents et refermait à double tour et sans bruit, la porte invisible qui séparait le monde de mes rêves et de la réalité…
Il y avait cette solitude qui me collait à la peau ! J’avais beau être avec les autres, j’étais dans une bulle… Personne ne savait, personne n’aurait pu deviner qu’il y avait cette paroi invisible entre moi et les autres… Mur transparent qui parfois me renvoyait une image tronquée du monde. Une image avec des trous. Des paroles à moitié effacées, des sensations en partie estompées…
De temps en temps, quand je sortais la tête de ma bulle, je me faisais remarquer d’une façon grotesque. Dans le regard des autres, je lisais : tiens, elle parle ! Tiens, elle existe ! Et leur étonnement me faisait rougir de honte… Ce jour-là, je m’étais même mise debout, dans cette classe où tout était encore nouveau pour moi. J’avais entendu l’institutrice demander : connaissez-vous une langue morte qui s’est remise à vivre ? Et tout-à-coup, j’avais lancé à voix haute : l’hébreu ! Dans la seconde qui suit, je suis le point de mire d’une trentaine de filles de dix ans qui n’avaient jamais entendu parler de l’hébreu de leur vie, ni entendu cette voix, ni vu ce visage à lunettes et cette queue de cheval.
– Et où parle-t-on cette langue ? Continue la dame souriante en s’approchant de mes joues en feu.
– En Israël.
– Bien, très bien ! Vous pouvez vous rasseoir.
J’étais d’ailleurs, j’étais différente !
Et je traînais d’école en école, de déménagements en déménagements, cette invisible distinction. Il n’y a pas d’explication qui tienne ! J’étais née comme les autres dans ce pays du Nord où Flamands et Wallons se regardaient en chiens de faïence. Où les mots germains et latins se disputaient et se confondaient en même temps. Où la grisaille donnait au temps un air d’éternelle nostalgie. Et où, moi, j’étais différente. Cela finissait toujours par se savoir un jour ou l’autre. Alors j’en avais fait mon parti. Je n’avais plus rien à cacher. La dissemblance se paraît d’une supériorité mystérieuse…
En allongeant les jambes sous mon pupitre, ce jour-là, je savourais une victoire imaginaire. Comme si je m’étais battue avec Dieu, comme si j’avais bravé l’interdit, comme si j’avais relevé le défi de tous les invisibles de la terre…
Une famille juive. « Nous somme une famille juive ! » Je l’ai toujours su. D’ailleurs je ne me souviens pas l’avoir appris un jour. Ma mère se présentait ainsi à la directrice d’école, et j’acquiesçais de la tête depuis toujours. Ensuite je tremblais à l’idée qu’une compagne de classe me demande : c’est quoi juif ? Je savais vaguement que nous avions des ancêtres du temps de l’antiquité de Rome, de l’Egypte et de la Grèce. Ils habitaient dans le désert et ils avaient inventé la bible. Pas celle de Jésus, une autre, une plus vraie ! Celle qui raconte en hébreu une histoire naïve de création du monde en sept jours et d’autres légendes encore plus

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