Le Dibbouk et autres textes
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Le Dibbouk et autres textes , livre ebook

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Description

"Elle peut me regarder, moi qu’elle a choisi, je ne vois pas ses yeux, même si je sais qu’ils sont actifs. Que cherche-t-elle ainsi? Un réconfort viril après une étreinte? Le fruit d’un amour à jamais dénaturé et qui fait toujours mon front plus lourd? Un pendule d’hypnotiseur à hauteur du sexe. Je suis l’enfant et l’homme. Je suis la matière vivante, le giron obscène de sa bouche. La lumière anesthésie mes prunelles qu’elle rend aveugles. Je suis raide comme un mort, mais je sens ma nuque prête à céder, tant ma tête dodeline. Alors, le gouffre de la vie qui sépare la mort appelle le temps qui me traverse à me traverser plus encore, pour s’engloutir en lui, pour la gloire de Lillith." Ce livre propose une compilation de textes superbement écrits où la douleur de vivre et le désœuvrement de l’auteur filtrent avec dignité et poésie. La mélancolie domine les différentes anecdotes ici relatées et teinte de ses couleurs jaunies par le temps les visages et les décors de cet ouvrage. La prose précise et érudite, le style fluide de Jérôme Sas donnent à regretter la disparition de cet écrivain de talent que l’on découvre avec un émerveillement forcément nuancé de tristesse.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 novembre 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748371574
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Dibbouk et autres textes
Jérôme Sas
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Dibbouk et autres textes
 
Première préface
 
 
 
« Il nous reste le Journal qui toujours atteste qu’Anne Frank est passée par ce monde. »
La trentaine de textes qui suit témoigne d’un autre passage. Jérôme Sas n’a pas vécu les années trente et les années quarante, il est né plus tard, en 1967. Et s’il n’a pas connu la Seconde Guerre mondiale, il a connu une autre guerre. L’écho de la catastrophe originelle qui frappa sa famille bien avant sa naissance : la mort d’un grand-père à Auschwitz, la survie miraculeuse d’un père ayant échappé à la rafle du Vel d’Hiv à l’âge de 13 ans et surmonté ensuite les épreuves d’un périple où le danger guettait à chaque instant. Dans certaines familles, il faut le dire, la guerre n’était pas finie en 1967. « La guerre se rappelait à nous dans ses conséquences », écrit Jérôme Sas dans Le Garçon à l’étoile . D’où la quête sans espoir d’une Pologne des origines, d’un paradis perdu qui vient se fracasser contre les réalités de l’Histoire. Et la tentative d’effacer, de faire semblant de croire, un instant, que tout cela n’a pas eu lieu. Mais le réel – la bête dans la jungle – attend le moment de sauter sur sa proie pour l’anéantir. Et la guerre historique se transforme en une guerre intestine à laquelle la raison, parfois, ne résiste pas. « Je suis enfermé en moi-même. » « C’est une salamandre hypnotique que j’ai dans le cerveau. » « C’est de soi qu’il faut s’abriter. » Sous forme de récits brefs, sous forme de poèmes qui sonnent comme des ritournelles, Jérôme Sas fixe des moments qui échappent, d’ordinaire, à tout essai de description ou d’analyse. Une sorte de démon – un dibbouk, dit-il – a pris possession de son esprit mais au lieu de le subir ou de le fuir, il dialogue avec lui. « Tout le poison que tu as versé dans mon cerveau a été un admirable breuvage. Tu es un artiste. Ma raison est ta raison d’être. »
Les étapes d’une descente aux Enfers se dessinent sans pathétique et sans chronologie – saisies dans leur essence. Les rues familières de Paris deviennent le théâtre d’une inquiétante étrangeté. On pense à Nerval, on pense à Lautréamont. La littérature est le seul refuge.
Mais la littérature n’a pas suffi. Jérôme Sas a mis fin à ses jours un matin de février 2009, à 41 ans. Pourtant, le dibbouk n’a gagné qu’en apparence – il nous reste ce témoignage poétique de la lutte contre un naufrage intérieur qui menace chacun d’entre nous.
Cécile Wajsbrot
 
 
 
 
Deuxième préface : Lucide et innocent
 
 
 
Nous ne parlions pas que de littérature. Un jour, avec une loyauté souriante, Jérôme Sas m’a parlé des « bénéfices secondaires de la maladie » : cette expression admise, je ne la reçus pas comme une évidence incontournable.
 
Qui voudrait du loisir obtenu du fait de la schizophrénie ? Qui en voudrait pour soi, tout à trac, ici et maintenant ? Qui réclamerait, à cor et à cris, du handicap dans sa besace, de la terreur dans sa tête, une division éruptive de l’esprit sous le fracas d’une trombe ?
 
Mais Jérôme était écrivain. Un écrivain à l’œuvre aussi étroite qu’une brèche dans son tourment, une incision, mais décisive, une liberté, mais stupéfaite jusqu’à produire dans la phrase l’énigme puissante d’un sourire intérieur qui coule sur les joues comme une larme et s’adresse à autrui autant qu’à soi-même. Cela m’évoque une phrase du poète Armen Lubin : « On n’est libre que par pans. »
 
Ma consolation, lorsque je pense à Jérôme Sas, à cet homme empêché dont la lutte était une imposition au spectre inimaginable, ma consolation et mon honneur c’est de lui avoir dit mon admiration pour ce joyau qu’est, à mes yeux, et que va devenir, sous vos yeux, son texte intitulé Le dibbouk.
 
Lorsqu’il me le donna à lire, je le reçus pour ce qu’il était, un cadeau majeur reconnu dans ma vie de lecteur : « Cette clarté insupportable, ces atermoiements insensés, toujours renouvelés, quelle œuvre ! Ah ! Dibbouk, mon cœur est ton mausolée. »
 
Pour triompher de son dibbouk, Jérôme était sans armure. Alors, ceux qui l’ont connu et ceux qui le liront sont unis dans le souvenir, comme si le souvenir était un au-delà du chagrin, comme si persistait, malgré la part de la tragédie, la part de l’autre en nous, la possibilité du partage des affects comme une chanson entêtante, une rémanence heureuse qui défie l’espoir et le désespoir.
 
C’est pourquoi je suis heureux d’avoir connu Jérôme et triste de l’avoir perdu. Je voudrais être sûr qu’il ne s’étonnerait pas de nous manquer. Reste à le lire pour l’entendre encore, car il mérite d’être écouté.
 
J’aurais voulu aussi pouvoir l’informer du fait que le Journal d’Anne Frank vient d’être traduit en arabe. Le lui dire à lui qui écrit : « Son esprit toujours répond aux élans de son cœur, et vient sur le papier dire l’histoire d’Anne. »
 
C’est ainsi que, lisant les textes de Jérôme se retrouve ce qui ne passe pas. Le souvenir du lucide innocent se maintient amicalement en ceux qui le lisent. Car sinon, de qui se souvenir ?
Salim Jay
 
 
 
 
Le dibbouk
 
 
 
Petit homoncule, Dibbouk. Je sais que je peux être d’un commerce agréable. Mon corps d’adolescent était doux et chaud, comme la chevelure d’un chérubin. Maintenant, tu t’es habitué à ma chair que tu as vieillie, mon ami Dibbouk. Tu es le miroir noir de mon corps. Mon esprit, tu le connais par cœur. À ce festin je suis heureux de t’avoir pour hôte, Dibbouk ! Je sais que tu n’iras visiter personne d’autre, et que tu connais ma coquetterie ! Joyeux, turbulent, tu te figes sur le haut de mon crâne comme le Penseur de Notre-Dame. Tu regardes la ville par mes yeux. Que serais-tu sans moi ? Maintenant que nous vivons en bon voisinage, comme deux vieux garçons, je peux te le dire, je n’ai aucun grief. Reproche-t-on au tigre d’être un tigre ? Tout le poison, la belladone avec ses épines, que tu as versé dans mon cerveau, a été un admirable breuvage. Tu es un artiste. Le tout léger et persistant tremblement du sens, je le regarde comme une création originale que tu as même pris le soin de signer. Cette clarté insupportable, ces atermoiements insensés, toujours renouvelés, quelle œuvre ! Ah Dibbouk, mon cœur est ton mausolée. Avec les plus fins pinceaux, tu es parvenu à créer une croûte d’une formidable indécence. Dibbouk, mon cœur t’appartient. Et d’un bord, à l’autre bord, tu m’as chahuté sur une mer fangeuse et sans issue. Quelle délicatesse dans la confusion, quel adorable travail. Surtout, tu sais mettre la main à la pâte, et l’art de ne pas marier les grumeaux. Tu es jusqu’au-boutiste jusqu’au scrupule. Ma raison est ta raison d’être. Tu es un faune, Dibbouk. Dans le terrassement, rien n’égale ta profusion. Tu glorifies le mal comme d’autres les hommes illustres. J’en suis flatté. Bravo Dibbouk, je comprends ta mélancolie. Tu ne seras jamais abouti. C’est ton sort, n’est-ce pas damné ? C’est ta profession, tu aimes ton métier, donc, je ne peux te plaindre. Pauvre Dibbouk.
 
 
 
 
Visite à un ami
 
 
 
Moi, le maussade, je gaspille mon temps. Je rêve d’architectures byzantines. Ou de volutes à la manière de Guimard. N’importe quoi qui puisse me distraire de mon impatience.
Comme toujours lorsque je suis dans cette disposition d’esprit, je rends visite à mon dibbouk. On a les amis que l’on peut. Il écoute mes doléances en fronçant les sourcils tandis qu’il fume une petite pipe de bruyère.
Je lui dis qu’avec les femmes, il n’y a rien à faire. Qu’au moins, si je savais y faire avec la vie, elles me trouveraient plus présentable. Que c’est une situation dont il est en partie responsable. Et là, je me mets à hausser le ton.
Le dibbouk s’enfonce dans son fauteuil, les bras croisés sur la poitrine. Je sais qu’il est en train de préparer de nouvelles variations à son antienne. Il utilise toute la panoplie de la sollicitude persuasive, n’hésitant pas à m’exhorter amicalement. Il paraît si pénétré du bien-fondé de ses propos que j’incline la tête comme un enfant fautif, légèrement honteux, mais tout de même reconnaissant de l’entendre ainsi s’employer.
Car c’est cette consolation que je viens chercher auprès de lui. Et comme il me connaît assez, il me l’offre bien volontiers avec une conviction toujours renouvelée.
Il s’ensuit une sorte de détente instantanée. Je suis rasséréné et peux partir, cependant pas avant qu’il se soit assuré, dans une dernière salve d’encouragements, que je suis bien apte à affronter la vie moderne de nouveau.
Je sais bien qu’au fond tout cela n’est pas très raisonnable, mais je suis encore un enfant qui regarde ses souliers. Et parfois, s’il m’arrive de toiser le monde, c’est avec l’aplomb des innocents inconscients de la vraie dureté de la vie.
 
 
 
 
Cet immense pays
 
 
 
Pour un garçon de ma génération, la Pologne est une terre un peu mythique. Elle vit dans le passé auprès de l’Atlantide, des Jardins d’Asphodèles, de l’extrême Pôle blanc qui aimanta Gordon Pym. C’est dire si ces compagnons de fortune avancent de concert dans l’imaginaire.
Cortège de landes douées d’un langage qui emprunte au parler des animaux de La Fontaine son pouvoir d’émerveillement, mais se dissimule de la transparence de la langue classique derrière un idiome magique comme un chant de sirènes
Les Juifs, c’est un pays dans le pays. La synagogue dans la cathédrale. À sa vraie place. Non pas comme ces scènes bibliques que l’on f

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