Le discours cinglant d un vieil homme aveugle
210 pages
Français

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Le discours cinglant d'un vieil homme aveugle , livre ebook

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Description

« Tous les habitants du quartier le connaissent, et la plupart d'entre eux, du moins ceux qui font partie de sa génération et qui sont encore vivants, reconnaissent volontiers l'ardeur dont il a toujours fait preuve au travail. Il était considéré, autant par ses amis que par ses ennemis, comme un travailleur pugnace, acharné, obstiné ; qui ne s'arrêtait que quand il avait atteint l'objectif qu'il s'était fixé. Chaque matin, on le voyait passer de bonne heure en sifflant ; l'œil vif et la démarche alerte, il allait d'un bon pas cultiver son champ. » Après une dure vie de labeur, N.F. a été frappé de cécité à 70 ans. Plongé dans une obscurité angoissante, et sentant sa santé se détériorer au fil du temps, il retrouve, à 93 ans, un peu de réconfort et de compagnie pendant les neuf années de visites régulières de son filleul, revenu au pays, lui apportant détente et évasion. Ensemble, ils discutent de nombreux sujets et échangent leurs impressions communes sur la société et ses dysfonctionnements, à commencer par la destruction progressive et régulière du lien social. Ils évoquent et partagent des souvenirs, souvent empreints d'une douce nostalgie, d'une Martinique d'antan que regrette le vieil homme. Plus qu'un bel et poignant hommage à son parrain, le narrateur pousse un véritable cri du cœur. Il nous entraîne dans une profonde réflexion quant à notre rôle d'être humain : faisons-nous suffisamment preuve de patience, d'empathie et de générosité à l'égard des personnes âgées et/ou handicapées pour tenter d'apaiser leur souffrance, les délivrer de leur isolement, rendre moins cruel et plus supportable leur quotidien ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342168075
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le discours cinglant d'un vieil homme aveugle
Romain Fanchonna
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Le discours cinglant d'un vieil homme aveugle
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
Préface
Le citoyen qui est né pauvre, en France, est-il irrémédiablement condamné à rester pauvre toute sa vie ? Le système français, tel qu’il fonctionne actuellement, est-il vraiment en mesure de lui offrir une réelle possibilité de gravir, de façon équitable, les marches glissantes de la hiérarchie sociale ? Le sort de ce citoyen, ses perspectives d’avenir, ses aspirations, ne sont-ils pas, quelque part et en quelque façon, indissolublement liés, noués à son origine familiale, sociale et géographique ? Son destin n’est-il pas fixé, scellé, dès son plus jeune âge ? En tout cas, c’est ce que l’on est tenté de croire, si l’on se réfère au discours à la fois édifiant et cinglant du citoyen N.F., âgé de 93 ans, né sur le sol de l’ailleurs, qui a mené, sa vie durant, une lutte sans merci contre la misère, les injustices et les blessures de la vie ; jusqu’au point où il en est arrivé à considérer la souffrance et l’isolement social, tels qu’il les ressentait au quotidien, dans ce qu’ils ont de plus extrême et de plus violent, comme étant plus dévastateurs et plus à craindre que la mort elle-même. Il y a sûrement à travers son vécu singulier ainsi que son récit poignant un message éloquent adressé aux gouvernants pour les inciter à mener une politique plus juste visant à réduire les inégalités de destin qui sont, on le sait, les plus difficiles à cerner et à combattre.
 
Introduction
Remonter le temps à plus de quatre-vingts ans en arrière, aussi loin et de façon aussi précise que lui permettait de le faire sa mémoire quelque peu défaillante, prospecter minutieusement son passé, revisiter et reconsidérer son parcours, son histoire personnelle, sous un angle nouveau, c’est-à-dire sans aucune condescendance ni intransigeance à l’égard de lui-même, mais aussi et avant tout avec l’œil d’un homme éprouvé et avisé, franc et lucide ; voilà, en gros, ce que s’appliquait à faire le vieil homme, chaque fois que je lui rendais visite à son domicile. Mais quelquefois, il lui arrivait également, sans doute pour éviter de trop s’apitoyer sur son sort, de s’interroger sur l’évolution et la complexité du monde dans lequel nous vivons. En fustigeant, parce qu’il était particulièrement sensible à cette question, son incapacité ou ses difficultés à porter un regard plus équitable, plus empathique, sur tous ceux et toutes celles qui sont différents, socialement démunis, isolés et affaiblis en raison de leur âge. Étant lui-même, malade, aveugle, et très âgé, il savait parfaitement de quoi il parlait ; et n’avait, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, de leçons à recevoir de personne.
Mes échanges avec N.F. ont débuté au mois de janvier 2010 et se poursuivent jusqu’à ce jour. À 93 ans, il apparaît épuisé, abattu, accablé. À un point tel, qu’il ne se gênait plus pour dire, à qui voulait bien l’entendre, qu’il était dégoûté par une existence qui lui paraissait désormais trop longue, trop pénible à supporter ; et qui a été, jusqu’à maintenant, beaucoup trop injuste à son égard. D’une part, prenait-il le soin de préciser, parce que ses efforts, si intenses furent-ils, ne l’ont jamais permis de sortir de la pauvreté, et de donner à sa vie le sens et encore moins l’essor qu’il espérait ; d’autre part, parce qu’il a été frappé par la cécité à l’âge de 70 ans ; cruellement privé, alors qu’il avait encore le désir et les moyens de progresser, de l’une des facultés essentielles de l’homme qui est celle de voir, d’admirer chaque matin la lumière éblouissante du jour, de cerner son environnement, de se déplacer comme bon lui semble, de discerner les traits du visage des personnes avec lesquelles il entretient des relations familiales, amicales ou autres.
Pendant longtemps, longtemps, il a espéré, tant espéré, qu’un miracle se produise, qu’il soit touché ou béni par la grâce divine, et que ses yeux reprennent vie, s’illuminent à nouveau. Mais ce ne fut là qu’un vain espoir, un rêve chimérique.
 
 
 
 
 
 
Alors se résigner, panser ses blessures, accepter tant bien que mal son malheur qui est le lot commun des êtres mortels que nous sommes, était devenu pour lui la seule alternative existentielle possible. Et bien que ce ne fût pas facile, c’est ce qu’il s’est évertué à faire ; du moins en partie, puisque, de temps à autre, on sentait naître et grandir en lui l’idée si ce n’est la conviction que cela ne valait peut-être pas la peine de lutter comme il l’a fait, et comme il le fait encore, pour continuer à vivre, sur Terre, un enfer quotidien. C’est d’ailleurs ce qui le poussait à dire et à répéter, dès qu’il en avait l’occasion : «  lè où pèdi ziè où la vi où fini  » (1) ; ou encore, «  si où pè pa compté lagen où pa ni ayen pou fè assou la tè  » (2). L’obscurité angoissante, terrifiante, dans laquelle il était continuellement plongé lui faisait, jour après jour, et au fur et à mesure que ses forces physiques diminuaient et que sa santé se détériorait, perdre goût à la vie. Chacune de mes visites était donc pour lui un moment agréable et très attendu où il pouvait discuter à loisir, se détendre, libérer et apaiser son esprit, et surtout combattre en même temps la solitude, l’ennui et le chagrin qui assombrissaient, à un point que l’on ne saurait imaginer, ses longues et interminables journées. Aussi, dès mon arrivée, et une fois que nous nous étions installés dans son salon sommairement aménagé, ou encore dans sa chambre s’il se sentait fatigué, il ne se faisait pas trop prier pour plonger dans ses souvenirs ; tantôt avec joie, assortie d’un sentiment de satisfaction personnelle, lorsqu’il se remémorait les combats qu’il a menés jadis, et dont il est sorti vainqueur ; tantôt avec un brin d’amertume quand il faisait allusion aux événements douloureux qui l’ont profondément marqué, et qu’il abordait, à dessein, de façon rapide et imprécise, pour éviter de se faire inutilement du mal.
Avec un écart d’une trentaine d’années environ, nous avons tous deux évolué dans le même univers ; plus exactement, dans la rudesse, la misère et les traditions singulières de la vie campagnarde. Cela me fut très utile, lors de nos échanges, parce que j’avais déjà en tête une idée relativement claire sur ce qui pouvait l’intéresser ou pas ; de même que je n’ignorais point la façon dont il fallait aborder avec lui tel ou tel sujet plus ou moins délicat qui le touchait de près ; et qui était susceptible de le contrarier, de l’exaspérer, et dans le pire des cas, de le braquer, jusqu’au point de l’enfermer dans une posture silencieuse, contestataire, revancharde. Ce qui n’était guère souhaitable puisque cela me contraignait à trouver, d’une façon ou d’une autre, de nouvelles stratégies pour faire tomber ses barrières défensives ; d’autant plus que j’étais tout à fait conscient de son irrépressible besoin de libérer son esprit des sombres pensées qui s’y accumulaient, et qui finissaient par créer chez lui de grands moments de doute, d’abattement, de désespoir. Allez savoir pourquoi, il y a des jours où toute cette détresse se lisait clairement sur son visage, aussi bien qu’elle se reflétait à travers ses paroles. Un visage ridé, amaigri, ténébreux qui laissait apparaître, bien des fois, les blessures encore vives d’une existence qui ne s’est pas toujours déroulée comme il l’espérait ; et des paroles souvent sèches et amères qui, finalement, ne faisaient que traduire son mal-être profond.
 
 
 
 
 
Parfois, je me fixais comme objectif de le faire rire. J’y voyais là, à tort ou à raison, un moyen de le soulager, ne serait-ce qu’un court instant, de la souffrance physique et psychique qui lui rongeait sans répit le corps et l’esprit. Mais j’ai appris à mes dépens que ce n’était pas là chose facile. En effet, comment amuser et faire rire un vieillard qui, depuis longtemps, trop longtemps, n’en a plus l’occasion, et en a perdu, au fil du temps, le goût et l’habitude ? Comment trouver au moment où il faut, et surtout lorsque la souffrance qui l’étreint et le persécute est à son paroxysme, les mots justes, le timbre de la voix qui lui est agréable, le sujet de conversation opportun ou la plaisanterie adéquate qui retient son attention, détend les muscles de son visage crispé et usé par le chagrin, puis le captive, le distrait, l’enchante, jusqu’à provoquer chez lui un large sourire et, dans le meilleur des cas, un grand éclat de rire ?
En un mot, comment apaiser, adoucir, rendre moins cruel et plus supportable le quotidien d’un vieil homme dont l’univers est désormais réduit à une angoissante obscurité qui lui fait entrevoir la perspective de la mort comme une véritable délivrance, au point où il en est arrivé à envier ceux qui sont morts avant lui ? Est-il possible de relever un aussi grand défi si l’on n’a pas la disponibilité d’esprit et la générosité de cœur qui sont l’une et l’autre tout à fait indispensables pour instaurer avec ce vieil homme une vraie dynamique de dialogue, d’ouverture, de confiance et de respect mutuel, seule à même de le convaincre d’abord, et de l’amener ensuite à combattre, de toutes ses forces, ce sentiment de lassitude et de dégoût ainsi que les noirs desseins que lui inspir

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