Le Grand Malentendu
91 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le Grand Malentendu , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
91 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Daniel Sibony est de passage à Tel-Aviv lorsque les fusées attaquent la ville. Il livre ici ses impressions et ses pensées. Les roquettes lui rappellent, en plus violent, les pierres qu’il recevait enfant, à Marrakech, dans la médina. Il retrouve sa sérénité d’alors, cette force où l’on a en soi, presque en même temps, la détresse et la joie de vivre, et où l’on peut se sentir attaqué sans être détruit. D’ailleurs, non loin de là, une institutrice a innové ; lors des alertes, elle fait entonner aux enfants des chansons nouvelles : « J’ai peur, j’ai peur, mon cœur fait boum-boum, on doit courir aux abris. » Cette chronique écrite au cœur du conflit s’accompagne de réflexions inédites sur le djihad, les rapports entre l’islam et l’Occident, le conflit du Proche-Orient. La solution que Daniel Sibony propose se formule comme un paradoxe : la paix ne viendra que de la paix. Ce qui seul pourra affronter le grand malentendu. Daniel Sibony est psychanalyste et écrivain ; l’arabe est sa langue maternelle et il connaît aussi bien le Coran que la Bible et le Talmud. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont Islam, phobie, culpabilité, De l’identité à l’existence, Don de soi ou Partage de soi, Lectures bibliques. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 février 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738167293
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , FÉVRIER  2015 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6729-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Ces lettres furent écrites pendant la guerre de Gaza durant l’été 2014 : roquettes et fusées d’un côté, ripostes meurtrières de l’autre, dont on a surtout retenu le nombre de victimes. L’analyse s’efforce d’en comprendre le sens, plutôt que d’en rester à l’insensé de la mort. Certains diront pourtant que je ne tiens « pas assez compte des deux mille morts à Gaza » ; reproche inévitable : on suppose toujours que l’autre n’est pas assez humain pour l’être soi-même davantage. En fait, j’y suis sensible comme tout le monde et d’autant plus que ce qui m’intrigue – et que j’analyse –, c’est l’usage que fait de ces morts le pouvoir à Gaza, dont ils sont la seule arme. Et peut-on vaincre quand on n’a pour seule arme que ses morts ? Bien sûr, cela questionne aussi l’usage que font de la mort non seulement les martyrs fanatiques, mais bien d’autres, par exemple ceux qui ont besoin de ces fanatiques, comme gardiens de la loi, pour être eux-mêmes des esprits libres, à l’aise dans la modernité et dégagés des vieilles emprises traditionnelles. C’est peut-être à ce niveau qu’il y a un grand malentendu. On les dénonce, mais n’a-t-on pas besoin d’eux pour écouler des pulsions mortifères encombrantes, et dont on n’est même pas conscient ? Bref, quel usage fait-on des martyrs, et de quoi veut-on qu’ils témoignent ?
Il s’agit d’un enjeu global ; car pour ce qui est du conflit du Proche-Orient, ce livre dévoile en passant une idée surprenante : ceux qui ont pris en charge la Cause palestinienne ne tiennent pas à ce qu’elle aboutisse, parce qu’ils ont d’autres buts ; elle semble même vouée à n’être prise en charge que sur ce mode ; ce qui explique que, malgré un soutien énorme, elle reste encore dans l’impasse.
Si donc elle est prise dans un conflit plus global, y compris celui qui sévit en Europe, il faut élargir l’analyse des blocages pour penser une sortie possible, et mieux comprendre les rapports entre l’Occident et le monde arabo-musulman, tels que l’histoire les force à évoluer 1 .
Ici le lecteur devra passer par une chronique des événements pour en venir à une promesse de solution qui requiert d’abord un silence ; non seulement celui des armes, mais celui qui, au-delà des discours, peut faire entendre (et mieux entendre) ce qui était tu dans la parole.

1 . Ce travail, nous l’avons avancé depuis Les Trois Monothéismes (Seuil, 1992) jusqu’à Islam, phobie, culpabilité (Odile Jacob, 2014), à travers plusieurs ouvrages.
Des pets dans le ciel qui coûtent cher 1

Je suis à Tel-Aviv, car la conférence que je dois faire le 14 juillet à Jérusalem sur mon livre De l’identité à l’existence était prévue depuis longtemps, et les roquettes du Hamas ne m’empêcheront pas de tenir parole. Je suis donc venu, et bien m’en a pris : il fait beau, et chaud (comme j’aime), la mer est bonne, il y a de temps à autre une sirène. Beaucoup, j’imagine, vont dans des abris, mais la plupart restent là où ils sont, c’est mon cas : je lève la tête, j’entends un ou deux boum, boum assourdis, et je vois un petit nuage très haut, une sorte de rond blanchâtre dans le ciel bleu. Ici, comme ailleurs, les Juifs ont l’art de s’adapter, de plier sans se briser, comme s’ils étaient nés pour ça. Un voisin me dit : « Ça les calmerait sûrement s’il y avait beaucoup de morts israéliens, mais voilà, c’est impossible. » Beaucoup d’ennemis « sacrifiés », cela peut-il combler tous ces combattants du sacré ? Leurs tirs ont peut-être un autre sens, puisqu’ils insistent alors qu’ils ne font pas de victimes. J’étais dans un pressing pour faire nettoyer mon chapeau (c’est rare à Paris, mais ici, pour peu qu’un travail soit bien payé, on le fait), l’homme du magasin me dit :
– Il y a une alerte.
Je n’avais pas entendu, trop distrait ou absorbé.
– Et alors ?
– On va à l’abri.
On y va, cela consistait à entrer dans l’immeuble par-derrière, on s’y retrouve à cinq ou six, je dis bonjour en souriant, un ou deux répondent, les autres sont tendus, et au bout d’une minute trente, on revient au magasin, et on reprend comme si de rien n’était. J’imagine que dans les villes plus proches de Gaza, cela doit se produire trente fois par jour, c’est très embêtant, mais ça n’empêche pas de vivre. C’est angoissant pour des personnes fragiles, il y en a comme partout, et elles parlent de trauma ( traouma ), pourquoi pas ? C’est surtout vrai lorsqu’elles ont perdu quelqu’un lors d’attaques antérieures, il y a plus de deux ans, mais aujourd’hui, pour l’instant, il y a dans tout le pays quelques blessés légers et un blessé grave. Je dis pour l’instant : la peur, quand il y en a, porte sur l’avenir, toujours, sur l’inconnu, pas sur le présent.
En revanche, le nombre de morts à Gaza dépasse déjà la centaine, pourtant, on parle ici des nombreuses précautions que prend l’armée pour viser là-bas des cibles. Je n’ai vu personne qui ne soit sensible aux épreuves des populations là-bas. Mais la règle du jeu est claire : le Hamas place ses positions de tir en creusant sous des lieux habités, c’est l’éternelle prise en otages des civils. En fait, ce qu’il impose aux siens, aux habitants de Gaza, est plus lourd que ce qu’il impose à ceux d’Israël – sans commune mesure. En Europe, les gens n’imaginent pas ce que c’est que de vivre sous un régime intégriste qui proclame le djihad. Sans doute parce qu’on a trouvé « la cause » de ce djihad : le désir d’avoir un État. Et si le djihad s’était greffé sur ce désir ? Puisque, après tout, le djihad sévit ailleurs en l’absence d’un tel désir nationaliste. En tout cas, les habitants de Gaza ne peuvent pas dire un mot, ils se feraient tuer comme traîtres. On a donc un million et demi d’habitants soumis à un groupe fanatique, qu’ils ont d’ailleurs eux-mêmes élu, un groupe dirigé par des psychopathes dont on ne voit pas l’objectif, à supposer qu’eux-mêmes le voient. Que veulent-ils avec ces tirs sur des lieux habités ? Terroriser la population ? Ils en sont loin, ils arrivent à la gêner, et cette gêne est contournée, toujours. Ce qui pourrait les réconcilier avec la vie, ce serait qu’il y ait beaucoup de morts israéliens, mais cela semble en effet impossible. Il faudrait désactiver les fameuses « coupoles d’acier » qu’Israël a mises en place, qui n’ont rien d’une coupole : c’est une fusée qui part dès que l’alerte est donnée et qui tire sur tous les projectiles qu’elle « voit ». Elle en rate quelques-uns, mais ça protège. Des chercheurs tenaces, des mathématiciens subtils ont travaillé pour produire cet objet intelligent qui affronte des objets aveugles, lancés vers des lieux habités et qui ratent presque toujours leur objectif. En revanche, les attaques sur Gaza n’atteignent pas souvent leur cible sans victimes collatérales, nulle technique ne peut vaincre la logique de prise d’otages. Elle ne peut que « faire avec », exposant ceux qui ripostent au risque d’être dénoncés comme inhumains. Apparemment, c’est le prix à payer pour que l’arme de la prise d’otages ne soit pas l’arme absolue. Pourtant, l’armée prévient, paraît-il, des immeubles ou des quartiers par SMS, mais cela ne suffit pas. Toujours est-il que ces victimes, personne ici ne s’en réjouit, beaucoup les déplorent avec force.
Ce conflit semble opposer deux logiques : les uns jouissent de vivre, de s’abriter, d’échapper aux projectiles, les autres jouissent d’exposer les leurs, de les voir victimes et de les montrer : c’est leur seul drapeau valable. Quand on a pour seul faire-valoir le nombre de morts chez les siens (et secondairement chez les autres), on est une entité morbide. Bien sûr, c’est une grande victoire d’atteindre Tel-Aviv, une victoire pour les engins, mais atteindre cette ville sans la toucher doit être encore plus frustrant. Depuis, l’aspect morbide du djihad apparaît sur les écrans européens avec des égorgements, des sacrifices humains à l’ancienne. S’ils avaient eu lieu à Gaza, on aurait dit : « Ils sont tellement désespérés qu’ils passent à l’acte sauvagement. » Mais comme cela se passe en Syrie et en Irak, on ne questionne plus ce « désespoir », on ne sait pas à qui l’imputer, et la recherche de ses racines mènerait trop loin.
Parfois, je demande autour de moi : « Pourquoi ces tirs du Hamas ? Qu’est-ce qu’ils veulent, d’après vous ? – Ils veulent montrer qu’ils sont forts. – Admettons qu’ils le soient, et après ? – Ils veulent montrer qu’ils sont très forts. – Admettons-le. – Eh bien, ça leur permet de tyranniser leur peuple. – C’est donc contre leur peuple qu’ils agissent ? – Il faut croire… » Mais leur peuple n’est pas près de les affronter, ou de les remettre en question. Sans doute parce que lui-même est partagé entre une vindicte radicale qu’il apprend à l’école, dans les livres, et un désir de se libérer et de vivre en paix. Du coup, il accepte d’être humilié par ces chefs, mais qui lui donnent des signes extérieurs de force, fût-elle vaine. Il les reconnaît sans doute comme champions de sa Cause, mais quelle est-elle, quel est le but ? Est-ce de supprimer l’État juif ? (Cause du djihad) ou de vivre avec et de le reconnaître (Cause nationale) ?
Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne a demandé un cessez-le-feu sans condition de part et d’autre. Alors le Ham

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents