246
pages
Français
Ebooks
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
246
pages
Français
Ebook
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Pierre Bouchardon (1870-1950)
"Dans la rue du quai de la Mayenne, à Laval, au numéro 5, vivait, en 1893, une marchande de fleurs, Marie Fromentin, veuve Bourdais.
Son magasin s’ouvrait sur le quai par une porte munie d’un timbre et d’une sonnette électrique communiquant avec une cuisine en sous-sol.
Après avoir traversé la boutique, on rencontrait une première chambre, où couchait la bouquetière et dont la fenêtre prenait jour sur la cage d’un escalier. On suivait ensuite un corridor qui conduisait à une seconde chambre meublée d’un lit et donnant accès à une cour commune à tous les habitants de la maison. De cette cour, on pouvait gagner la rue du Val-de-Mayenne par une longue allée que fermait une porte.
Les époux Gustave Travers, auxquels appartenait l’immeuble, en occupaient une partie et ils louaient le reste, tant à la veuve Bourdais qu’au chapelier Pierre-Joseph Dehareng et au coiffeur Germain.
Née le 9 septembre 1823, la veuve Bourdais – « la mère Bourdais », comme on disait à Laval – approchait alors de soixante-dix ans. Elle portait lorgnon et perruque. Dévote au point d’assister tous les matins à la messe de cinq heures à l’Immaculée-Conception, elle était peu bienveillante de nature et tenait sur autrui des propos acerbes. De réputation équivoque, elle passait pour posséder quelque argent et ne s’en défendait pas. C’était, de sa part, grave imprudence que de laisser courir ce bruit, car ni son âge ni sa solitude ne lui permettaient de se défendre contre des malfaiteurs."
Affaire criminelle.
En 1893, l'abbé Bruneau est accusé d'avoir assassiné son supérieur, l'abbé Fricot, pour le voler. Mais est-ce son seul forfait ? Coupable ou innocent ?
Le puits du presbytère d’Entrammes
(Affaire de l’abbé Bruneau)
Pierre Bouchardon
Octobre 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-984-0
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 982
À MON VIEIL AMI LE DOCTEUR L UBET -B ARBON
I
La bouquetière de Laval
Dans la rue du quai de la Mayenne, à Laval, au numéro 5, vivait, en 1893, une marchande de fleurs, Marie Fromentin, veuve Bourdais.
Son magasin s’ouvrait sur le quai par une porte munie d’un timbre et d’une sonnette électrique communiquant avec une cuisine en sous-sol.
Après avoir traversé la boutique, on rencontrait une première chambre, où couchait la bouquetière et dont la fenêtre prenait jour sur la cage d’un escalier. On suivait ensuite un corridor qui conduisait à une seconde chambre meublée d’un lit et donnant accès à une cour commune à tous les habitants de la maison. De cette cour, on pouvait gagner la rue du Val-de-Mayenne par une longue allée que fermait une porte.
Les époux Gustave Travers, auxquels appartenait l’immeuble, en occupaient une partie et ils louaient le reste, tant à la veuve Bourdais qu’au chapelier Pierre-Joseph Dehareng et au coiffeur Germain.
Née le 9 septembre 1823, la veuve Bourdais – « la mère Bourdais », comme on disait à Laval – approchait alors de soixante-dix ans. Elle portait lorgnon et perruque. Dévote au point d’assister tous les matins à la messe de cinq heures à l’Immaculée-Conception, elle était peu bienveillante de nature et tenait sur autrui des propos acerbes. De réputation équivoque, elle passait pour posséder quelque argent et ne s’en défendait pas. C’était, de sa part, grave imprudence que de laisser courir ce bruit, car ni son âge ni sa solitude ne lui permettaient de se défendre contre des malfaiteurs.
Plusieurs fois déjà, elle s’était plainte d’avoir été victime de vols. À Alphonsine Beauciel, veuve Desnos, sa familière, qui l’aidait, les samedis et veilles de fêtes, à vendre ses fleurs sur la place de l’Hôtel-de-Ville, elle confiait :
– C’est drôle. On m’achète, et ma bourse ne monte pas. Si je n’emportais pas, quand je m’absente, ma clef dans ma poche, je dirais que quelqu’un vient chez moi et me prend mon argent.
Le dimanche gras, 12 février 1893, elle se leva de trop grand matin et s’aperçut, au moment d’entrer à l’église, qu’elle était en avance de plus d’une demi-heure. Elle revint alors à sa boutique et fut toute surprise d’en trouver la porte ouverte. Elle n’était pas au bout de ses étonnements. Sur le lit de la seconde chambre, une clef brillait, qui n’était pas la sienne, mais qui se trouvait ouvrir la porte d’entrée. Quelqu’un – un malfaiteur – venait de s’introduire. Il avait découvert, dans le comptoir où elle les enfermait, les clefs des meubles de la maison et avait tout fouillé, sauf un petit meuble. Mais, soit que le temps lui eût manqué, soit que la somme lui eût suffi, il s’était contenté d’emporter soixante francs, bien qu’il eût pu dérober davantage.
De ce vol, elle avait soupçonné très fort le fils aîné du chapelier Dehareng, et elle s’en était ouverte à la veuve Desnos :
– Je tiens de sa sœur, lui avait-elle dit, que ses parents lui donnent, tous les dimanches, vingt sous le matin et vingt sous le soir. Sans cette précaution, il n’aurait plus rien à midi. « Mais, ai-je objecté, où prend-il donc de l’argent pour boire en semaine ? » Et elle m’a répondu : « Il force la serrure de la cuisine... »
De fait, à tort ou à raison, ce jeune homme prénommé Louis-Joseph, passait pour peu sérieux et peu tempérant. En sa qualité de proche voisin, il pouvait être exactement renseigné sur les habitudes de la vieille femme. Certains couloirs, d’ailleurs, certaines issues de la maison, servaient à tous les locataires. Et il existait une porte de communication entre le logement du chapelier et celui de la veuve Bourdais. Mais celle-ci l’avait condamnée déjà, en l’attachant avec des ficelles, et, quand ses inquiétudes se précisèrent, elle prit soin de la barricader la nuit, avec les planches et tréteaux qui servaient à son étalage, place de l’Hôtel-de-Ville. Enfin, ses relations avec la famille Dehareng devinrent plus que froides.
Un second incident lui avait inspiré, d’autre part, d’étranges inquiétudes. Cette fois, c’était à sa vie et non à sa bourse que le malfaiteur avait voulu attenter. Un certain soir du début de juin, on avait sonné à sa porte, vers neuf heures. Une voiture était là et le cocher avait crié :
– Madame, on demande tout de suite un pot de fleurs chez le père Messmer, promenade de Changé.
– Quel prix veut-on y mettre ?
– On n’a pas parlé de prix.
– Alors, voici deux plantes, de sept francs chacune. On choisira.
Quelques jours plus tard, exactement le 9 juin, elle alla reprendre le pot qui n’avait pas convenu. On le lui rendit et on la paya sans marchander. Mais, en revenant chez elle, comme elle se sentait, un peu lasse, elle se fit chauffer du café. Le récipient, où elle le tenait en réserve, lui parut plus rempli qu’elle ne croyait. Sans défiance cependant, elle s’en versa une tasse, la sucra, mais, dès la première gorgée, éprouva comme une sensation de brûlure intense.
– Je me trompe peut-être, dit-elle à Mme Travers qui se trouvait présente. Aussi, si ce n’était trop vous demander, je voudrais bien que vous y goûtiez vous-même.
Et elle s’en fut remplir une seconde tasse. Le breuvage était épais et répandait une mauvaise odeur. À peine la propriétaire de la maison y eut-elle porté les lèvres, qu’elle poussa un cri :
– Mais, ma chère dame, c’est du vitriol ! On a voulu vous empoisonner.
Et elle appela son fils Gustave, qui tenta l’expérience à son tour. Toutefois, ce jeune homme ne fit que tremper le bout de son doigt dans la tasse et en effleurer sa langue. Il fut aussi net que sa mère :
– Je parierais qu’on a mis là-dedans de l’acide sulfurique. Mais laissez-moi faire.
Il se fit alors confier une bouteille propre, y versa une partie du café, la boucha et la cacheta avec le plus grand soin. Puis, afin d’éviter les indiscrétions qui auraient pu se produire à Laval, il l’apporta, le jour même, à un pharmacien d’Andouillé, du nom de Paul Duplan. Il avait recommandé à la fleuriste de ne pas jeter le reste du breuvage. L’apothicaire demanda un délai de huit jours pour procéder à l’analyse. Mais le fils Travers étant tombé malade ne put retourner à Andouillé, et ce fut la justice qui, un peu plus tard, vint chercher la réponse.
En tout cas, à la suite de cet événement, la veuve Bourdais fut atteinte de la maladie de la peur. Elle s’éveillait en sursaut au moindre craquement. Et, sans confiance en ses serrures ou en ses barricades de fortune, elle s’attendait à l’assassinat.
Au début du mois de juillet, elle fit, un matin, à Mme Travers, cette confidence :
– Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, car il m’a bien semblé entendre marcher dans mon logement. Alors, craignant de ne pas être en état de grâce pour comparaître devant Dieu, j’ai fait un acte de contrition.
Quelques jours plus tôt, à un employé de banque, venu toucher chez elle une traite de sept cents francs, elle avait tenu ce langage :
– Enfin, c’est vous ! L’argent est tout prêt, mais j’avais grand’peur qu’il ne fût plus là.
– Que voulez-vous dire, madame ?
– Je tremblais qu’un voleur ou même un assassin ne passât avant vous.
La vieille bouquetière avait, hélas ! toute raison de trembler.
Le 15 juillet, comme tous les autres samedis, elle exposa ses fleurs sur la place de l’Hôtel-de-Ville et les vendit avec l’assistance de la veuve Desnos. Quand le soir fut venu, les deux femmes rapportèrent les étalages au magasin et y mangèrent une soupe qui, pour avoir trop attendu, était presque froide. Il était alors un peu plus de huit heures.
À ce moment, le fils Desnos vint retrouver sa mère et rendit à la veuve Bourdais le service de porter trois plantes chez un acheteur, du nom de Colson. Quand il reparut avec le panier vide, la veuve Desnos alla elle-même livrer, rue de Solférino, un bouquet, dont quelqu’un venait de faire emplette.
Dans l’intervalle, deux femmes avaient poussé la porte de la