Le sel de la terre
160 pages
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Le sel de la terre , livre ebook

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Description

L'immigration et l'intégration sont des sujets de société récurrents et encore au goût du jour. C'est le témoignage d'un émigré de longue date que l'auteur a voulu consigner à ses congénères et surtout aux plus jeunes d'entre eux. Au travers de la mémoire résiduelle, sage fossile enfermé dans l'ambre du souvenir, il a relaté une histoire vivante commençant avec la seconde moitié du siècle passé. Ceux qui sont devenus français peuvent s'y référer. Ses racines refont surface, rendant au vieil émigré l'accent sicilien, pourtant il n'est ni français ni italien, préférant se définir comme un voyageur anonyme à bord du vaisseau Terre:
« Je marche dans la nuit sans lune,
Seules les étoiles dessinent le chemin,
Ruban d'asphalte offrant l'infini. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 janvier 2014
Nombre de lectures 1
EAN13 9782332681751
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-68173-7

© Edilivre, 2017
Dédicace

Cet ouvrage est dédié à : Benjamin, Camille, Melissa, Inoussia.
Chapitre premier La pluie et le limon
Chaque année, l’arrivée de l’été, pour l’enfant que je fus, amenait son lot d’espoirs et de désillusions.
Taillé dans la roche, comme une large balafre dans le paysage, mon village s’étend du levant au couchant. Du haut de Santa Cruce, l’histoire du pays s’inscrit dans le lointain souvenir de ceux qui ont appris à lire dans le sillage creusé par les cicatrices de l’existence. En plongeant le regard dans n’importe quel sens, en dénivelé ou à perte de vue jusqu’à l’horizon incertain où moutonnait une mer de foin doré, on pouvait contempler l’empreinte des géants siégeant au cœur de la Méditerranée. Par temps clair, à l’extrémité ouest, comme une menace, on devinait les lointains contours du mont Etna. A ses pieds sans l’apercevoir, les anciens nous disaient qu’il y avait la mer invitant ses enfants à des promesses d’avenir et de monde meilleur. Ceux qui, contraints, se risquaient à la traversée étaient nos pères. Cela se passait dans les années cinquante. Mon père en faisait partie : pater familias omnipotent et déjà ominiabsent.
Il ne revenait pas forcément tous les étés, mais quand il revenait, j’avais l’impression que plus rien ne pouvait m’arriver. Je ne me souviens d’aucun débordement affectif hormis les pleurs de ma mère. Simplement je savais qu’il était là et c’est à peine si j’osais le regarder dans les yeux.
Sur la piazza Santa Margherita se trouvait le principal bar de la commune qui fabriquait quotidiennement des glaces et notamment la granita pour laquelle je me serais volontiers damné. J’étais toujours émerveillé en fixant les axes métalliques qui en tournant dans les cuves profondes faisaient apparaitre les couleurs et les senteurs de la zuppa inglese et la neige immaculée de la granita au parfum prononcé de citron. La tête surplombant à peine le comptoir, j’attendais que le serveur en remette une dernière couche au sommet du cornet, avant de lui tendre une pièce de cinq lires. C’était comme l’hostie du curé ; pour la mériter il fallait d’abord passer par le confessionnal…Il n’était pas toujours facile de trouver cinq lires, toutefois sous leur aspect bourru, les Siciliens se laissaient souvent attendrir par l’enfant qui manquait de tout mais n’aspirait qu’à une chose : un gelato . Lorsque le père était là, je prenais mon courage à deux mains et bravant mon orgueil je m’adressais à lui :
–  Pà  ! Tu me donnes cinq lires pour acheter une glace ?
C’était pire que d’aller à confesse même si je repartais avec une pièce suffisante pour en manger quatre. Avec le temps, les présences trop espacées de mon père ont fini par donner de l’amertume à ce plaisir enfantin :
« un gelato al limon… » chante Paolo Conte.
* *       *
Le vieux village que nous appelions en réalité «  u païse » était devenu une petite cité. Elle s’étalait en une grande tache de tuiles blanchies par le soleil. Vue de loin, elle se mêlait à l’or des blés coupés laissant juste aux clochers le soin de dominer la vue en émergeant comme des conifères proprement taillés. Vingt cinq églises du XVIII siècle se partageaient le clergé en quartiers équivalents. Aujourd’hui encore, personne ne peut se soustraire au rythme du temps orchestré par chaque clocher et, si les ouailles vont moins souvent à confesse, nul ne peut contester ce privilège ecclésiastique à l’histoire. Santa Cruce est l’église située au plus haut tel un diadème coiffant la colline. Avec le temps, elle est devenue la plus désaffectée. Fini le temps où la ferveur menait les pèlerins jusqu’à elle en faisant au besoin le chemin à genoux. Elle surplombe Santa Maria, la chiesa madre qu’on appelle aussi la matrice . Ainsi à mi chemin entre la mère et le fils , entre ces deux territoires, au milieu d’un chemin de croix, où en leur temps les bœufs, les ânes et les brebis pouvaient accéder, sous une maisonnette à deux étages, une porte capitonnée de fer rouge-marron de rouille donnait accès à ce qui fut une étable : c’était notre maison. Je revois encore la mangeoire en pierre taillée à même le mur au fond de la pièce. Sur le tard, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Jésus de Nazareth, mais pour mon frère, ma sœur et moi aucun pèlerin n’avait apporté d’offrande. Pourtant toute notre enfance était imprégnée de l’image de Dieu et la question de son existence ne se posait jamais… La séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Les communistes eux-mêmes ne se la posaient pas. Combien d’enfants de communistes ont étés oints de l’eau salée des bénitiers ? La plupart probablement. Les mères y emmenaient les enfants à l’insu du père qui faisait semblant de ne rien voir.
Le siège du parti communiste, comme tous les autres partis, se trouvait sur la grand-rue, u corso 1 ou a strata 2 , artère principale où tout se passe quels que soient les saisons, le climat, l’influence politique du moment. Elle coulait un cortège intergénérationnel de passants et repassants où tout le monde connaissait tout le monde. Les vieux étaient assis sur les chaises en bois paillées de trames ajourées. Ils fumaient et chiquaient à qui mieux-mieux animés par la même furia d’opinions politiques de tous bords. Lorsque nous y croisions l’un de nos grands-pères ou grands-oncles, nous ne pouvions échapper à l’embrassade qui irritait nos visages juvéniles de leurs barbes de trois jours dressées comme des épines.
Durant la semaine nous n’allions à l’école qu’une demi-journée, le reste du temps, pour beaucoup d’entre nous, nous l’occupions à l’apprentissage d’un métier chez un artisan ou un commerçant du pays. Pour ma part j’allais chez un tailleur, ex camarade de guerre de mon père. En parlant de lui, les gens ne disaient pas le tailleur, ils le nommaient da Rubino comme on dirait chez Lapidus . Il avait précisément pignon sur la piazza Margherita qui fut un haut lieu de démonstrations politiques. Les sièges respectifs du M.S.I. 3 , nostalgique du fascisme mussolinien, et le parti démocrate-chrétien se partageaient la place en deux hémisphères. Aujourd’hui ils ont fusionnés avec Berlusconi. Les vieux se tenaient souvent assis en rang d’oignons, ne se distinguant les uns des autres que par une démarcation géographique, admise tacitement par tous. Les gamins s’en fichaient comme de leur premier pantalon court. Ce qui les amusait, c’était de leur jouer des tours pendables mis à disposition de leur imaginaire. C’était parfois très créatif. Pour ma part j’étais passé maître dans l’art de leur piquer le derrière. Etant chez Rubino, j’avais pour habitude, comme les autres apprentis, d’avoir une aiguille montée de fil blanc piquée sur le revers de la poche avant de mon pantalon. Le jeu consistait à attendre que deux chaises juxtaposées se vident avant de passer à l’action. Je prenais aussitôt place sur l’une d’elles et entreprenais, le plus furtivement possible, un montage savant dans le mitan du siège en laissant la pointe à peine sortie vers le haut et le fil tenu par un doigt expert sur la chaise voisine. Lorsqu’un vieux s’asseyait, il suffisait de tirer sèchement pour que l’aiguille lui rentre dans la fesse. Si je ne partais pas assez vite, je me mangeais une baffe cuisante qui chaufferait ma joue aussi longtemps qu’elle nourrirait ma rancœur. Malgré cela, je devais du respect aux anciens et l’avais donc bien mérité ; qui plus est cela ne manquait pas d’accélérer ma digestion. C’est ainsi que, joignant l’idée à la parole, j’allais aussitôt, accompagné d’une petite bande, accomplir mon cérémonial :
– Andiamo a fare una cacata 4  ? proposais-je avec un grand naturel.
Avec le recul, je me demande comment nous pouvions dépasser la pudibonderie dans laquelle nous maintenait la religion. Il est probable que le manque de commodités dans les habitations nous faisait transgresser ce puritanisme ambiant sans même que nous nous posions la question. Il n’était donc pas rare que nous nous retirions dans un terrain vague, à la sortie de la ville, dans une maison en construction ou n’importe quel lieu de circonstances lié à l’instant pour officier ensemble et de concert. Nous nous positionnions en cercle et déposions chacun une offrande qui libérait la conversation sur le contenu du dernier repas.
Dans ces années-là, peu de gens avaient l’eau courante, les mules et les ânes allaient souvent à l’abreuvoir, situé à l’entrée du village, pour les grands besoins en eau. Dans notre étable, nous n’avions pas plus d’eau que la plupart des résidents de la vieille ville, un simple trou en terre cuite nous permettait d’évacuer nos défécations. Un morceau de tissu nous isolait de la vue. Pour les besoins immédiats, nous allions chercher l’eau à la fontaine située en haut du chemin. Deux grandes amphores servaient à garder l’eau potable au frais y compris à la saison la plus chaude. La corvée consistait à aller la chercher et les enfants aussi y étaient conviées dès qu’ils en avaient la force :
–  Mà  ! Laisse-moi y aller.
– Fais attention mon fils.
A peine plus grand que le vase, j’étais fier de pouvoir aider ma mère. Curieusement, l’un de ses frères était plombier, c’était le plombier, littéralement le monsieur de l’eau, le bienfaiteur universel qui amenait l’eau à domicile. Il arpentait les rues, été comme hiver, et ne rechignait jamais à la tâche. L’été, à l’heure de la sieste, à l’heure où seuls les chiens troublent la quiétude du pays par quelques aboiements, il zio 5 Nino s’extirpait du sommeil, s’armait de courage et d’une clef à molette et commençait son périple tel le Christ sur son chemin de croix. Les gens commençaient à sortir les

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