Les mots qui hantent
158 pages
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Description

D'origine roumaine, Daniela Vinciguerra Radut est l'auteur de ce récit vécu de l'intérieur, basé sur son expérience du régime communiste en Roumanie durant près d'une trentaine d'années. Pour raconter ses souvenirs épars du règne de Ceausescu jusqu'à la dissolution de l'Union soviétique en 1989, elle opte pour la forme de l'énumération non chronologique. Dans de courts chapitres suivant l'ordre alphabétique, des mots-clés tels que « avortement », « lecture » ou encore « zèle » ravivent sa mémoire. Déjouant les clichés, elle dresse un aperçu nuancé de la dureté de son quotidien passé. Si la politique menée alors condamne la notion de propriété, facilitant l'entraide et la solidarité, ces mesures se révèlent surtout liberticides et répressives. Les pouvoirs corrompus œuvrent à contre-courant de l'avancée des progrès techniques. Au sein de cet univers archaïque prônant un mode de vie coupé du monde occidental, la population a l'impression de manquer de tout. Afin de mieux manipuler les mentalités, le régime s'immisce jusque dans la langue, ce qui a un impact sur la liberté d'expression. L'auteur rend hommage au courage des victimes de l'oppression qui participèrent aux mouvements de résistance. S'il lui importe de souligner la force de caractère du peuple roumain capable de faire preuve d'humour dans les pires moments, elle ne cache pas son amertume devant les espoirs déçus de l'ère post-communiste. Son précieux témoignage contribue à la meilleure compréhension d'une période majeure de l'histoire européenne.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 septembre 2017
Nombre de lectures 1
EAN13 9782342155921
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les mots qui hantent
Daniela Vinciguerra Radut
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Les mots qui hantent

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet :
http://daniela-vinciguerra-radut.societedesecrivains.com
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Soyez les bienvenus en Roumanie ! Pour mettre vos montres à l’heure reculez-les de cinquante ans !
Si ! Les Roumains savaient rire bien avant le communisme
Prologue
Cet après-midi, mon livre, commandé il y a moins d’une semaine, est arrivé. C’est une création de Lola Lafon , intitulée La petite communiste qui ne souriait jamais . Lorsque j’ai lu sur le journal qu’on avait attribué à ce livre le prix Goncourt du roman version Fémina 2014, le titre et le fait que l’héroïne du livre est Nadia Comaneci, la plus grande gymnaste roumaine de classe mondiale, toujours inégalée, j’ai été intriguée. Je me suis demandé tout de suite si l’auteur était une Roumaine. Lola Lafon … Cela ne me dit rien, en tout cas, ce n’est pas un nom à consonance roumaine. Mais… alors… quelle perception peut avoir une étrangère sur mon pays, la Roumanie et sur Nadia Comaneci ?
Plus intriguée que jamais, j’ouvre le livre et je commence à lire. Non, l’auteur n’est pas une Roumaine, mais elle a vécu et a étudié en Roumanie quelques années, pendant son enfance et adolescence. J’ai donc hâte de découvrir sa perception, sa vision des choses sur l’époque en or , comme le dément Ceausescu a ainsi nommé les années de communisme en Roumanie. Je prévois une très intéressante lecture…
J’ai fini de lire La petite communiste qui ne souriait jamais . J’éprouve un mélange de sentiments. Et je suis bien déçue… L’auteur est bien loin de la vérité ! Communistes ou pas communistes, les Roumains en tant que nation sont dotés d’un haut sens de l’humour, ils rient très souvent et cela, depuis plus de deux millénaires, lorsque leurs ancêtres, les Daces, riaient et se moquaient de la mort même… Et ce fort sens de l’humour a été transféré inchangé de génération en génération, pendant des millénaires. Sans doute, nous le trouvons profondément enraciné dans les gènes des Roumains d’aujourd’hui et, de nos jours même, les Roumains peuvent se targuer d’avoir un cimetière unique au monde : le cimetière joyeux de Sapântsa, situé dans le village de même nom du comté Maramures, au nord du pays. Eh oui, on a toujours la force de se moquer de la mort et on rigole toujours avec les proches qui nous ont quittés pour l’au-delà. Ainsi, sur la croix d’une belle-mère décédée, on trouve cette inscription :
 
« Sous cette lourde croix
Ma pauvre belle-mère reposait.
Deux mois de plus si elle vivait
Je reposais et elle lisait. »
 
Et voici une autre « dédicace » sur la croix d’une belle-mère décédée :
 
« Sous cette lourde croix,
Ma pauvre belle-mère dormait.
Passant par ici, à se méfier :
Assurez-vous de ne pas la réveiller ! »
 
Et pourtant, ce n’est pas tout… Voici mon témoignage à moi, sur ce que j’ai vécu, ce que j’ai senti sur ma propre peau, pendant presque trois décennies de vie.
A « d’avoir   »
La solitude risque de me tuer prématurément. Heureusement le téléphone sonne. C’est une vieille amie. Le sujet : les enfants et leur ingratitude.
— Comment ça ? Tu as déjà tout donné à tes enfants et tu n’as pas peur ? Tu n’as rien gardé pour toi, aucun des trois appartements ? Une voiture ? Rien du tout ? demande-t-elle étonnée.
— De quoi devrais-je avoir peur ?
Décidément, je ne comprends pas ce qu’elle veut dire.
— Mais… tu n’as plus rien à toi… Tu n’as pas peur qu’un jour tes enfants te mettent à la porte ?
— Pas du tout, ce ne sont que des choses. Peu importe si j’ai ou si je n’ai pas quelque chose.
Peut-être que tous les maux du monde viennent du désir d’avoir. Avoir de l’argent, avoir du pouvoir, avoir du plaisir, avoir de la richesse, tout avoir. Enfin, heureusement qu’on ne peut pas avoir LE TOUT. Où le déposer pour le conserver ?
Sans « avoir », peut-être le monde serait-il différent. En tout cas, le monde serait bien meilleur si « avoir » était situé sur l’échelle universelle des valeurs humaines loin derrière « la vie » ou « l’amour », ou « le respect ».
J’ai vécu dans un monde où « avoir » était un verbe mutilé. Ce monde est appelé communisme . Cet enfant-monstre de l’histoire du monde est né en Roumanie en décembre 1947 et a été assassiné en décembre 1989. À cette époque, le verbe « avoir » dans la grammaire roumaine communiste a été amputé d’environ soixante-quinze pour cent de ses composants. Donc, ont disparu de la conjugaison naturelle du verbe « avoir » : j’ai, tu as, il/elle a, et aussi au pluriel, vous avez, ils/elles ont. Tout ce qui est resté du verbe « avoir » était nous avons .
Inutile d’ajouter que les pronoms personnels et leurs correspondants : la mienne/le mien, la tienne/le tien, à elle, à lui, la/le vôtre, etc., ont disparu. Les seules formes qui ont été maintenues en vie et qui ont survécu afin de soutenir l’idéologie communiste, et surtout sa mise en œuvre, sont les suivantes : nous avons et la nôtre . Il me semble entendre même maintenant la voix venant de la radio de mes vieux grands-parents, accrochée sur l’un des murs de la cuisine : « Notre propriété, du peuple tout entier » ou « la propriété de la classe ouvrière… »
Dans le communisme tout était « le nôtre » et rien ne fut ni à moi, ni à toi, ni à elle, ni à lui. C’était ainsi que j’étais éduquée, dans les années 1967-1983, dans l’école communiste. Cela a été le communisme en son essence : la promotion d’un système social dans lequel tous sont égaux, une société égalitaire. Par conséquent, la propriété privée n’existait pas en tant que telle, également, il n’existait pas de classes économiques différenciées, du point de vue de la propriété.
Car le verbe « avoir » est intimement lié à la notion de propriété. L’idéologie communiste qui glorifiait la propriété de l’État, la propriété commune coopératiste et communiste, avait besoin que le sens même de la propriété privée, la propriété individuelle, nous soit retiré du cerveau, comme une tumeur cancéreuse donneuse de mauvaises idées. Donc l’action d’ extirpation a commencé par la destruction des instruments d’expression : les mots. Et certainement, cette action a enregistré un indéniable succès, au moins en ce qui me concerne.
Tellement la doctrine communiste de la propriété de l’État avait pris racine dans mon cerveau, tellement était fertile le terrain à manipuler dans mon cas, que, même après la chute du communisme, il m’a été impossible d’apprendre, d’accepter, d’aimer, de vouloir, de désirer avoir affaire avec la propriété individuelle.
Cela explique pourquoi je n’ai jamais acheté d’objets ou de biens de valeur en mon nom. Tout ce que je gagnais était au nom de mes enfants et pour eux. Pour moi, « ma maison » ou « ma voiture » ne signifie rien. Rien d’autre que des choses. Celles-ci ne me font vibrer en aucune façon, ne me rendent pas heureuse, ou plus heureuse, ou plus épanouie.
Quant à l’argent, je m’amuse toujours me remémorant une pensée plus ou moins philosophique : L’argent n’apporte pas le bonheur, mais l’achète fait tout prêt !
Et puis, je préfère donner à mes enfants quand ils en ont besoin, plutôt que de les pousser à supplier le ciel que je meure plus tôt pour hériter.
Enfin, parce que le fait d’avoir est intimement lié à la cupidité et à l’avarice, voici un très court banc 1 sur ce sujet :
Un gourmand demande à son médecin :
— Docteur, donnez-moi s’il vous plaît une pilule contre la cupidité, mais j’en voudrais une plus grande. La plus grande, si possible !
A « d’avortement »
L’ Odieux et la Sinistre , ainsi que les Roumains ont surnommé le couple Ceausescu pendant cette inoubliable fin de décembre 1989, ont mis en discussion le problème d’interdiction de l’avortement à peine une année après être arrivés à la tête du Parti communiste.
Ainsi, le 1 er  octobre 1966, entrait en vigueur en Roumanie l’abominable décret numéro 770, qui interdisait l’avortement sur demande. Plus tard, en 1985, il a été interdit aussi, par la loi, la vente de contraceptifs dans les pharmacies.
Certains historiens pourraient penser que Ceausescu avait, comme Hitler, un rêve fou de créer une génération pure. Mais l’homme rêvé par Ceausescu n’avait rien à voir avec la race aryenne pure. Ce que Ceausescu rêvait dans son immense folie était le soi-disant « homme nouveau ». C’est-à-dire « l’homme de l’âge en or », la génération communiste pure, née à la commande, idéal à manipuler. Tous ces enfants non désirés, nés à la commande, ont été surnommés par le peuple roumain, en se moquant, les decretseii , ce qui signifie « les petits fruits du décret », en étroite et directe référence au décret 770/1966.
Mais au-delà des rires, des moqueries, ces véritables armes qui ont aidé le peuple roumain à résister tout au long des quarante-neuf ans de communisme, des milliers de femmes ont été mutilées à vie, ou même tuées, suite aux avortements faits de manière empirique, hors-la-loi. Ainsi, sont venus au monde des « enfants défectueux », nés avec des malformations suite aux quelques tentatives infructueuses d’avortement répétées. Et ces « enfants défectueux » ont été rejetés par le système et également exterminés comme des détritus, ou des poulets de qualité inférieure, dans des incubateurs.

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