Les Vertus de mes amis
134 pages
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Les Vertus de mes amis , livre ebook

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Description

Ce livre raconte l’histoire de huit personnages que l’auteur a connus au cours de sa vie comme professeur d’université en Amérique latine, en France, en Belgique et aux États-Unis. L’histoire de chaque personnage sert de base à l’évocation d’une vertu. Ce sont huit histoires de vie et huit vertus : la persévérance, l’éloquence, la modestie, la sagesse, l’enthousiasme, l’autonomie, l’équité et la bienveillance.



Dans un style à la fois élégant, simple et évocateur, ce grand essayiste colombien brosse le portrait de quelques-uns des personnages qu’il connaît le mieux et nous invite à réfléchir à leurs vertus, ainsi peut-être qu’à les imiter. Après avoir lu ces récits, le lecteur sent que le rêve de devenir meilleur et heureux n’est pas hors de portée, et qu’il est possible de le caresser, avec un effort de volonté.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 juin 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414465453
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cet ouvrage a été composér Edilivre
194 avenue du président Wilson – 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com
 
Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
 
ISBN numérique : 978-2-414-41211-2
 
© Edilivre, 2020
Exergue
 
Généralement les hommes bons n’invoquent pas des vertus : ils se contentent d’en avoir.
Antonio Machado, Juan de Mairena
Préface
Parler beaucoup des vices ne résout rien ; cela ne fait, peut-être, qu’empirer les choses. Trouver une solution dans l’ordre des mots c’est, parfois, aider à tout maintenir dans l’ordre des choses. Les solutions en paroles sont comme un réconfort lénifiant qui repousse, de fait, les solutions.
Une façon plus efficace d’attaquer les vices est de parler des vertus. L’éloge du bien est plus utile que la stigmatisation du mal. Mais parler des vertus dans l’abstrait, comme un catalogue de consignes à apprendre, n’est pas non plus très utile. Le terrain vertueux est celui des sentiments, pas des proclamations. La morale ne s’apprend pas comme on apprend la table de multiplication, en récitant par cœur le résultat. Les vertus s’adoptent par imitation, en suivant l’exemple de ceux que nous aimons, admirons ou respectons, ou simplement de la plupart des gens qui se comportent bien.
En suivant l’idée que l’exemple est essentiel dans la transmission du bien, je parle dans ce livre des vertus de mes amis. Pas de tous mes amis ; seulement de quelques-uns qui appartiennent à la génération qui m’a précédé ou de ceux qui sont déjà morts. Non que le reste manque de vertus, évidemment pas ; c’est qu’ils sont trop près de moi pour que je puisse parler d’eux sans la pudeur et avec la certitude que je peux avoir en parlant des autres.
***
L’idée d’écrire ce livre a surgi après le décès de mon ami Eric Rambo, en octobre 2018. Cette mort s’additionne à celle d’un autre ami très proche, Juan Jaramillo, décédé en 2012 des suites d’un cancer implacable, semblable à celui qui terrassa Eric. « Notre mort n’est que très simple, disait Cocteau ; celle des autres est insupportable ».
Pour quelqu’un comme moi, qui espère vivre encore une ou plusieurs décennies, ces deux morts sont de trop. S’il est vrai, comme disait Aristote, qu’on partage son âme avec les personnes qu’on aime, la mort de Juan et d’Eric m’a fait mourir un peu moi aussi. Ce livre est pour moi une tentative d’arrêter cette fuite de vie partie avec eux.
Je termine sur un talisman imaginaire : le nombre de mes amis morts étant si élevé, j’espère que le hasard méthodique des statistiques stoppera ce chiffre et que tous les amis qui me restent encore aujourd’hui me survivront.
Eric Rambo ou la modestie
Quand je l’ai vu, huit jours avant sa mort, il était à l’hôpital de l’université du Wisconsin. Il ne pouvait plus marcher, ni manger, ni même donner la main, et il ne lui restait que des instants fugaces de conscience. Il disait, la plupart du temps, des choses sans aucun sens – idées en désordre, comme abandonnées par un cerveau indolent. Il tendait le bras pour ouvrir une porte au milieu d’un bois, tentait de jouer de la clarinette sans trouver l’embouchure, ou voyait un serpent glisser sur la fenêtre. Il avait également perdu la notion de temps : c’était parfois un enfant à Oklahoma et une seconde après un retraité, dans sa baraque de Two Sisters Lake, au Minnesota. Son cerveau n’émettait plus d’ordres. Tous ses muscles étaient capables de fonctionner, mais ils demeuraient immobiles, comme déconnectés. Quand on lui donnait à manger, les aliments demeuraient sur sa langue, sans être mâchés.
Toute cette confusion était provoquée par un glioblastome multiforme, un cancer détecté une année plus tôt, après qu’il s’était évanoui dans un restaurant. « Cela va vous tuer, lui dit le médecin qui le traita ; je ne sais dans combien de temps, peut-être trois mois, six mois ou un an, mais guère plus ». Cela dura un an, la meilleure chance que ce cruel diagnostic lui avait laissée.
En dépit du dépérissement cérébral, son sens de la courtoisie demeura vivace. Il disait des énormités posément, comme si l’effondrement de la lucidité n’avait pas entraîné le délabrement moral. Dans ses phrases chaotiques il y avait toujours un don’t worry , un I’m ok , un whatever you want , ou simplement un sourire.
Eric et moi nous sommes connus il y a vingt ans quand nos petites filles commencèrent à jouer dans l’arrière-cour de nos maisons voisines, rue Monroe à Madison. Nous avons senti presque aussitôt, avec nos épouses, qu’entre les conversations routinières d’alors se forgeait une amitié durable. Nous partagions un même goût de la nature, des promenades dans les bois, du camping, et avions une même vision de la société contemporaine, avec ses espoirs et ses angoisses. Peu de temps après nous être connus nous avons décidé de faire un voyage au parc national de Yellowstone, à deux mille cent quarante kilomètres de Madison. Avec sept personnes dans une voiture – 4 adultes et 3 enfants – et l’obligation de camper chaque jour, ce voyage fut le test à l’acide de notre amitié.
Eric enseignait la théorie sociale à l’université du Wisconsin. Il avait fait un doctorat à Berkeley, sous la direction de Jeffrey Alexander, un des sociologues les plus renommés des États-Unis, et il connaissait bien les œuvres de Talcott Parsons, James Coleman et Alfred Schutz, que j’avais peu lus. Nous admirions tous les deux Émile Durkheim, le père de la sociologie française, et nous étions convaincus – nous l’avions lu dans ses livres – que la culture et, surtout, les émotions morales, maintiennent unie une société.
Non seulement il avait beaucoup lu, mais c’était un penseur rigoureux. Peut-être est-ce pour cela qu’il ruminait trop ses idées et tardait à les éditer et les publier, ce qui est aujourd’hui un péché impardonnable ; comme le dit le célèbre dicton, publish or perish. Comme il publiait peu, il ressentait une pression qui l’accablait et qui, finalement, lui fit renoncer au monde universitaire. Aux États-Unis, l’universitaire, comme dans tant d’autres sphères sociales, imite le monde des affaires et se gouverne par la productivité : le sort de tout professeur dépend de la quantité d’articles qu’il publie et de la réception qu’en ont ses collègues. Les livres sont une marchandise et leurs recensions dans d’autres livres sont les ventes. Comme dans Nosedive ( Chute libre ) – le célèbre épisode Black Mirror , la série de Netflix –, où les personnes sont cotées de un à cinq dans chacune de leurs interactions quotidiennes, les professeurs qui ne reçoivent pas de likes sont méprisés par le système.
L’idée d’avoir à se vendre soi-même ou de devoir évaluer ses collègues lui semblait odieuse. Non qu’il eût un déficit d’estime de soi. Au contraire, il se sentait très fier de lui-même ; fier au sens aristotélicien du terme, c’est-à-dire à mi-chemin entre l’humilité et la vanité. Les raisons n’en manquaient pas : la génétique l’avait doté d’une intelligence tranquille, qu’il manifestait dans une conversation fluide et agréable, toujours consciente des limites de la compréhension et toujours attentive à son interlocuteur. Il était connu parmi ses parents et amis pour ses bonnes manières ; pour sa courtoisie et pour son constant souci de mettre les autres à l’aise, et surtout de n’être jamais importun ou de causer quelque gêne, pour mince qu’elle soit. C’était un musicien talentueux, qui jouait bien de divers instruments, surtout la trompette, et c’était un menuisier habile et de bon goût, qui avait fabriqué de ses propres mains la majeure partie des meubles de sa maison. Il avait eu une enfance et une jeunesse tranquilles et heureuses, au sein d’une famille qui tournait autour de l’étude, de la culture, de la musique et au milieu de parents sereins et compréhensifs. Jeune professeur en Californie, il rencontra Lisa, son épouse, qu’il adora pour le restant de ses jours et avec qui il eut une fille, Fiona, belle, intelligente comme lui. Et comme si tous ces attributs et toute cette belle réussite sociale et familiale avaient été peu, Eric était grand, fort, blond et distingué.
Mais il n’aimait absolument pas se mettre en valeur, ni être le centre d’intérêt de personne. Il n’aimait même pas figurer dans les choses courantes de la vie ni être sur le devant de la scène. Pour ses cinquante ans Lisa organisa une fête surprise en son honneur, avec beaucoup de ses amis. Eric fut content, mais à la fin de la soirée il la remercia en l’embrassant et lui dit de ne jamais plus le refaire parce qu’il se sentait mal à l’aise d’avoir tant de gens autour de lui.
Presque tout le monde s’estime au-dessus de sa valeur réelle. C’est une vérité bien connue dans les cercles de la neuroscience : elle explique, comme le dit Yuval Harari, une partie du succès qu’a eu l’ homo sapiens – et aussi de son échec – pour dominer la vie sur la planète ; nous devenons supérieurs seulement en croyant que nous sommes supérieurs. Avec Eric c’était tout le contraire : il tenait ses talents en moindre estime que ce qu’ils valaient. Non qu’il ait été dépourvu d’estime de soi, comme je l’ai déjà dit ; simplement, lorsqu’il appréciait son apport dans l’ensemble général de sa vie et de la société, il ne voyait pas que ses qualités aient eu grande importance. Ce n’était pas un modeste moral (par volonté) ni un modeste calculateur (par intérêt), mais un modeste ontologique, par nature. C’est de cette modestie naturelle que je veux parler maintenant, dans la mémoire douloureuse que j’ai de mon ami Eric, qui vient de mourir.
***
Le premier Rambo, appelé Peter, est né quelque part à la frontière entre la Suède et la Finlande et fut un des premiers immigrants de la Nouvelle-Amsterdam, au début du XVII e siècle, laquelle allait devenir la ville de New York. Peter Rambo aurait bien pu venir sur le bateau d’immigrants

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