Mémoires de Duncan Grant
148 pages
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Description

Ce livre est la lettre post mortem d’un homme à sa fille. Cet homme, c’est le peintre anglais Duncan Grant. Il écrit pour expliquer ce que fut sa vie: son enfance passée dans la campagne anglo-saxonne, ses relations amoureuses complexes et anticonformistes, son amitié avec les grands artistes de l’époque (dont Virginia Woolf et Lytton Strachey), et tous les événements, rencontres ou instants qui marquèrent son parcours esthétique. Car l’art reste le centre de son existence. Rien n’a plus d’importance pour lui que de saisir ce qu’il voit – une lumière, un mouvement, un regard – guidé qu’il est par le sentiment que "rien n’est permanent, sauf l’instant présent". Pour cette biographie, Christian Soleil a eu l’idée originale de laisser le peintre se raconter dans une lettre fictive. Un moyen habile de se glisser dans l’intimité du sujet, d’être au plus près de ses pensées et sentiments tout en explorant son rapport vital à l’art. Si ce récit comporte une part de fiction, il est toutefois basé sur des faits et des témoignages bien réels qui permettent à l’auteur de recréer avec justesse le personnage de Duncan Grant et la société de Bloomsbury, aux mœurs libérées.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 novembre 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748371611
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mémoires de Duncan Grant
Christian Soleil
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Mémoires de Duncan Grant
 
 
 
« La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit. »
Oscar Wilde
 
 
 
 
Préface
 
 
 
If Christian Soleil chooses to write a biography of my father, Duncan Grant, it is because he admires his painting. He never knew Duncan and has therefore to imagine what he was like, to place him in his time, in particular relationships including Clive Bell, whom he displaced in relation to my mother, and in relation to the art of his time.
Christian does this by making Duncan speak for himself, able to say certain things therefore that other people could not say for him, and to say them with more authority. This is a splendid way of bringing put his character and makes him come alive again for me, who of course knew – and adored him – in a way Christian was unable to do.
I recommend this book therefore to anyone remotely interested in the life of my parents or the art of Bloomsbury. Here is the first volume and there will be the second, to me even more interesting.
Angelica Vanessa Garnett.
 
 
Si Christian Soleil a choisi d’écrire une biographie de mon père, Duncan Grant, c’est parce qu’il admire ses peintures. Il n’a jamais connu Duncan et dois donc imaginer comment il était, le situer dans son époque, au sein de relations spécifiques dont celle avec Clive Bell, qu’il remplaça auprès de ma mère, et en relation avec l’art de son temps.
Christian y parvient en faisant parler Duncan à la première personne, ce qui lui permet d’avancer un certain nombre de choses que nul autre ne pourrait dire, et de les dire avec plus d’autorité. C’est une excellente manière de dévoiler son caractère et cela le fait revivre pour moi, qui bien sûr le connaissais – et l’adorais – d’une manière impossible pour Christian.
Je recommande donc ce livre à quiconque s’intéresse de près ou de loin à la vie de mes parents ou à l’art de Bloomsbury. C’est le premier tome et il y en aura un second, encore plus intéressant pour moi.
Angelica Vanessa Garnett.
 
 
 
 
1
 
 
 
Ma chère Angelica,
 
Il pleut sur Forcalquier comme il pleut sur le cimetière de Firle. C’est le même silence qui règne là-bas et ici. C’est le même ciel lourd et gris qui envahit l’horizon. Ce sont presque les mêmes collines qui dessinent leurs courbes douces et verdoyantes dans la brise du soir. Tes Alpes de Haute Provence ressemblent un peu à notre Sussex quand la pénombre descend sur les paysages et ne laisse apparaître que de vagues silhouettes dans le lointain. Tu dois toi-même t’y méprendre, certains soirs, si dans ton exil volontaire tu te laisses parfois gagner par la nostalgie. Mais tu me répondras que tu es une bien trop vieille dame, à présent, pour éprouver ce sentiment-là.
 
L’hiver approche. Une froidure nouvelle s’installe en ces premiers jours de décembre. On en est presque surpris après cet été qui semblait ne pas vouloir en finir, qui semblait vouloir s’étirer jusqu’à la nuit des temps et ne jamais mourir. Il s’est finalement éteint de lui-même, alors qu’on aurait fini par croire que c’était impossible, et qu’il sévirait de toute éternité.
 
Ici, la brise épouse les formes rondes des collines du Sussex. Elle fait vibrer doucement les dernières herbes dans les prairies, elle use les pierres des maisons qui cherchent à braver les siècles. Chez toi, dans ces Alpes de Haute Provence où tu as choisi d’attendre l’heure de nous rejoindre, le vent est à la fois même et autre. Plus rude sans doute, plus sec, aux blessures plus franches, il viole les visages et les corps, glace les maisons, les villages et les montagnes, fige toute chose aussi bien que la mort nous a figés ici, ta mère, ton frère et moi, dans ce cimetière si tendre et si paisible où l’éternité ressemble à ce soir d’automne, à ce ciel qui s’assombrit encore et encore, à ces étoiles désespérées qui ne daignent plus apparaître depuis qu’elles ont compris que la belle saison ne reviendra pas, pas tout de suite, pas la même, une autre.
 
Je t’imagine dans le salon de ta maison de Forcalquier. Tu as allumé les lampes et une lumière douce baigne les meubles et les objets. Dans le vieux poêle en fonte noirci par les hivers successifs, une bûche craque et se consume. Sa chaleur bienfaisante se diffuse dans la pièce, ce salon-bibliothèque dont tu as tiré les rideaux sur les fenêtres qui regardent le paysage derrière ton jardin en désordre, aux arbres décharnés, aux branches noueuses, aux plantes folles qui croissent, rampent et grimpent partout.
 
Ton visage, ma pauvre Angelica, s’est couvert de rides. Tu as gagné chacune d’elle au prix d’une vie qui, si elle a pu sembler joyeuse de l’extérieur, a connu sa part de déceptions, de trahisons, de mensonges par omission. Une succession de désillusions que tu as su transformer en œuvres d’art.
 
C’est étrange à quel point tu avais dans ta jeunesse l’élégance, la beauté, la grâce de ta mère ; l’âge te rapproche physiquement de moi : tu es devenue plus solide, peut-être aussi plus indifférente, moins anxieuse, plus relaxed puisque tout le monde s’acharne à employer ce mot à mon égard.
 
Je connais par cœur ton attitude quand tu dessines : une planche posée sur tes genoux serrés, ta main droite tient un crayon tandis que la gauche alterne : un instant appuyée au bord du canapé, comme si tu voulais retenir le monde, le suivant soutenant ton menton à la manière du penseur de Rodin qui questionne sa vie dans un infini mouvement.
 
C’est le même silence, le même composé d’ombre et de lumière que jadis à Charleston. Tu le sais ou non, mais les formes que tu traces avec ton crayon sur le papier punaisé à ta planche sont guidées par celles que je traçais moi-même il y a bien longtemps déjà. Ta concentration est la mienne, ton regard ressemble à s’y méprendre au mien, le souffle de plus en plus saccadé qui s’exhale de tes narines et les soulève légèrement poursuit le mien qui s’est évanoui il y a des années déjà. La ressemblance est frappante. Si ce n’est la coupe au carré de ta chevelure blanche, qui contraste si fort avec le bleu azuré de ton regard. Le geste, lui, est immémorial.
 
Dehors, le ciel s’obscurcit. La campagne s’endort. Les arbres décharnés ne frémissent même plus. C’en est fini du jour et de ses illusions. Vienne la nuit, l’hiver. La froide éternité reprend ses droits.
 
Je te vois penchée sur l’ouvrage, l’œil attentif fixant ton modèle pour déterminer la profondeur du regard, la ligne du cou, l’angle du menton, le pli d’un vêtement. Puis le visage concentré sur ton dessin : un visage tantôt satisfait, tantôt dubitatif. Quelquefois tu gémis, on dirait que tu marmonnes. On ne sait trop si tu exprimes là le plaisir du travail bien fait ou la surprise un peu déçue devant tes réalisations. Moi-même, je ne saurais trop dire. Je ne te connais pas vraiment. Il m’aura fallu plusieurs décennies après ma mort pour m’en rendre enfin compte. Il était temps, tu me diras. Mieux vaut tard que jamais.
 
Je te regarde dessiner dans le soir de cet automne, et je réalise à quel point nous sommes finalement des étrangers l’un pour l’autre. Sans doute n’avais-je pas la fibre paternelle. Je me suis toujours étonné de ce petit être qui grandissait à mes côtés, comme une évidence. J’avais beau savoir que tu étais ma fille, je n’ai jamais véritablement su établir en mon for intérieur un lien de cause à effet entre ma relation avec Vanessa et ton apparition à Charleston. Tu faisais pour moi partie du décor, à la manière des fleurs, des objets et des êtres, à la manière des tableaux, des sculptures, des poteries et des meubles peints qui parsemaient le décor, les pièces et les jardins de la maison. Sans doute étais-tu un être sensible, mais tu faisais pour moi partie de mon environnement au même titre que le reste. Je n’ai jamais eu l’esprit très discriminant. Je n’ai jamais très bien su faire la différence entre les humains, les animaux et les choses. Même de Dieu j’ai toujours eu une vision plutôt païenne, physique, charnelle. Je ne le concevais pas, je me contentais de le percevoir à travers ses créations. La seule création qui m’ait intéressé, d’ailleurs, ma chère Angelica, tu le sais bien, ce sont mes tableaux, et ceux de quelques grands artistes que j’affectionnais particulièrement, de Fra Angelico à Cézanne en passant par Edward Burne-Jones, Walter Sickert, Segonzac, Derain et quelques autres qu’il serait trop long, et trop vain, de nommer ici.
 
Je considère le décor autour de toi et je souris tendrement en mon for intérieur. Quand je pense que tu as quitté l’Angleterre pour échapper à Charleston, quelques années après ma mort, fuyant le poids trop lourd des souvenirs, les couleurs de l’enfance, ces tatouages de l’âme dont ta mère et moi avons couvert les murs de la maison dès 1916. On dirait bien que tu as pourtant emporté Charleston avec toi. Tout rappelle en effet le style de notre « grande époque », celui des ateliers Omega que nous avions fondés avec Roger Fry, celui de ce Bloomsbury dont je n’avais pas vraiment pris conscience quand nous étions en plein dedans puisqu’il ne s’agissait, au fond, très simplement, que d’un groupe d’amis. Le sol carrelé de briques rouges, le mobilier peint en jaune par tes soins et décoré de losanges gris et bordeaux, les rayonnages de livres de jardinage, d’ouvrages d’art, de romans français et russes, de cartons de la correspondance de tes fille

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