Mille ans après
108 pages
Français

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Description

« Les enfances, comme les grammaires, s'ouvrent sur le présent, et mon présent à moi n'est pas beau à voir. La maison, c‘est sauve qui peut, Maman hurle, Papa n'est pas là, j'ai l'aspirateur à passer et la vaisselle à faire. Les coups de ma mère partent, automatiques, mais comme elle dort le matin, c'est souvent pour midi, rarement plus tard que quatre heures. Ce présent arbitraire que vous préférez taire, accidenté, accidentel, j'œuvre ici à le rendre présentable. J'y découvre des mariages, des Noëls, des déjeuners dans la maison des Landes, une représentation de la Norma même, où je suis un mois durant soldat romain au Théâtre des Arts. Présent indigent et arbitraire, il me faut tout le travail de l'écriture pour m‘y faire. Rien de grand, rien de noble, mais un présent tout de même. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 août 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342055207
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mille ans après
Hervé Richard
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Mille ans après
 
 
 
Жизнь моя, иль ты приснилась мне?
Ô ma vie ! Ne fus donc tu qu’un songe ?
Essenine, Confession d’un Voyou

« Courage, Ferdinand, que je me répétais à moi-même pour me soutenir, à force d’être foutu à la porte de partout, tu finiras sûrement par le trouver le truc qui leur fait si peur à eux tous, à tous ces salauds-là autant qu’ils sont et qui doit être au bout de la nuit. C’est pour ça qu’ils n’y vont pas eux au bout de la nuit ! »
L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit
 
 
 
Préface I
 
 
 
Ce livre est un roman. Seulement c’est un roman en puzzle. Pour des raisons psychologiques d’abord. Il m’a toujours semblé que les événements les plus graves de notre vie n’ont pas de date, puisqu’une fois advenus, ils ne cessent d’être là, et c’est bientôt comme s’ils avaient toujours été là, assombrissant le passé et hypothéquant l’avenir. Pour des raisons personnelles ensuite. Souhaitant mettre de l’ordre dans ma vie, il m’a semblé que le puzzle me libérait de la fastidieuse élaboration d’un plan, conviant le lecteur à compléter par empathie ce que je n’ai pu, su ou voulu dire. Pour des raisons criminalistiques enfin, puisque c’était le mode le mieux adapté au caractère toujours inquiet et fragmentaire du témoignage. Cette présentation aura le défaut des redites, mais c’est le lot de la littérature que de se redire toujours.
Bad Segeberg – Hambourg, mars 2012 – mai 2014
 
 
 
Préface II
 
 
 
La Littérature avec un grand L est d’abord… une littérature toute seule. Détester, pardonner, oublier, exister, mes raisons d’écrire sont multiples, changeantes, protéiformes. Elles s’équivalent en somme. Elles confluent toutes au Texte et à son désir.
Hambourg, mai 2014
 
 
 
I
 
 
 
Depuis toujours je n’existe pas. Ma sœur exprime sa passion pour la danse, mon frère sa passion pour la politique, les questions fusent, admiratives, la danse ?, la politique ?, mais que moi je parle de ma passion pour le russe, l’auditoire est ailleurs. Outre-Rhin, je suis tout aussi translucide. Hormis les cafés glauques où je découvre ma valeur à la valeur de mon corps, les gens sont sans histoire, sans y croire, sans mémoire. Des indicatifs, des numéros, j’en ai, j’en compose un, zéro-zéro-soixante-et-un-huit, à l’autre bout du monde quelqu’un décroche, je raccroche. Laure me narre par le menu sa formation à Paris, c’est comme moi, dis-je, ah bon… ? fait-elle. Ailleurs, j’admire des terrains inestimables qui plongent dans la mer, des récits guadeloupéens où des tueurs en série le disputent à des borderliner, des propriétés au Kenya, des romans policiers enfin où les bons ont raison des méchants. J’ai l’enthousiasme facile, c’est super ! fais-je, les paris commencent, les uns me déboursent un et-toi-? après vingt c’est-super-! , d’autres, moins chers, me le cèdent pour dix, certains pour cinq. Ces jours-là, c’est la fête, j’ai l’impression que je vous intéresse.
Entre les baffes de Maman et l’absence de Papa, il n’y eut jamais personne. J’ai l’aspirateur à passer, la vaisselle à faire, mon frère à garder, mes devoirs à rendre. Non que je n’aie eu d’amis. Éric et Jean-François avec lesquels je torpille les cours d’anglais, Laurent avec lequel je fume mes premières cigarettes, Diane avec qui je révise mon russe, Alice qui me fait des tartes au citron. Je veux leur dire : Ma mère me frappe, j’ai peur d’elle, faites quelque chose, mais rien. Ma mère va suivre des cours de droit à la fac non sans m’avoir auparavant frappé à sang contre le chauffe-eau de la cuisine parce que je dois garder mon frère et que je suis arrivé en retard. Seize ans que son regard, sa voix, ses pas, sa toux me terrifient. J’ai bien des velléités d’adolescence, le bistro avec les copains, les premiers flirts, un semblant de relation avec Carole, les sorties en discothèque, mais l’ombre de ma mère plane sur tous mes actes, et je sais à ses regards qu’elle ne tardera pas me frapper. La dernière fois, c’est au cours d’un dîner avec mon frère et mon beau-père : Tu me touches, je te tue ! La tuer ne me fait pas peur, j’aurai des circonstances atténuantes, le juge n’en croira pas ses yeux : ma mère me prenant pour témoin – j’ai quatorze ans – étranglant mon père et lui criant au visage : Dis-le que tu préfères baiser avec des putes, dis-le ! Toutes les occasions me sont bonnes de prendre le large : week-ends de scouts avec Jean-François, vacances en Bretagne avec Laurent, soirées avec Alice, puis le bac, la fac et Paris. Amoureux fou de cette ville, j’en serai toujours l’amant malheureux. L’Agrégation est hors de portée et les milieux que je fréquente un temps Place Liszt et Rue de Passy ont tôt fait de me ramener à l’évidence : je n’ai pas les moyens de mon ambition.
Contemporain de ma rééducation, ce livre sans héros, les baffes de Maman, l’absence de Papa, y a-t-il pire ? Les coups partaient, automatiques, ils renvoyaient à une logique impeccable connue de tous sauf de moi, mes parents baisent, ma chambre est au-dessus de la leur, demain tout reprend, les cris, les coups, la raison m’échappe, j’en imagine une, deux, dix, mon grand-père maternel noyé dans la Seine, une affaire de mœurs, un portrait de Hitler trouvé dans un placard, un journal russe, Odessa, 1905-1912, homme cultivé, couverture de cuir, vitam impedere vero, consacrer sa vie à la vérité, l’écriture hésite, des pages sont arrachées, l’homme est malade, Katja Bockowitch, vous êtes un âne. Tout s’embrouille et je ne sais mille ans après, si je n’ai pas tout mélangé.
C’est armé des cris de ma mère, de ses coups, et de l’indifférence de ma famille que je partis à la conquête de ma vie. Mes amis fêtaient leur majorité dans l’insouciance, moi, j’étais terrorisé. Quitter ma famille certainement, je ne resterais pas plus longtemps chez cette hystérique, mais je me sentais incapable de me glisser dans des rôles nouveaux auxquels on ne m’avait pas préparé. De mon enfance, je ne savais que deux choses : avoir peur de ma mère et ne compter sur personne. Avec ces maigres bagages, les relations humaines et ce qu’elles exigent de communication et de confiance en soi étaient hors de portée. Les rares expériences que je fis me renvoyèrent immanquablement à mes lacunes. Une seule chose dont je n’avais pas peur : les grammaires, leurs règles, leurs développements. Laissant à de moins brûlés que moi le contenu hautement explosif de la parole, je me consacrerais uniquement à ses formes.
De quelque manière que je les prisse en effet, les mots étaient contre moi. Ma sœur avait raison, mon frère avait raison, mes cousins avaient raison, moi j’avais toujours tort. Je veillais pourtant à bien les prononcer, j’en avais mis certains de côté dont je me promettais le meilleur effet, mais tout allait trop vite, et je n’avais pas ouvert la bouche que mes contradicteurs faisaient deux bouchées de moi. Je me retrouvais seul donc, fâché que ces mots ne les eussent pas impressionnés comme ils m’avaient impressionné moi, mais c’était de ma faute, je n’étais pas à la hauteur.
Quand elle ne me frappait pas, ma mère était la plus polie, la plus diserte, la plus éclairée des femmes. Infirmière de son état, défendant la veuve et l’orphelin, j’espérais quand elle parlait qu’elle se mît à clignoter : Attention Mensonge ! Mais non, les autres n’y voyaient que du feu et ne se doutaient pas de l’enfer que j’endurais. Sans poser de questions, loin de Yann qui ne voulait pas jouer avec moi, loin de vous, loin de tous, à l’abri de la parole où j’avais trouvé plus fort que moi, soucieux de retrouver derrière des mots en ruine la trace de leur éclat, je refaisais impassible l’histoire d’une imposture, comment aviez-vous pu vous marier, vous aimer, vous croiser. À l’âge où la littérature tenait lieu de monde, mon monde à moi me tiendrait lieu de littérature, les cris de ma mère de mythologie, ses coups de théâtre, ses colères de mélopée, à charge pour moi d’imaginer chaque fois le roman qui les justifiât, les excusât, les minimisât : sa dépression postnatale, le suicide de son père, l’infidélité de son mari. Dans cette tragédie réglée au millimètre près où seize ans durant je tins le rôle de souffre-douleur, les gentils perdaient contre les méchants, les forts en gueule avaient toujours raison. M’étant décidément cogné partout, je tenterais ma chance ailleurs. L’orgueil et l’idéalisme seraient mes deux fers de lance.
Dans cette tragédie réglée au millimètre près en effet, ma seule issue était le silence. À vos vindictes quotidiennes, qui baisait mieux que qui, je préférais les classes nominales du swahili, les règles d’accentuation grecque, les verbes russes. Me livrer à vous ? Vous me faisiez payer assez cher ma dépendance. Les grammaires me tiendraient lieu de famille, j’y referais ma généalogie, un arrière-arrière-grand-père indo-européen, un grand-père latin, des cousines, des parents éloignés. Ici pas de cris, pas de coups, pas de sang, une famille fidèle et calme, une histoire retracée et reconstruite. Le contraire de mon histoire.
Mon histoire. Je l’ai si longtemps tue qu’il m’a fallu la dire. Seulement, je voulais à tout prix éviter la chronologie. Parce que le temps ne passait pas quand, gisant dans mon sang et dans ma pisse, je n’osais me relever ; quand, caché au fond de mon lit, je croyais que c’était la guerre ; quand attablés et festifs, vous ne vous doutiez de rien. Le temps de mon enfance, c’était le temps

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